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Le striptease peut-il être féministe ?

mercredi 5 décembre 2012 par Estelle Pignet rédaction Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Le New Burlesque est présenté comme un art issu d’un mouvement féministe. L’idée est séduisante : la femme peut se sentir belle en-dehors des canons contemporains, elle se ré-approprie son corps, elle le maîtrise au point d’en user comme d’un outil de séduction, mais parce qu’elle le souhaite et à sa manière.

L’idée est séduisante donc, quand dans certains quartiers, les jeunes filles s’habillent, jurent et crachent « comme des bonshommes » pour se protéger de leur regard. Un aboutissement du féminisme serait donc d’être libre d’être sexy sans pour autant être considérée comme une idiote, pour ne pas dire comme une pute.

J’ai vu le spectacle et j’ai participé au stage proposé par les filles du Cabaret New Burlesque accueillies il y a quelques jours par Bonlieu Scène nationale. J’y suis allée en me disant qu’elles m’invitaient à assumer une féminité refusée par toute une vague féministe au motif qu’elle était orchestrée par les hommes, mais qu’aujourd’hui nous pouvions la maîtriser.

J’en suis sortie mitigée. Bien dans mon corps, certes, mais sceptique sur le fond.Les filles de la troupe, cinq artistes aux physiques et aux personnalités très différents, nous ont rappelé que le New Burlesque était fait par des femmes et pour les femmes. Or le soir dans le public du spectacle, les hommes étaient nombreux et leur réaction dans l’ensemble plutôt primaire : ils étaient contents de voir des femmes se déshabiller. A leur décharge, la provocation ou le décalage attendus n’étaient pas toujours présents.

Certains numéros sont des stripteases tout à fait classiques, qui vont même jusqu’à jouer avec des hommes du public.
D’autres effectivement sont plus engagés : Dirty Martini, moulée dans un drapeau américain, représente la justice les yeux bandés. Sur la chanson « proud to be an American » (fière d’être Américaine), elle finit par avaler des poignées de billets verts et sort de scène sur un doigt d’honneur.

Dans un autre style, Julie Atlas Muz s’amuse des codes du striptease avec une fausse main qui la déshabille et la tripote sans vergogne.
La soirée est rythmée par une maîtresse de cérémonie décomplexée et bourrée d’humour, qui pose une tour Eiffel sur son tabouret avant de s’asseoir au piano pour nous interpréter une chanson sur son pussy cat.

Au final, on rit beaucoup, on admire les femmes, les prouesses, la grâce ou l’humour. Sans doute est-il bon de s’amuser ensemble -hommes et femmes- des représentations de l’érotisme. Mais nous en ririons sûrement plus volontiers encore si la femme n’était plus exploitée sexuellement de nos jours et si les comportements masculins abusifs et violents n’étaient plus une fatalité. Je ne suis pas sûre non plus que le message sur la liberté de la sexualité féminine soit compris.

En allant plus loin, on peut même se demander si, à la place d’un symbole d’émancipation, cela ne participe pas à la soumission à un nouveau diktat, celui de la femme ostensiblement sexuellement libérée.

Au cours du stage, nous avons appris, outre quelques mouvements de base, à prendre soin de nous et à fabriquer de petits accessoires coquins. Cette importance de l’apparence, ce souci de combler érotiquement son amoureux/amoureuse, peut laisser penser que la femme redevient une « vraie femme », selon d’anciennes valeurs qui ont été combattues, mais de son plein gré ?

L’esprit New Burlesque encourage certes chaque femme à développer sa propre personnalité, il prône également une solidarité féminine, mais il y a une grande différence entre le discours, ce que j’ai vu, et les réactions suscitées. Quelle place peut-il avoir dans le combat féministe, à une époque où l’égalité est bien loin d’être acquise, où le discours sexiste est quotidien, et où les violences faites aux femmes sont en nombre insupportable ?

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