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Pasolini par Virginie Despentes, Béatrice Dalle & Zérö à la Source

Bella Ciao

lundi 1er juillet 2019 par Anne Von Klüz rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu

La Source était bondée ce soir, dans la salle, un public de tous âges, éclectique pour cette lecture-concert des poèmes de Pasolini. Faut dire comment ne pas faire salle comble avec un spectacle qui réunit Béatrice Dalle ou « Béa Bombe » ( surnom donné par Despentes je crois), Virginie Despentes ou « Gigi Boum-Boum » et le trio lyonnais Zérö ex membres de Bastärd. Un cocktail qui ne peut être que détonant quand on connaît la filmo, biblio et discographie de chacun(es).

Dès les premières notes, les premiers mots, une tension solennelle s’installe. Despentes en mode « spoken word », son débit est rythmé, presque métronomique, monocorde mais pas monotone. Les thèmes Pasolinien abordés au début du spectacle ont un caractère engagé et mêlent pêle-mêle, le consumérisme aliénant, la culpabilité filiale, la tragédie grecque... Il faut rappeler que l’œuvre du cinéaste, poète et militant communiste est une des plus subversives et sulfureuses du XXme siècle. Salo ou les 120 journées de Sodome reste un des films les plus scandaleux du l’histoire du cinéma, le réalisateur s’est fait assassiner quelques mois avant sa sortie. J’ai appris quelques jours avant le spectacle que le père de Pasolini avait déjoué en 1926 la tentative d’assassinat envers Mussolini alors en visite officielle à Bologne. Son père, responsable du service d’ordre, a dévié le coup de feu tiré par un jeune anti-fasciste. Cette lourde filiation explique en partie l’engagement de l’artiste contre toutes les formes d’oppression. Sa critique de la société est viscérale, les textes choisis par les passeuses de sa pensée radicale sonnent comme des uppercuts.


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Béatrice Dalle - lecture de Pasolini @ la Source, mars 2019

Les voix de Despentes et Dalle s’alternent. La première lit avec une certaine retenue mais pèse bien les mots , appuie là où il faut. Béatrice Dalle vit le texte à 100 %, plus expressive, plus gestuelle, ça sort de ses entrailles. En même temps, c’est son métier d’interpréter et quelle interprète ! Sa présence scénique est sculpturale. La grande gueule au grand cœur à l’étoffe d’une tragédienne. Les mots vibrent dans sa chair et, comme elle ne fait pas les choses à moitié, elle s’est fait tatouer une citation de P.P.P « Mon indépendance qui est ma force induit ma solitude qui est ma faiblesse ». La Betty culte de 37°2 reste une actrice sans concession dans ses choix, elle fonctionne aux coups de cœur, à la rencontre et a su garder cette liberté de ton, qualité de plus en plus rare aujourd’hui.

La musique de Zérö apporte du relief à l’ensemble et participe à la tension de cette lecture. Leur musique se déploie avec une certaine finesse et nous amène à un état hypnotique proche de la stupeur. Tout s’imbrique subtilement, le flow des voix et la musique envoûtante qui répercute la puissance des textes. On sent une réelle complicité entre eux et les copines au micro, Despentes danse timidement vers le guitariste. La suite de la lecture sera plus poétique, j’ai envie de noter des bribes de vers mais je reste dans cet espèce de « ravissement immobile ». Les voix de la brune et de la blonde s’entrelacent, désynchronisées, l’une chuchote l’autre continue la lecture, à son rythme. Assise dans la fosse, aux pieds de la présence magnétique de Béa Bombe, pas pour rien qu’elle est là depuis les années 80 cette belle « witch » toute de noir vêtue. Pas étonnant qu’elles ne se soient pas lâchées toutes les deux depuis l’adaptation de Bye Bye Blondie. Quand on connaît leur parcours, il ne pouvait y avoir que des atomes crochus entre ces deux nanas qui ont traîné dans les squats et le milieu alternatif des années 80. Je regarde Despentes, découverte au lycée avec « Baise-moi », il y a des auteurs comme ça qui t’accompagnent sur plusieurs décennies, des livres qui tissent une connivence anonyme entre l’auteur et le lecteur. Quand je la vois comme ça sur scène, je pense à Lydia Lunch ou Patti Smith, elle s’inscrit dans leur lignée, des auteures qui tendent des passerelles entre le monde du rock et des lettres, entre le punk et la poésie. Disponible et souriante au bar à la fin du spectacle, elle signe des autographes, se fait photographier rejointe plus tard par Béatrice Dalle.

J’avais jamais vu de lecture musicale, appréhendais même un peu que ce soit ennuyeux mais je n’ai pas vu le temps passer. Leur projet fonctionne car la démarche est sincère. Elles partagent ce qu’elles aiment, l’œuvre de Pasolini, leur passion commune pour la musique, le duo se fait plaisir sur scène avec Zérö. On sort de là avec une envie de relire de la poésie et plonger dans les écrits du cinéaste. Les passionnés transmettent leur flamme. Un saut à la libraire le lendemain : « Il faut brûler pour arriver consumés au dernier feu ». P.P.P.

Toutes images © Pascale Cholette

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