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The Young Gods, l’âme des sons

lundi 30 décembre 2019 par Lt. Felipe Caramelos rédaction , Tanja Matic photographie CC by-nc-sa

Compte-rendu

Ce vendredi 20 décembre 2019, Le trio fribour­geois de rock électronique « The Young Gods » a célébré la fin de leur tournée européenne anniversaire « 35 ans de carrière » en rentrant chez eux en Suisse. « Come back home » annonçait la presse locale pour ce concert de pleine lune à Fribourg. Ce nouveau gig constituait un événement à ne pas manquer pour les fans de toujours dans ce lieu historique qu’est le Fri-son.

Reconnu comme l’un des groupes de rock suisse les plus importants, « The Young Gods » revenait avec un nouvel album symphonique au titre énigmatique, DATA MIRAGE TANGRAM. Le douzième depuis le magnifique opus Everybody knows de 2010 qui abordait la question de l’avènement d’un nouvel univers mondialisé avec ses richesses et surtout ses dangers : « Un monde à l’envers » comme le montrait la fourrure du vinyle. Rictus était présent au premier rang parmi les vieux grognards et franchement ça sautait de partout et nous avons eu parfois l’impression d’être dans un paquet de popcorns !

Si la question du pouvoir a souvent été débattu dans les groupes de Rock, pour les Young Gods, il n’en est rien. C’est un groupe d’amis qui se connaissent depuis l’enfance, Franz Treichler est le chanteur, le compositeur et l’âme du groupe né en 1985, Cesare Pizzi est au sampler sur le premier album mais remplacé dès 1987 par Alain monod jusqu’à son retour définitif en 2013, Bernard Trontin après avoir refusé deux fois le poste assure la batterie ainsi qu’un dispositif électronique depuis le début de l’année 1997.
Il ne faut pas oublier ici, l’apport important du premier batteur des Swans, Roli Mosimann qui a été le producteur de la plupart des albums du groupe. Franz Treichler note qu’aujourd’hui les Young Gods sont devenus une entité mystérieuse, immuable, intouchable et c’est bien l’impression qu’ils donnent sur scène, une unité, un tout.


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Bernard Trontin - The young gods, Fri-son@Fribourg, déc 2019
© Tanja Matic

Le concert débute par « Entre en la matière », premier titre du dernier album, longue musique d’ambiance, l’occasion de se remémorer les débuts du groupe que nous avions vu à Genève dès 1985 dans le squat « L’Usine », lieu mythique, où jouaient des groupes punks tels que Discolokosst avec leur boite à rythmes, Yodler Killers avec le légendaire Poubelle…
À l’époque, le groupe arrivait avec un nouveau son grâce à ses effets « sampler » qui ont eu un tel effet de surprise que cela a été également un effet doppler, de balayage pour la scène rock de l’époque. Il était en effet devenu possible qu’un groupe Suisse invente un son et ne soit plus le suiveur d’un mouvement créé à quelques milliers de kilomètres, avec The Young gods tout était remis en cause d’autant que leur premier titre « Envoyé » était désigné dans la foulée Single of The Week par l’hebdomadaire anglais Melody Maker.
Une génération de rockers suisses, décomplexés, avaient décidé d’aller plus loin que le Jura.

« Tear up the red sky », les premiers sons déchirent le ciel rouge, chacune des trois silhouettes est doublée d’un faisceau lumineux qui monte depuis le sol jusqu’au plafond donnant une atmosphère fortement Twin peaks (Saison 3) nous invitant à nous transporter derrière le rideau vert qui ondule au fond de nos âmes.

Après avoir été seulement primitive dans les 3 premiers albums : « démonstration de tout ce qu’on pouvait faire avec un sampler en empruntant un peu partout des sons de nos groupes favoris ou dans la musique classique », un état spirituel est présent depuis Only Heaven, le 5me album de 95, avec des titres comme « Donnez les esprits », « The Dream house », « Gardez les esprits », élaboration d’une musique mystique et composée où le processus de création sonore devient moins perceptible.

