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Fabrication de la guerre civile de Charles Robinson

vendredi 11 octobre 2019 par Séverine Conesa rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Charles Robinson revient avec la suite du génial Dans les cités. Dans ce second roman qui flirte avec l’étude sociologique l’auteur déconstruit le mécanisme de fabrication de la guerre civile par le prisme de ses acteurs. Chargé d’enquêter dans le quartier qui l’a vu naitre et grandir, il s’embarque dans une sorte de retour au pays natal qui va le confronter au passé comme à l’avenir.

« GTA a raison pour les vies antérieures. Nous en avons tous. L’une d’elles s’appelle l’adolescence. » (p. 61)

Charles Robinson retrouve ceux qu’il côtoyait à l’époque et fait la connaissance de la jeune génération.

Les personnages se croisent et interagissent dans la cité des Pigeonniers : Mong Mong le fournisseur de produits stupéfiants en tous genres, Godzilla, le responsable du chantier de démolition et Bastille Joey, chargé de la gestion technique des bâtiments, les jeunes comme Jizz, Craps ou Ninja Steve, qui n’ont que le deal et les embrouilles pour occuper leurs journées, les travailleurs sociaux comme Angela et les élus de l’ancien et du nouveau conseil municipal.

Une galerie de personnages chamarrés aux surnoms étonnants que l’on prend en grippe ou en affection, comme Bambi l’associal et le Hibou geek, Chichi Valium, une bimbo locale ou GTA, dont les études universitaires n’ont pas eu l’effet escompté et qui se met à la recherche de sa copine Begum, disparue depuis peu. Budda quant à lui tente de se reconvertir comme boxeur professionnel, tout en continuant à dealer. Il s’installe dans une partie du pavillon familial avec sa copine Popie, enceinte, et dont le ventre gonflé donne des idées à toutes les paumées du coin.

« On était la génération No Future. Mais c’était avant. Maintenant y’a pas de présent non plus. » GTA (p. 111)

Loin d’être un simple reportage ce texte se lit comme un polar politique, le suspens est de mise et le scénario n’a rien à envier aux meilleurs films d’action. En marge du projet c’est tout une société qui se dévoile. La faune des cités est variée, elle se compose en particulier de prédateurs, de caïds, d’habitants et d’officiels, mais aussi de quelques rares éveillés. Mais les apparences sont souvent trompeuses et les pires ne sont peut-être pas ceux que l’on imagine.
Un roman qui questionne les politiques d’urbanisme et leur absence de connexion à la réalité sociale. Le projet de rénovation semble une simple question d’esthétique, malgré les discours vertueux et paternalistes, comme si l’on pouvait simplement se contenter de maquiller la misère. On découvre ainsi la variété des destins qui se dissimulent dans ces bâtiments fatigués et les drames qui frappent sans distinction les uns et les autres.

« Sans être passé par Sciences-Po Paris, Nanko sait des choses sur l’état de droit : un espace où personne ne t’aidera, mais où tu ne pourras pas non plus t’en sortir par toi-même, parce que les micro-activités sont interdites par des réglementations. » (p. 78)

Dans ce monde où la liberté se réduit à la clandestinité l’avenir se dérobe sans cesse sous les pieds. Un roman aussi édifiant qu’envoutant, au style percutant, dans lequel l’auteur s’amuse à faire sens avec le corps du texte dans une inventivité graphique rafraichissante. Charles Robinson fait œuvre d’utilité publique en éclairant les cités de ses lumières.

« Le shit a fait davantage pour établir un climat favorable à la concertation dans les cités que les politiques publiques depuis disons trente ans. [...] Et si une politique publique a, un jour, quelque part, empêché une bagarre, écrivez à l’éditeur qui transmettra » (p. 293)

Fabrication de la guerre civile : roman de Charles Robinson (1973-....) Édité par Seuil. Paris

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