> Mag > Écritures > Sur les chemins intimes de Michèle Lesbre
L’écrivain Michèle Lesbre, qui vient de publier « Chemins », était récemment à la librairie Passages, à Lyon, pour en parler. L’occasion de comprendre l’articulation avec ses précédents romans... et de se laisser entraîner sur la voie d’un apaisement intérieur.
Que la librairie lyonnaise Passages invite Michèle Lesbre, auteure du tout nouveau Chemins, mérite… qu’on s’y arrête un instant. Surtout si c‘est pour entendre de la bouche même de l’écrivain, l’enjeu de ce dernier livre : « Je clos, avec lui, un cycle commencé avec Boléro [1] celui du Je ». Pourquoi ce sentiment d’achèvement ? « Je suis arrivée au bout… En arrivant à la source ».
Cette source, c’est le père. Son père, mort à 50 ans alors qu’elle en avait 22. Aujourd’hui âgée de 76 ans, elle avoue : « Depuis, il m’a manqué, alors même que, de son vivant, nous ne nous parlions pas ». Voilà pourquoi, après avoir repoussé maintes fois cette idée, après senti ce besoin lui « forcer la main » dans plusieurs de ses précédents romans, Michèle Lesbre a cédé à une nécessité intérieure : aller à la rencontre de ce père mal connu, taiseux, comme « fait pour le malheur » et en guerre permanente avec sa femme, la mère de Michèle.
j’ai décidé de lire enfin ce livre qu’il aimait tant
C’est la vision d’une scène tout simple qui a tout déclenché, raconte-t-elle : un homme lisant debout, en pleine rue, sous la lumière d’un réverbère, et portant sur son visage « une extase incroyable ». L’image lui rappelé celle, fugace mais plusieurs fois entraperçue, du visage de son père parlant des Scènes de la vie de bohème d’Henri Murger (1851), « le livre culte de son adolescence », d’après lui.
Ainsi donc, un autre homme, un lecteur heureux, se cachait derrière la façade du père bougon. « En voyant le lecteur du réverbère, j’ai décidé de lire enfin ce livre qu’il aimait tant, rapporte l’écrivain. Et cette lecture m’a donné l’envie de pacifier nos rapports difficiles ». De fait, un matin, les deux premières pages de Chemins sont venues d’elles-mêmes… Comme souvent chez Michèle Lesbre : « J’écris toujours après un long temps de maturation ».
Les autres pages, qui ont suivi en toute simplicité, présentent ce chemin de (re)découverte du père au travers d’un parallèle formel : en italique, de courts chapitres relatant des souvenirs de l’ancienne petite fille qui lui reviennent en mémoire, réanimés par la fiction (sans italique) qui coule, tranquille, celle d’un voyage en péniche. « C’est d’une grande douceur. Je me suis inventé ce voyage car j’avais besoin de cette douceur. De plus, j’aime la lenteur et le silence ».
Le portrait de ce père, qui émerge peu à peu, pas touches, n’est « pas la réalité », prévient-elle : « Il est tel que je l’ai trouvé à travers Murger. Cela me va. Ainsi, il existe de manière moins douloureuse ». En emmenant son lecteur sur ce chemin intime, Michèle Lesbre partage avec lui cette expérience apaisante. « En vieillissant, on prend de la compassion pour ceux qui nous ont blessé, les souvenirs pénibles n’ont plus la même place, car on en a vécu d’autres ».
Alors, et après ? Un autre cycle va-t-il s’ouvrir par un nouveau livre, totalement différent ? Lequel ? Quand ? « Je ne sais pas encore ce que je vais faire, avoue l’écrivain. Pour l’instant, je lis beaucoup ». D’un sourire doux, Michèle Lesbre semble dire, comme ce Chemins, : prenons le temps, le temps de lire, extasiés et oublieux de la rumeur du monde, sous la lumière d’un réverbère…
Chemins, de Michèle Lesbre, Ed. Sabine Wespieser, 143 p, 16 €.
[1] Ndlr : paru en 2003