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Arman Méliès, l’art perdu du secret

lundi 6 janvier 2014 par Fraise Cinnamon rédaction CC by-nc-sa

Entretien

Entrevue autour d’un café, accoudés au comptoir du bar du Brise Glace d’Annecy, pendant les balances de l’autre groupe de la soirée du 16 novembre dernier.

Fraise Cinnamon : On te compare souvent à d’autres artistes de la scène française comme Florent Marchet ou Alex Beaupain, mais tu as un fond beaucoup plus « rock » qu’eux. Comment tu te situes par rapport à ça ?

Arman Méliès : En effet, oui, j’ai l’impression que par rapport à la musique qu’ils font notre production est assez similaire. Il y a vraiment des points communs entre ce qu’on peut faire les uns et les autres.

Mais de ce que j’entends de leur musique, j’ai aussi l’impression qu’ils sont un peu plus orientés vers la chanson française que je ne le suis. Après –même si je les connais un peu tous les deux– je ne sais pas exactement quelle est leur histoire, moi effectivement je viens plus d’un milieu anglo-saxon. Pas forcément uniquement « rock », même si c’est le hard-core qui m’a donné envie de faire de la guitare ! Mais ensuite j’ai découvert d’autres choses, le folk, la new-wave, ces choses-là, et je suis venu assez tardivement et de façon très sporadique sur la chanson française.

Il y a quelques artistes qui m’ont vraiment parlé et qui m’ont marqué, mais au final je ressens très peu d’influences liées à l’univers de la « chanson française ».

Encore plus sur cet album, d’ailleurs. Qui est plus… noir que les précédents, jusque dans la pochette ! Il est aussi plus « cinématographique », j’ai l’impression. Tu parles souvent de Giorgio Moroder, t’a-t-il plus influencé encore sur ce disque ?

Il m’a influencé parmi beaucoup d’autres, lui un peu plus sans doute parce que j’avais envie de travailler un matériau essentiellement synthétique. Et si on pense musique de film, je suis en effet plus proche de Moroder que de Morricone, John Barry ou Nino Rota, même s’ils ont été un peu présents auparavant sur d’autres de mes disques.

L’écriture en fait vient de manière assez spontanée, c’est pas miraculeux mais il y a vraiment quelque chose de naturel. Et dans un second temps, je me demande comment je vais mettre en forme ces idées un peu brouillonnes.
Et là du coup, en étant attiré par un univers plutôt synthétique, ça me ramène vers ces influences la comme à tout ce qui est lié au Krautrock, la musique des 70’s produite en Allemagne… Kraftwerk, aussi, a été quelque chose d’évident pour moi.

Mais très vite, même en sachant que j’avais ces idées en tête, je ne voulais pas faire un album « référencé », un album hommage à tel ou tel groupe. Je voulais vraiment essayer, autant que faire ce peut, de donner vie à quelque chose qui soit actuel. Même si on peut y entendre certaines influences, parce que forcément je les subis un peu…

Parce que « Pompei II », quand même, me paraît être la suite logique de « l’Histoire Sans Fin »…

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Ah ? Oui, c’est vrai…

Genre deuxième partie du générique, après la chanson tube !

Oui, ben en fait c’était l’idée de base, le générique de film. Sans être pour autant un hommage à un compositeur. L’idée générale était de faire une sorte de BO, même si en termes de BO justement c’est un peu loupé… !
Par exemple, un groupe comme Boards Of Canada, juste quelques mois après la sortie de mon album en a sorti un qui, pour le coup, est une vraie BO ; Au début on entend même une sorte de jingle, comme si c’était celui du producteur, dans les vieux films des années soixante-dix…
Tout se tient, et là on est vraiment dans un film de A à Z. Mon format chanson empêche d’être aussi fidèle à ça.

Pourtant le BO de films sont de plus en plus faites comme ça… Une succession de chansons, ponctuée de quelques thèmes musicaux…

Justement, c’est quelque chose que je déplore ! Pour moi c’est un non-sens… Sauf si la musique peut servir une scène de temps à autre, si c’est vraiment justifié. Mais le fait de prendre de plus en plus des morceaux de son Ipod qu’on aime bien et de surligner les scènes avec… Ça crée une sorte de chantage affectif ; sur telle scène qui se veut un peu lacrymale, ben on met un morceau triste de Radiohead, un couple qui se retrouve dans la nuit, qui est très très heureux et qui fait la fête, on va mettre du Arcad Fire…
Faire une simple compilation de morceaux parce qu’ils sont séduisant ou parce que c’est le truc du moment me désole un peu. Je trouve ça très limité en termes de création, de ce que ça peut véhiculer comme sentiments.

C’est l’atteinte facile, finalement.

