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Le rêve avorté de Jodorowsky

mardi 29 mars 2016 par Guillaume Sergent rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Débarquant en trombe sur nos écrans, Jodorowsky’s Dune de l’américain Frank Pavich est sorti en salle le 16 mars. Ce documentaire, réalisé en 2013, décrit avec fougue la tentative avortée d’adapter au cinéma le mythique Dune de Frank Herbert par l’impétueux Alejandro Jodorowsky.

Monument de la littérature de science-fiction, Dune a failli devenir une œuvre cinématographique d’envergure, qui aurait vu collaborer des artistes aussi divers que Moebius, Salvador Dali, ou les Pink Floyd. Retour sur le film le plus dément à n’avoir jamais été réalisé. Le documentaire a connu des avant-premières en différents lieu en Rhône-Alpes.

Des moyens au-delà de toute mesure…

Inutile pour ceux qui n’ont pas lu le livre, ce qui est mon cas, de courir l’acheter avant d’aller voir le film. La plupart des membres de l’équipe déclaraient ne jamais l’avoir ouvert avant de se mettre à travailler sur le film. Oubliez aussi pour ceux qui l’ont vu, ce qui est encore mon cas, l’adaptation du roman de David Lynch sortie en 1984. S’il n’a rien à envier à Jodorowsky du point de vue cinématographique, ce dernier a failli se mettre sur le même piédestal qu’un Stanley Kubrick et son 2001 ou qu’un Ridley Scott pour son Alien. Et pour cause, Jordorowsky, dit Jodo, né au Chili en 1929, est avant tout un artiste de talent, tour à tour réalisateur, scénariste de bande dessinée, et acteur de théâtre. Quand, au milieu des années 70, le producteur français Michel Seydoux, qui a produit plus récemment Pater d’Alain Cavalier ou La danza de la realidad avec Jodorowsky, propose à ce dernier d’adapter Dune, roman de science-fiction le plus vendu au monde, celui-ci, qui ne l’a pas encore lu, accepte.


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Pour les besoins du film, il rassemble ses « guerriers » à la tête de la direction artistique, dont on peut citer Jean « Moebius » Giraud, auteur de la bande dessinée Blueberry, Hans-Ruedi Giger qui sera plus tard connu pour avoir créé la créature dans Alien, ou encore Chris Foss. Au casting, rien que Mick Jagger, Orson Welles ou Salvador Dali dans le rôle de l’empereur fou avaient été approchés. Son propre fils, Brontis, prendra des cours de karaté pendant deux ans pour interpréter le personnage principal. En bande-son, la musique des Pink Floyd et celle du groupe français Magma. Jodorowsky’s Dune, c’est avant tout l’histoire de l’œuvre d’un passionné qui n’a jamais vu le jour. « Pour moi, Dune devait être l’avènement d’un nouveau dieu. Je voulais créer quelque chose de sacré, de libre, avec une vision unique. Je voulais ouvrir les esprits ! » déclare Jodorowsky. Le documentaire ne s’adresse pas simplement à des fans du roman en mal de film de science-fiction de qualité, mais veut montrer le parcours créatif d’un auteur atypique, qui a cherché par tous les moyens d’aller au bout de ses rêves.

…mais qui n’ont pas reçu l’aval des studios hollywoodiens

Il est vrai que les films de science-fiction ne sont pas très en vogue parmi les producteurs d’Hollywood dans les années 70. Le succès de 2001 en 1968 est bien loin derrière, et la bombe surprise de Stars Wars de George Lucas ne viendra que quelques années plus tard, après avoir été refusée par les studios qui ne voulaient pas mettre un dollar dans un film avec des robots et créatures velues. Après deux ans de préparation et « un bouquin de 40 kilos » contenant tous les story-boards et la maquette du film, Seydoux et Jodorowsky écument les studios d’Hollywood à la recherche d’un financement qui ne viendra finalement jamais. On regrette d’ailleurs que le documentaire passe un peu trop rapidement sur les raisons qui ont fait que le film n’ait jamais vu le jour, pour s’épandre pendant sa majeure partie sur la description de son contenu potentiel. Pour le réalisateur, les producteurs ont simplement été trop frileux sur le moment, et ne supportaient par la personnalité de Jodorowsky. Seul un, Garry Kurtz, producteur de Star Wars, a été interrogé et apparaît dans le documentaire pour nous dire que ce refus était une erreur de la part des studios.

On a donc un point de vue unilatéral sur ce film, et on peut supposer que certains producteurs s’en mordent aujourd’hui les doigts. Il convient cependant de rappeler certaines raisons un peu plus objectives qui ont pu motiver ce refus. Bien que le budget prévisionnel de 15 millions de dollars représentait une somme relativement importante pour l’époque, mais pas non plus démesurée, on peut penser que les studios n’ont pas trouvé plaisante l’idée de Jodorowsky de payer Dali 100 000$ la minute, à raison de quatre minutes d’apparition, ou encore son refus de réduire la durée d’un film qui devait faire entre 12 et 20 heures. Malgré tout, ce documentaire n’est pas l’histoire d’un échec. Pour Pavich, « c’est l’histoire d’un artiste qui transforme une déconvenue en grand succès, qui va de l’avant en suivant un flot ininterrompu d’idées et de pulsions créatrices, bien après l’âge de quatre-vingt ans. C’est un film sur une ambition unique : celle de changer le monde avec l’art ».

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Le Dune de Jodorowsky n’est pas, et pourtant il existe. Si personne ne pourra jamais le voir sur un écran, ne pourra l’aimer ou le critiquer, il apparaît à travers des clins d’œil, des références dans de nombreux autres films. Par sa grandeur, voire sa démesure, il a influencé à sa manière le cinéma contemporain et a permis à plusieurs artistes de se révéler. Jodorowsky’s Dune est en quelque sorte un hommage qui tente de faire vivre le film l’espace d’un instant, dans notre imaginaire.

Article predecemment publié sur l’envolée

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