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L’homme est un loup pour l’homme

vendredi 26 octobre 2018 par Léonie Schroeder rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Cette citation d’Hobbes illustre à merveille le but que Stefan Zweig confère à son livre Le monde d’hier : dénoncer la barbarie européenne qui naît au moment de la première guerre mondiale. Dans son œuvre, l’auteur autrichien de religion juive ne se contente pas d’écrire son testament et de léguer le souvenir d’une Europe épanouie, mais il « raconte le destin d’une génération entière ». Jérôme Kircher et Patrick Pineau sont les premiers à adapter cette œuvre au théâtre.

L’âge d’or européen

Le pièce commence par la description de l’âge d’or européen. Jeremy Kicher nous transporte dans le récit de ce conte, presque trop idéaliste pour être pris au sérieux, avec une mise en scène très très sobre.

Zweig évoque avec bonheur sa vie de bourgeois privilégié dans la Vienne d’avant 1914. Il se rappelle avec une joie contagieuse ses premiers succès d’écrivain à une époque où l’humanisme régnait et où la culture poussait à tous les coins de rue.
La manière dont le récit de Zweig nous pousse à rêver à cette utopie défunte est d’autant plus remarquable qu’il n’est soutenu par aucun décor ou mise en scène. Jérôme Kircher, co-metteur en scène, prend seul le rôle de Zweig pendant 1h10 , seulement accompagné à quelques rares moments par de la musique ou une voix off. Une performance admirable et d’une sobriété parfaite afin de laisser toute la place qu’elle mérite à l’histoire de l’auteur.

L’échec d’une civilisation

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© Richard Schroeder

Par la suite, le récit va s’assombrir pour rapporter la montée du nazisme et l’effondrement de toute une civilisation.

Freud l’avait prédit : « La portion de réalité, volontiers niée qui se trouve derrière tout cela, c’est que l’être humain n’est pas un être doux, ayant besoin d’amour et capable tout au plus de se défendre quand on l’attaque, mais qu’il peut compter au nombre de ses dons instinctifs une grosse part d’agressivité. Par conséquent son prochain n’est pas seulement pour lui une aide éventuelle et un objet sexuel, mais aussi une tentation de satisfaire sur lui son agressivité, d’exploiter sa force de travail sans dédommagement, de prendre possession de ses biens, de l’humilier, de lui causer des souffrances, de le martyriser et de le tuer ».
Cet ami intime de Zweig, dont il parle dans son récit, n’a point été surpris devant tant de barbarie. Selon Freud le mal et ses pulsions destructrices sont présents en nous depuis l’enfance. Freud met en lumière les forces antagonistes, habitant en l’homme, qui s’affrontent dans un combat sans fin. Ces deux forces sont Eros et Thanatos. Eros, pour Freud, tend à rassembler les êtres vivants en unités grandissantes, c’est la pulsion de vie. Dans la mythologie grecque, il symbolise le dieu de l’amour. Thanatos, lui, est la pulsion de mort, d’agression. Il tend à détruire Eros. Il est la personnification de la mort dans la mythologie grecque. Pour Freud, la civilisation est au service d’Eros contre Thanatos et la culture est une digue protectrice érigée sur le renoncement aux pulsions. C’est pour cela que l’Europe, malgré ce mal inné en chacun, a connu une période de bonheur intense. Ainsi, Freud définit la civilisation en ces termes : « sont culturelles toutes activités et valeurs qui sont profitables à l’homme en mettant la nature à son service ou en le protégeant des autres hommes ». Zweig et toute la communauté juive ont beaucoup souffert lors des guerres mondiales, mais l’originalité de son récit est son enjeu. Celui de montrer comment l’homme détruira lui-même son bonheur pour le remplacer par la terreur et la destruction.

Une terreur que Zweig ne supportera pas, il se suicidera en 1942, laissant un message d’adieu qui se termine par ces mots « Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux. »
Cette pièce mise en scène simplement mais remarquablement par Jérôme Kircher et Patrick Pineau dénonce la barbarie encore présente dans notre société.

Article paru initialement sur l’Envolée Culturelle

  • Le monde d’hier :
    le jeudi 15 novembre 2018 à 19h30 MC2, Grenoble

    Texte Stefan Zweig
    Traduction Jean-Paul Zimmermann
    Adaptation Laurent Seksik
    Mise en scène Jérôme Kircher et Patrick Pineau

    Salle Georges Lavaudant

    durée 1h10
    tarif plein 27€ - tarif réduit 24€
    carte MC2 17€ - carte MC2+ 10€
    dernière minute 6€ (cartes MC2+)

    Production MC2 : Grenoble

    localiser

    adresse

    4 Rue Paul Claudel


    Grenoble (F)

Portfolio

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