Oui c’est ça, ça aiguille beaucoup trop en fait…

Tu as sorti « Mes chers amis » d’abord sur internet, avec un certain texte [1], et il s’est retrouvé en instrumental seulement sur le disque. Problème de droits, choix artistique, ou peur de l’accident ?!

Non ! Non, on a jamais eu d’interdiction de droits. Le clip a été très regardé sur internet et on a pas eu de souci. On a jamais eu non plus d’autorisation formelle en même temps… Il y avait donc comme ça une sorte de flou juridique qui pouvait être tranquillisant, et je ne pense pas qu’on aurait eu des problèmes en utilisant le texte.

C’est plutôt que l’album a été écrit longtemps avant de sortir, l’extrait avec le clip est lui-même sorti un an avant… Après coup ça me paraissait beaucoup moins opportun de le laisser tel quel. C’était sorti de son contexte sociopolitique, et j’avais l’impression que ça allait ancrer le disque dans un truc qui n’était pas totalement cohérent avec ce que je racontais.

Même si ce n’est pas si éloigné que ça, il y a quelque chose d’un peu politique, si on lit entre les lignes de cet album. Mais je me suis dit que si je voulais qu’il vieillisse un peu mieux, il était tout aussi intéressant de laisser le moreau en instrumental, en forme de générique. On y revient…

Travailler avec d’autres me permet de relativiser un peu, de retrouver cette spontanéité et juste le plaisir de faire de la musique

Quand tu as fait la première partie de Julien Doré à Marseille, tu as eu le culot de présenter « Gran volcano ». Pourquoi ce choix ?

En fait c’était un projet que j’avais en tête depuis assez longtemps, sur lequel je ne m’étais pas encore penché. Et c’est le programmateur du festival Avec Le Temps qui tenait absolument que je fasse la première partie de Julien, avec qui j’étais en tournée.
J’étais pas du tout prêt à jouer de nouveaux morceaux, même s’ils étaient enregistrés je ne les avais pas travaillées pour la scène… Et puis l’idée de jouer ces nouveaux morceaux en solo m’excitait assez peu, jouer les anciens n’aurait pas vraiment eu de sens…

Du coup j’ai vu là l’opportunité de donner vie à ce projet, je me suis attelé à finir l’écriture de ces morceaux, en ayant vraiment à l’idée le spectacle, c’est-à-dire quarante à quarante-cinq minute d’une seule plage musicale qui raconte quelque chose du début à la fin. Avec différents mouvements mais qui sont liés entre eux, où il n’y a aucune interruption, aucun blanc…
Quelque chose de finalement très abstrait, très contemplatif et en même temps assez agressif, parce que les sons –même si le tout est assez ambiant
– sont très saturés. Je voulais quelque chose d’un peu poétique, comment dire… cajoleur, et en même temps abrasif, très contrasté au final.

Du coup certaines personnes l’ont vécu de manière assez… Brutale ! Mais moi j’étais ravi de cette expérience, tout le monde était un petit peu décontenancé…

Oui, en effet, décontenancé… Voire plus !

Absolument, il y a des gens qui ont détesté même ! Je savais que c’était pas forcément le contexte idéal pour proposer ce genre de musique, mais j’en avais pris mon parti.
Moi j’avais vraiment envie de faire ça, ça m’excitait dix fois plus que de faire n’importe quoi d’autre. Ça n’allait pas parler à, genre… La moitié de la salle, ce qui a effectivement été le cas ! Mais à l’inverse il y a des gens qui ont été très touchés, qui sont venus me voir à la fin du concert ou qui m’ont écrit pour me dire que c’était très bien. Du coup je suis très content d’avoir fait cette expérience ! J’espère pouvoir le refaire, je l’ai déjà fait d’ailleurs dans le cadre d’une expo, dans une galerie. C’était un peu plus adapté du coup, un peu différent. Je sais que je vais pas faire des tournées avec ce projet, mais j’aimerais bien le rejouer occasionnellement, avec des nouveau morceaux, et puis finir l’album pour 2014.

On parlait de Julien Doré, dont tu es le guitariste donc, est-ce qu’à un moment tu as hésité à faire un choix entre les deux carrières ?

Non, pas du tout. C’est vraiment complémentaire, à tous les niveaux. Ça m’apporte beaucoup de travailler avec lui, dans l’écriture ou sur scène, comme avec d’autres d’ailleurs (pour l’écriture seulement).
Julien est le seul avec qui je tourne en dehors de mes projets solo. Mais ce sont vraiment des choses complémentaires, c’est très plaisant de se retrouver « que » guitariste, de jouer dans le cadre d’un groupe qui est devenu une sorte de fraternité, il y a quelque chose de très fort entre nous.