À un moment donné, pendant le concert, nous avons eu l’impression d’une musique devenant l’interface entre plusieurs mondes, tout sentiment de distance disparaissait entre l’audience et les musiciens. Dans l’assemblée et sur scène se manifestait une présence, une force constituée d’anges, muses. À la fin du concert tout le public sera transporté dans un même rite communautaire de l’esprit du Rock car ce n’est pas seulement par une mystérieuse mécanique que les sons permettent la communication entre le monde sensible et l’autre monde, il est essentiel de mettre du cœur et une intention. Si cela avait été du Flamenco, nous aurions dit que les Young Gods avaient ce soir « El Duende », une grâce imprévisible et passagère accordée par Dieu, donnant le pouvoir temporaire de réaliser des exploits miraculeux.


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Cesare Pizzi - The young gods, Fri-son@Fribourg, déc 2019
© Tanja Matic

Elle danse une « Figure sans nom » nous permet de revenir un peu sur terre, « Elle montre son vrai visage ». Dans une interview, Franz Treichler nous indique que tout a commencé pour lui à 11 ans, l’âge auquel il découvre que la musique est un langage qui va au-delà de tout ce que pouvait proposer l’école : « … un moyen de pénétrer en soi-même, de communiquer, de découvrir des vérités et d’arriver à un état divin, de jeunes dieux… ». Jeune, il apprend d’abord la guitare classique et obtient un diplôme d’enseignement au conservatoire de Lausanne et découvre le rock assez vite en créant plusieurs formations. En 1981, avec entre autres Jacques Schouwey et Heleen Wubbe, il crée la première version de la salle de concerts Fri-Son, à la rue de l’Hôpital à Fribourg. Il y est directeur technique et ingénieur du son lorsque ce lieu alternatif programme des groupes tels que TC Matic, Sex Gang Children, Nirvana, Motörhead … sources d’inspiration pour sa musique qui lui donneront l’envie de construire quelque chose de grand. En 1985, The Young Gods est créé, le nom du groupe est emprunté à un titre du deuxième EP de la formation new-yorkaise Swans mais la vraie signification est dans ce que le nom représente : « … le potentiel que les êtres humains ont de grandir, d’un point de vue céleste sans pour autant se prendre pour Dieu que nous ne serons jamais, juste atteindre un niveau plus élevé que ce qu’on est… ». « You gave me a name ».

« Skin flowers », à fleur de peau, est repris en cœur par le public ! Et ça brasse ! il y a des vagues ! « The night dance ». Difficile de classer la musique des « Young Gods » : Musique expérimentale, Musique bruitiste, Rock industriel, collage, Heavy metal, métissage, Art Sonore ? Give me something more, something like flowers…. L’apport de la maquette réalisée dans le home studio, le souvenir des expériences sonores avec son premier 4 pistes K7, avoir son univers à soi sont des choses qui restent encore présentes aujourd’hui dans la musique des Young Gods, loin de tout système commercial : « Je faisais tout ça dans ma piaule à la rue de Lausanne, à Genève, où j’avais emménagé. Dans l’autre piaule, il y avait Cesare, qui débarquait de Fribourg et à qui j’avais proposé de venir habiter chez moi. En janvier-février 1985, j’ai encore composé quelques morceaux et comme ça le branchait toujours plus, on s’est dit qu’on allait commencer à répéter. On a demandé à Frank Bagnoud, qui avait déjà joué avec Cesare dans État de Choc. Il était partant et on s’est fait héberger dans le local de répète de Copulation et Abt 409, sous la Maison de quartier des Pâquis ». Ce groupe semble pouvoir tout faire, tout vouloir expérimenter… mais ils ne joueront pas ce soir-là le titre « Charlotte », chanson d’un amour fou, pourtant demandé par une partie du public, qui est cette fille ? une nouvelle incarnation de la Nadja d’André Breton ? Dans un entretien, Bernard Trontin semble l’avoir retrouvée à Zurich ? Nous n’en saurons pas plus.


