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Et si finalement Piou-Piou était un ange ?

lundi 1er février 2016 par Lt. Felipe Caramelos rédaction CC by-nc-sa

Portrait

Le samedi 12 mars 2016 aura lieu au Théâtre de l’Echange d’Annecy un concert hommage à Bernard Donzel-Gargand. Son dernier double CD sera offert aux amis qui seront présents ce soir là . L’occasion de retracer la vie de cet immense artiste.

Bernard Donzel-Gargand irradiait par sa présence les êtres qui avaient la chance de le côtoyer. En témoignent plusieurs photos qui figurent dans ce CD.


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Sur un premier cliché, il a rencontré un type sérieux qui cherche un accordéoniste pour jouer dans un village de vacances au Maroc. Comme il n’a que quinze ans, il va falloir que Jacqui Détraz, l’ainé, persuade la mère de laisser son fils sortir du territoire pour la première fois. L’affaire est conclue en un clin d’œil et c’est ainsi qu’au mois de juillet 1970, il descend heureux de la passerelle d’un avion d’Air Royal Maroc. Malheureusement pour les historiens, les autres photos et les lettres de ce voyage n’ont pas été déclassées par la famille et restent pour le moment « secret défense ».

Toute sa vie, Bernard va collaborer avec Jacqui Detraz sur des projets de Musiques du Monde. Le Festival Bruit de la neige programmera d’ailleurs plusieurs expériences musicales de leur association : « New Raga » en février 2001, « Dodengaden » en juin 2011 à la maison de Malaz de Seynod, un trio magnifique de tablas, percussions, vièle à roue de Dominique Regef et traitements électroniques, « Annecy – Barcelona » (CD2) en octobre 2011, une improvisation jouée successivement au théâtre de l’échange d’Annecy et à la radio de Barcelone (Festival Lem) avec la gracieuse Carola Ortiz à la clarinette basse.

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Sur un deuxième cliché datant de 1973, deux garçons observent un petit lapin blanc porte-bonheur, ils ont environ dix-huit ans, ils seront complices toute leur vie et formeront jusqu’au début des années 80 un duo de percussions « Tympani » qui aura beaucoup de succès jusqu’en 1979 (« Triolet » CD2).
À la même époque, ils écument les bals de la région avec un groupe Les Samouraïs. Musique contemporaine, Musique populaire, toute la musique, cela aurait pu être leur devise. Patrick Devers ne sera jamais loin. Ces dernières années, il pouvait même surveiller de sa fenêtre la porte entrouverte du studio, signe de l’apéro avec son copain.
Au milieu des années 70, Bernard est dessinateur au CERN à Genève. Il s’ennuie ferme et met de l’argent de côté pour sortir au plus vite de ce trou à rats. À la même période, il est « réparateur d’instruments à vent » dans l’un des magasins le plus prestigieux du monde : le « Servette Musique » où il apprend son métier avec René Hagmann qu’il estimait énormément. Longtemps, il regrettera d’avoir quitté ce travail.

En 1979, il rejoint les cours de Rainer Boesch au Conservatoire de Genève (CPM) où il réalise ses premières musiques concrètes : « Chant d’HU BA RE », « Dispersion » (CD1). Ses qualités de percussionniste font merveille avec la technique de collage de sons de cymbales, de voix, de paysages sonores, à l’envers, à l’endroit, au ralenti et mixés avec les synthétiseurs de l’époque.

En 1982, avec Jean Louis Delemontex et Philippe Moenne Loccoz, il fonde à Annecy le Collectif et Cie, studio de recherches musicales où il développera de nouvelles lutheries tel que le Sami présenté pendant les journées informatiques musicales à l’Ircam en 1996.
Le Sami de Bernard Donzel-Gargand est un outil révolutionnaire permettant de déclencher des séquences sonores à partir de capteurs reconnaissant les mouvements. Il a été utilisé dans plusieurs œuvres : « Mémoires diaphanes chorégraphiques & dispositif SAMI vidéo 9’ 50’’ », « Points cardinaux » (CD1), « Et noire » (CD2).
Il participera au « Trio Collectif » qui le conduira à donner des concerts dans le monde entier : Canada (Résidence Banff), Suisse (Archipel, Radio Suisse Romande, Festival la Bâtie), Hongrie, Espagne, Suède, Finlande, USA, Hollande (V2 avec le Lieutenant Caramel)…

Pour moi, Bernard, a toujours été le meilleur exemple de véritable artiste-passionné, professionnel et talen­tueux.
(Dmitry Vasilyev, directeur du label MonochromeVision)

