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Tous les cadavres se ressemblent…

lundi 1er juin 2015 par Franz Narbah rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Vous n’avez jamais fumé une Drina ? Vous ne savez pas qui est Joe Sacco ? Le nom de Goražde n’évoque pas grand chose pour vous ?
Pas de pote là bas ? : Riki ? Le Docteur Alita Begovic ? Edin ? La bande des Vilaines ?
Joe Sacco est considéré comme le père de la BD-reportage. Il les connait bien, lui, ce lieu et ces gens.
Et moi je connais Joe Sacco depuis que j’ai rencontré son album "Goražde“ à la Médiathèque près de chez moi.

Petit rappel des faits

Vous vous souvenez quand même qu’il fut un temps où il y avait en Europe un grand pays appelé la Yougoslavie qui avait une frontière avec l’Italie d’un côté, et avec la Grèce de l’autre ? Il a été coupé en six morceaux depuis.

Il y a aussi beaucoup de gens qui ont été coupés en morceaux à cette occasion : Serbes, Bosniaques, Croates, Musulmans (sic), Kosovars, Albanais… Des militaires évidemment, mais aussi des femmes, des enfants, des civils.

Tout le monde s’en est mêlé à l’époque, avec plus ou moins de bonheur et de malheur : les américains, les russes, tous les pays européens, l’Onu, l’Otan, et même Bernard Henri Levy.

Des charniers, des snipers, des égorgeur, des bouchers des Balkans…
Dans quel camps, pourquoi, où exactement ? Entre l’Italie et la Grèce tous simplement. Presque chez nous quoi.

C’est quoi Goražde ?

Goražde était une des trois enclaves bosniaques, avec Srebrenica et Žepa, entourées et assiégées par l’armée de la République serbe de Bosnie.

En avril 1993, elle devient un espace de sûreté dans lequel l’ONU devait protéger la population civile des attaques.

Entre le 30 mars et le 23 avril 1994, les Serbes lancent une offensive majeure. Les deux autres enclaves sont déjà tombées. Pratiquement tous les casques bleus de l’ONU quittent la ville.

Aujourd’hui, pour aller à Goražde en voiture, depuis Genève mettons, il faut faire 1411 km et cela prend en gros 15 heures.

Vous passez la nuit à Zagreb en Croatie par exemple, ou en Slovénie à Ljubljana. C’est très joli.

En deux jours, c’est tranquille à faire. Comme Genève / Madrid en gros (1386 km).

Goražde en immersion

Joe Sacco est un journaliste formidable qui pratique non pas le reportage à proprement parler, mais plutôt le récit : il raconte.

Il est allé là bas, il a rencontré des gens, il a sympathisé avec eux, et il nous raconte ça. Il ne triche pas : il sait par les soirées avec ses potes qui eux se battent, qui eux ont perdu leur famille, ont assisté à des égorgement collectifs d’enfants devant leurs parents, qui ont été amis avec leurs voisins serbes, qui rêvent de bues jeans, de reprise de leurs études, de chansons américaines, de télé et de films en superproduction.

Je ne suis pas fan du dessin de Sacco qui serait un peu du Crumb sans le charme des grosses fesses et de la couleur qui pète. Le graphisme chez lui est devenu une écriture à part entière : on l’oublie.

Mais il m’a pris par sa façon de raconter, par sa sincérité, par son engagement. Sa subjectivité est revendiquée ; et j’ai compris ce qu’il m’a expliqué.

Lui prend la “route bleue“ (sécurisée par l’ONU). Eux restent là bas, se battent, meurent, perdent leurs maisons, leur amis, la vie, tout. Et ils lui donnent tout ça, gratos.

Lui apporte des cigarettes, des jeans, les trucs qu’il peut. Pas grand chose…

Ils prennent ensemble des cuites carabinées à l’alcool local, et Sacco dédie son livre à la ville où il a , dit-il : “…passé quelques-uns des meilleurs moments de (s)a vie“.

Pourquoi ça m’intéresse ?

Mon grand père (patron de bistrot en Champagne) était gueule cassée de la guerre 14 et il est mort prisonnier dans un camps de travail en Allemagne.

Mon père, lui, a été fait prisonnier aussi, mais il était officier (diplôme de dentiste, hop, officier) et il a été approximativement bien traité.

D’autant qu’il parlait allemand et qu’il admirait la langue de Gœthe. Il avait passé une année pendant ses études dans la famille d’un certain Monsieur Klein, un juif berlinois, dont il parlait avec un respect admiratif.

Gamin (je suis un du baby boom), à Reims, j’allais jouer avec mes copains dans le fort de la Pompelle où on trouvait encore parfois des obus de 14 en gratouillant la terre.

Donc, je sais que la guerre c’est chiant. Je suis né dans une région encore toute pleine de cimetières aux croix alignées.

C’était fini cinq ans avant ma naissance et pourtant ça a toujours été pour moi la préhistoire. Et puis à l’école, on m’a dit que c’est l’attentat de Sarajevo qui à déclenché la première guerre mondiale. Et puis mes parents avaient envie d’oublier. Ils ne m’ont pas tellement expliqué. J’ai pas tout compris : pas envie.

En me racontant Goražde, Joe Sacco me parle de gens comme moi, et ça m’intéresse. En fait, la guerre, ce n’est pas loin.

C’est ça. La guerre, ce n’est vraiment pas loin !

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