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Franz Treichler - The young gods, Fri-son@Fribourg, déc 2019
© Tanja Matic

« Tenter le grillage » est joué sur un éclairage très intéressant, tout en mouvement, hypnotisant et fascinant, typique du savoir-faire du groupe dans ce domaine qui revendique le concert comme un concept global ! Son, lumière, sensations ! L’espace de la salle de concert est une expérience sensorielle comme ce boomer qui diffuse des bruits sourds (« boom ») pénétrant dans notre corps et d’un chien aboyant (« woof ») sensés nous mettre dans la même situation stressante du migrant qui franchit la frontière pour une nouvelle vie : « Je suis venu pour danser, oh, oh petit frère, pas encore vu la lumière, pas encore tombé par terre aujourd’hui. Tout le monde, tout le monde, tout le monde, tout le monde, tout le monde, maintenant, tenter, tenter, tenter le grillage. Je suis venu pour danser. Oh le désert et les villes de lumières. Et demain la frontière, tenter, tenter, tenter le grillage. Un truc de malade ».
D’origine suisse et brésilienne, Franz Treichler est sensible au métissage de ce nouveau monde. Le fait que son pays, la Suisse est un pays multilinguistique est pour lui un atout qui enrichit ses textes écrits en anglais ou en français, parce qu’il a besoin de fluidité dans les mots choisis, « jusqu’au bout » et « à ciel ouvert ». Les membres de Young Gods aiment alterner entre les différentes cultures qu’ils observent et apprécient lors ces tournées à l’étranger et ils ont tous participé à de nombreux projets collaboratifs pour la danse, le cinéma, le théâtre [1].

Pour terminer ce compte rendu d’un concert qui personnellement fut le plus grand évènement rock de cette année 2019, j’aimerais décrypter dans une ultime tentative le talent de ce groupe.
Dans le titre de leur dernier album, il y a :
 « Data » : Pas de note, pas de mélodie, uniquement une banque de données sonores construite depuis 35 ans de sons inouïs manipulés à l’endroit, à l’envers, ralentis, accélérés, allongés, étirés, martyrisés, libérés, joués sur plusieurs octaves et qui prendront place un jour, espérons-le, dans les archives du MEG (Musée d’ethnographie de Genève). Pétition en cours à signer, De Dieu !
 « Mirage » : Une musique qui vous donne des visions, hallucinations, des images, des chimères et des illusions. Rappelons-nous qu’à la fin du clip vidéo du morceau « Lucidogen », on peut lire le message suivant : « Si dans les sociétés industrielles, les gens utilisent la drogue pour se défoncer et échapper à la réalité. Dans ce que nous appelons sociétés primitives, les hommes et femmes utilisent les plantes hallucinogènes pour avoir accès à la connaissance ».
 « Tangram » : le groupe utilise pas plus de 10 sons pour créer un morceau de musique. Le choix des échantillons est un casse-tête mais aussi un matériel d’étonnement, de surprise qui peut être utilisé de multiples façons et cela avec flexibilité, fluidité et d’une grande originalité créative.

Voilà, nous avons terminé !
Nous de la lune ! Toi du Monde ! Un point c’est tout !

The Young Gods - DATA MIRAGE TANGRAM - Live @ La Maroquinerie 2019
The Youg Gods - DATA MIRAGE TANGRAM - Live @ La Maroquinerie - 2019
© The Young Gods & Two Gentlemen

Notes

[1Musique de court-métrage d’animation « Kali le petit vampire », un disque hommage au compositeur Kurt Weill, Habillage sonore de l’exposition Inner Visions de l’anthropologue Luis Luna, Richard Brush Art Gallery, New York (USA), spectacle musical en hommage à Woodstock…

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