C’est en 1984 qu’étudiant au Collectif et Cie, j’ai eu la chance de connaître Bernard, et tout de suite j’ai eu de l’admiration pour ce « touche à tout » dont les cours de musique mêlaient l’imprévu et une prise de risque incroyable pour un enseignant. C’était également un formidable compositeur, Bernard travaillait à l’époque avec Marie Jovencel, l’étrange fille qui lui suggérait des titres très poétiques sur ses musiques : « Rêves oubliés dans les yeux de grigris », « Mise en ciel d’un Scarabée », « Toile de Sons », « Éloge de la folie », « Les géantes bleues », « Un ailleurs perdu »…


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En 1998, Bernard Donzel-Gargand quitte le Collectif & Cie, il va rebondir rapidement pour créer le Studio Forum. En 1999, Nous sommes trois fidèles (Patrick Devers, Jean Louis Belmonte, Philippe Blanchard) photographiés aux côtés de Bernard au 7 rue du Forum dans la cour de l’immeuble pour annoncer à la presse locale, la naissance du Festival Bruit de la neige. Deux amis sont absents sur la photo, l’ami Pierre Coppier qui préparait un jeu de massacre sonore et Jacques Lorrain qui cuisinait des tortillas espagnoles pour la soirée d’inauguration.
Pendant que Bernard Donzel-Gargand développe la diffusion de la musique contemporaine au Studio Forum avec Philippe Blanchard, il continuera à jouer de la musique populaire et de l’accordéon avec son ami Georges Socquet (CD2). Ils produiront ensemble de nombreux spectacles ou contes musicaux pour les enfants d’écoles primaires. Pendant cette période très prolifique, il produira de nombreuses bandes sonores pour des films de Jacques Quoex (Off Course – 2005) ainsi que pour des pièces de théâtre des compagnies Al Fonce et Octopus.

Au Studio Forum, Bernard aura enregistré, souvent bénévolement, de nombreux artistes et divers projets sonores. Nous les retrouvons d’ailleurs sur les CD produits par le Studio Forum. Je pense notamment au Train Fantôme, Zone de rêve, Virtual Zoo, Détonants voyages, les chansons d’Alice Dézailes, cinq minutes pour anéantir le silence … et aux belles pochettes de Martine Romand. Les journées de travail au studio se terminaient toujours à l’appartement du haut, tard la nuit, à échanger sur le monde de l’invisible et en trinquant à l’amitié jusqu’à la mort.

Bernard Donzel-Gargand a réalisé deux albums de ses musiques acousmatiques, l’un en Allemagne chez PlateLunch (« Toile de sons » 2000), l’autre chez MonochromeVision (« Still to be a storyteller » 2009).

Pour donner un regard sur la reconnaissance de son œuvre à l’étranger, il faut relire les quelques mots que Dmitry Vasilyev, directeur du label MonochromeVision, a laissé sur son site en apprenant la triste nouvelle : « Pour moi, Bernard, a toujours été le meilleur exemple de véritable artiste-passionné, professionnel et talentueux. Sa musique est incroyablement poétique et subtile, exceptionnelle… Je n’arrive pas à trouver les mots justes pour expliquer à quel point il était important.
En dehors de la Musique, Bernard était une belle personne, je n’oublierai jamais son hospitalité, son attention et sa gentillesse quand j’ai été lui rendre visite à Annecy il y a six ans. Je me souviens encore de tout. La meilleure des personnes est partie sans bruit. Je suis fier d’avoir publié son album et d’avoir fait connaître sa musique en Russie et dans le monde entier. Merci pour tout ».

Enfin pour percer le mystère de son œuvre, il convient dans l’ordre, écouter la « répétition avec Piou-Piou » (CD2), boire un calva pour célébrer nos grands-mères respectives, et se jeter à nouveau une gentiane en hommage cette fois à la mémé de Serraval, puis lire Arthur Rimbaud :

« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux… ».

Philippe Blanchard, Annecy, le 1er janvier 2016

Bernard est décédé des suites d’un cancer le 29 juin 2015.
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  • Concert hommage à Bernard Donzel-Gargand :
    le samedi 12 mars 2016 à 21h00 Théâtre de l’Échange, Annecy

    à l’occasion de la sortie du double CD Music Works 1979-2015 qui reprends en 15 titres

    Avec Jean-Louis Belmonte, Philippe Blanchard, Pierre Copier, Jacqui Detraz, Patrick Devers, l’ange piou-piou, Georges, Socquet, Dmitry Vasilyev

    Rens 06 74 44 88 37

    Le CD sera offert aux participants de cette soirée.

    localiser

    adresse

    26 Rue Sommeiller


    Annecy (F)
    complément

    Salle Camille Mugnier (85 places)

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