Il y a aussi un côté récréatif qui me permet d’oublier un peu mes projets et du coup de les envisager sous un autre angle. Quand je reviens dessus je ne les vois plus comme quelque chose d’aussi vital, je vois ça comme de la musique…
Avant, mes projets étaient la seule chose à laquelle je consacrais du temps ! Alors travailler avec d’autres me permet de relativiser un peu, de retrouver cette spontanéité et juste le plaisir de faire de la musique… Un morceau qui s’avèrerait être un peu décevant au final, ben je le laisse de côté et je passe à autre chose, c’est avant tout un jeu en fait. Tout bêtement. Je pars faire quinze concerts avec Julien, j’écris avec telle ou telle personne, et je reviens sur le truc la tête froide…

Mais du coup voilà, la question de choisir ne se pose pas ! Dans la mesure où en termes d’emploi du temps les choses sont possibles, il n’y a pas de choix à faire ! J’espère vraiment continuer longtemps…

Sur ton album précédent tu as fait une reprise (« Amoureux Solitaires » de Lio, ndlr), la seule de ta discographie, pourquoi celle-ci ?


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© François Berthier

En fait j’avais redécouvert le titre via un groupe électro avec lequel j’avais travaillé, Remote. Ils avaient collaboré avec quelqu’un (dont j’ai oublié le nom !) qui disait le texte de la chanson sur la musique. J’ai réalisé qu’on était passé complètement à côté des paroles à l’époque !
Remote en a fait une relecture électro très minimaliste et très froide, destinée à être assez élitiste pour le coup… Alors je me suis dit que ça pouvait être intéressant de retravailler ça en chanson, de garder l’idée de la pop song tout en essayant d’être plus fidèle au fond, à sa signification. J’ai essayé différentes choses, en m’éloignant assez vite du titre original, trop connoté petite pop song gentillette des années 80, justement.
J’ai complètement réécrit la musique, et je trouvais que ça fonctionnait à merveille avec le texte et que le morceau était très cohérent avec le reste de l’album. Je voulais absolument qu’il soit dessus !
Après ça a été un peu compliqué pour autorisations, réussir à joindre les ayants droits d’Elie Medeiros et Jacno, les auteurs. On s’est vraiment battu, et jusqu’au dernier moment on ne savait pas s’ils seraient d’accord ou pas… Mais c’était important pour moi. Même si c’est pas moi qui l’ait écrit, je lui accordais autant d’importance qu’aux autres titres !

Laissons un peu la musique de côté… Je suis très intriguée par toutes ces spirales que tu as sur le bras. Tu as une histoire particulière avec ça ?

Ah ! C’est juste des petits dessins que je fais depuis très longtemps en fait… Des gribouillis, un peu comme Dubuffet, un jour il s’est mis à gribouiller et pendant toute une période il n’a fait plus que ça… Sauf que lui après en a fait des statues, des toiles immenses ! Pour ma part c’est une habitude que j’avais prise notamment en studio, au début. Griffonner des petites choses comme ça sur des bouts de papier. Puis c’est devenu quelque chose de... J’allais dire vital, c’est un bien grand mot… Mais j’avais besoin de le faire, j’adore dessiner, déjà gamin j’adorais ça. Même si à l’époque, ou même ado, je faisais des choses plus concrètes. Pendant un temps il y a eu une sorte de pause, et puis un jour ça a ressurgit sous cette forme là !
Et j’ai jamais vraiment cherché à comprendre d’où ça venait, ce que ça pouvait signifier… Parce que justement je trouve que c’est très bien de ne pas être totalement dans une démarche analytique. Je le suis tellement dans la musique ! Quand on travaille là-dedans au bout d’un moment on a l’oreille qui s’affûte, parce que c’est notre métier, on a tendance à tout détailler, à tout découper en fréquences, en harmonies, en tempo, toutes ces choses là… On perd un peu en spontanéité par moment ! Aussi bien dans l’écriture que dans l’écoute d’autres musiques… Donc il y a des domaines comme ça où je me suis dit qu’il fallait essayer –dans la mesure du possible– de ne pas chercher forcément à comprendre !

C’est valable pour d’autres choses aussi, le vin par exemple. J’apprécie de déguster un bon vin de temps en temps, et je me refuse à plonger dans les livres pour comprendre un peu plus ce qui se passe… Je ne veux pas que tout devienne analytique… J’ai tendance à être quelqu’un d’assez cérébral à la base, et du coup le monde se résumerait à un ensemble de colonnes de chiffres !! Alors il y a des spirales, des petits « zigouigouis », tout ça !

Après on les retrouve aussi dans la nature, dans les œuvres d’art même primitives, c’est quelque chose qui a toujours un peu fasciné. Elles correspondent au nombre d’or, entre autres… Il y a quelque chose d’ancré dans notre ADN, un peu.

Interview en version intégrale sur le blog de Fraise Cinnamon
Photo d’emblème ©François Berthier

Notes

[1Le discours de campagne de Nicolas Sarkozy, ndlr

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