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Artiste du vertige

Rencontre avec Alexis Di Maggio

mardi 16 octobre 2012 par Amandine Crey rédaction CC by-nc-sa

Rencontre avec Alexis Di Maggio, un artiste calme et discret, dont l’œuvre à l’image de l’univers de son auteur fétiche Philip K. Dick explore la notion de modification, de manipulation de la réalité. Ce trait répétitif et vertigineux donnant l’illusion du volume, du mouvement, nous entraîne dans une traversée, un voyage initiatique où chacun peut être un autre.

Comment es-tu venu à la pratique artistique ?

J’ai suivi l’enseignement des Beaux-Arts d’Annecy un peu par hasard. J’avais un ami qui y étudiait, j’aimais la façon dont il me parlait de son expérience, de son apprentissage alors j’ai postulé. A l’époque la politique de l’école était de favoriser les étudiants originaires d’Annecy, avec mon bac en électro et sans plus de connaissance sur l’art, sans le profil, j’ai été pris.

Aux Beaux-Arts, on acquiert des connaissances théoriques généralement orientées vers le courant dominant comme l’Esthétique relationnelle à la fin des années 90. Le discours est plus important que les savoir-faire. L’art demande du temps, au début on n’y comprend rien, on se questionne, il faut que le regard s’affine, c’est une formation continue d’autant que de nouvelles formes, de nouvelles expérimentations apparaissent sans cesse.

Je me suis intéressé à de nombreux médiums, photo, peinture, dessin et sculpture, puis peu à peu je me suis détaché de certains. J’ai obtenu mon DNAP (Diplôme National d’Arts Plastiques) à Annecy puis j’ai poursuivi aux Beaux-Arts de Nîmes pour le DNSEP (Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique). Une fois mes études terminées, je suis revenu sur Annecy. Comme il est difficile de continuer à faire du volume en dehors du cadre de l’école, je me suis consacré plus exclusivement au dessin qui offre de nombreux avantages.

Parle-nous de ton travail, de tes inspirations.

Je n’ai pas de réels souvenirs de l’origine de mon travail, je collecte des anecdotes, des impressions et les greffe peu à peu à mon histoire. En première année, j’ai ouvert un livre d’art qui était consacré à Henri Michaux (1899-1984), j’en ai oublié le titre mais il m’est resté une représentation de petits cercles. Je pense que les premières choses qui nous plaisent nous marquent profondément mais il faut du temps pour digérer leur influence, d’autant plus lorsque les sources sont éloignées de nous comme pour Michaux qui appartient à une époque dont je ne possède pas toutes les clés.

J’ai alors commencé mon travail sur le cercle, le geste, la répétition, le vertige. Au début, j’utilisais des feutres et des feuilles de différentes couleurs que je retravaillais à la peinture. J’ai présenté ce premier travail au sein des Beaux-Arts de Nîmes dans un espace d’exposition dédié aux étudiants. Cette exposition a été très bien accueillie et m’a encouragé à poursuivre dans cette voie. De retour à Annecy, j’ai pris un petit atelier. De lui-même mon travail s’est affiné, le pinceau m’est tombé des mains puis la couleur a disparu, seul restait le dessin.

Je me suis alors imposé un système contraignant, pas de couleur et utilisation exclusive du cercle. Ce système en apparence très strict offre pourtant une très grande liberté puisque je garde le choix du support (papier kraft, papier aquarelle, papier cellulose non tissé, papier calque…) et de l’outil (fusain, pierre noire, mine de plomb pour la technique sèche, encres pour la technique mouillée). Le support, les outils conditionnent mon dessin, le font évoluer, pas seulement le résultat mais le geste. Sur un papier fin, les passages sont limités car le papier risque de percer, l’utilisation de la technique mouillée demande quant à elle un geste rapide pour ne pas déformer le papier.

La notion d’épuisement est également inhérente à mon travail. Quand j’achète un rouleau de papier, je le découpe en feuilles de même format puis je travaille sur ce support jusqu’à épuisement du stock. Il en est de même de la gestion des outils (fusain, mine de plomb, pierre noire…) que de mes ressources physiques, notamment lors de la réalisation d’un grand dessin mural.

La seconde partie de mon travail s’est imposée à moi lors de ma première exposition en 2005 à Thônes. J’ai eu besoin de me confronter au lieu, de dessiner à même les murs. J’avais participé aux workshops de Niele Toroni (1937-) et Kees Wiser à Nîmes. De Kees Wiser, je conservais le côté systématique que je développe dans mon travail en atelier, poursuivant mon exploration des supports et outils. De Niele Toroni, je prolongeais la réflexion sur l’intervention in situ, travail que je développe lors de mes expositions.

Mon travail mural comme mon travail en atelier est soumis à des contraintes strictes, je me déplace lentement d’un point à l’autre jusqu’à épuisement des limites physiques de l’espace et d’une certaine manière jusqu’à épuisement des limites temporelles puisque le dessin disparaît à la fin de l’exposition. Au début, je décidais de manière arbitraire de la taille des cercles puis une taille naturelle s’est imposée, celle de l’envergure de mon bras. Avec elle, disparaît la contrainte de la préparation, plus besoin de tracer une portée de lignes pour canaliser mon geste, tout se règle de par ma position verticale face au mur. Même si les traits sont parfois moins réguliers, ils sont plus naturels, cette simplification du travail le rend plus évident, plus efficace. Contrairement au peintre Giotto qui réalisa un cercle parfait pour prouver son talent à l’émissaire du Pape Benoit XII, la qualité de mes cercles imparfaits vient de leur quantité. Ma logique s’oppose ainsi à un système de production capitaliste, le geste a beau être répétitif comme celui d’un ouvrier, il ne produit pas de richesse, il est gratuit et éphémère.

As-tu en tête d’autres expériences artistiques ?

Mon travail mural peut d’une certaine façon être comparé à une performance comme lors de ma collaboration avec la danseuse Annabelle Bonnéry qui dirige la compagnie Lanabel. Rencontrée dans le cadre de mon exposition à l’Arteppes, Annabelle Bonnéry s’est enthousiasmée par le bruit de mon dessin et m’a proposé de participer à une version performative de son solo de 9min dans le cadre de l’Exposition « Seconde Peau » au Fort Barraux, en novembre 2011.

Un livre

L’œuvre de Philip K Dick (1928-1982)

Un véritable écrivain dont la vie agitée transparaît dans son écriture et qui utilise la science fiction comme prétexte à parler de la société.

Un film

Margin Call de J. C. Chandor

Un film très beau, formellement très épuré. Une approche humaine et interne de la crise.

Une BD

Le dessin de Marc-Antoine Mathieu

Pourquoi s’arrêta-t-il devant cette petite gravure insignifiante ?

Pour en voir plus :

L’Artothèque d’Annecy possède un diptyque :

Sans titre, sérigraphie, noir et blanc, 70 x 100 cm, 2005.

L’inventaire des artistes plasticiens des Pays de Savoie

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