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Fri-Son, Fribourg

Le Fri-Son joue encore au père Noël !

mercredi 17 janvier 2024 par Lt. Felipe Caramelos entretien , rédaction , Tanja Matic entretien , photographie , rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu Entretien Reportage

Le Fri-Son est une salle de concert située à Fribourg, en Suisse, née en 1983 du manque d’espaces culturels pour accueillir initialement des groupes des nouvelles tendances, Punk Rock, Dark wave, Funk et autres musiques expérimentales et innovantes. Si nous venons souvent d’Annecy au Fri-Son c’est qu’il doit bien y avoir une raison. La première fois fut un 18 avril 1984 avec un mémorable concert des Sex Gang Children dans la première salle historique de la rue de l’Hôpital. Et c’est donc dans la salle actuelle à la rue de Fonderie que nous nous rendons à nouveau pour le fameux concert de Noël « sold out » avec les sorciers du son : The Young Gods. Mais cette fois-ci, nos contributeurs avait également rendez-vous dans l’après-midi avec la Secrétaire générale, Léa Romanens, personnage dynamique, pour en savoir un peu plus sur ce lieu culturel unique en Europe (Lire ci-dessous l’interview complète). Notre mission était de comprendre les raisons de la réussite d’une association qui fêtait quand même ses … 40 ans d’existence tout en étant financée par des subventions à un niveau modeste.

Le Fri-Son c’est d’abord un slogan « Loud & Proud » … que les acteurs vous répètent avec une certaine fierté du beau travail accompli. Si le Fri-Son existe encore aujourd’hui c’est qu’il a résisté aux conflits de pouvoirs, aux querelles en renouvelant son organisation, et qu’il a su évoluer en groupes de travail autonomes. Le Fri-Son se distingue — fait unique à notre connaissance— par la création en 1999 d’une coopérative Fonderie 13 qui rachète son bâtiment en 2003, le rénove, pour devenir maître de son destin et rester indépendant. L’association se distingue aussi par sa gestion collective et ses valeurs axées sur la cohésion, la formation, l’égalité, le bilinguisme et le travail en équipe.

Fri-son

Un projet qui se décline ainsi en plusieurs valeurs :

Une Gouvernance en Adéquation avec le Projet :
Le Fri-Son est géré de manière collective, ce qui signifie que les décisions importantes concernant la programmation, la gestion financière et d’autres aspects clés, sont prises de manière démocratique, impliquant tous les membres de l’équipe de bénévoles et des 12 salariés. Cette approche favorise la transparence, la diversité des perspectives et renforce le sentiment d’appartenance.

Des Valeurs de Cohésion :
La cohésion est au cœur des valeurs du Fri-Son. En favorisant un environnement inclusif et collaboratif, la salle de concert cherche à créer un espace où les artistes, le personnel et le public se sentent tous connectés et appréciés. La cohésion se reflète dans la programmation diversifiée et dans les initiatives visant à rassembler la communauté musicale locale.

« Fri-Son, on y vient pour la musique, on y reste pour l’aspect social »

Laisser une place importante pour l’éducation et la formation :
Le Fri-Son s’engage à promouvoir la formation et l’éducation dans le domaine musical. Cela se manifeste à travers des ateliers, des conférences, des sessions de mentorat et d’autres activités visant à soutenir le développement des artistes locaux (Fond GibZwei) et à éduquer le public sur la musique. On peut d’ailleurs y trouver à l’étage un magasin Ablette Records qui propose à la vente des vinyles mais aussi des écoutes intimistes dans l’ambiance cosy d’un salon pour des sessions after work, DJ sets et ateliers.

Éviter Toute Discrimination :
Le Fri-Son prend activement des mesures pour prévenir toute forme de discrimination. En adoptant une politique de tolérance zéro contre le racisme, le sexisme, l’homophobie et d’autres formes de discrimination, la salle de concert s’efforce de créer un environnement accueillant pour tous.

Défense du Bilinguisme :
Fribourg étant une ville bilingue (français et allemand), le Fri-Son défend le bilinguisme et s’efforce de refléter cette diversité linguistique dans sa programmation et ses interactions. Cela contribue à renforcer les liens entre les différentes communautés linguistiques de la région. Les équipes du Fri-Son respectent la langue de l’autre et chacun s’applique à comprendre la deuxième langue tout en s’exprimant dans sa langue maternelle.

Valorisation du Travail en Collectif :
La salle de concert valorise le travail d’équipe en reconnaissant que le succès ne peut être atteint que grâce à la collaboration de tous les membres. Cette approche collaborative s’étend à la fois en interne, avec l’équipe de gestion et les bénévoles, et en externe, avec les artistes, les partenaires et le public.

Ainsi, le Fri-Son à Fribourg incarne un modèle de salle de concert qui pourrait s’appliquer plus souvent en France et qui va au-delà de son rôle de lieu de divertissement musical en adoptant des principes fondamentaux de gestion collective, de cohésion, de formation, de non-discrimination, de défense du bilinguisme et de valorisation du travail en collectif. Cela crée un environnement dynamique et inclusif qui enrichit la scène musicale locale, nationale et internationale.

Le concert

Quelques mots concernant nos jeunes Dieux, dès le début de la soirée, l’excitation montait déjà parmi la foule avec la mise en bouche de l’excellent groupe lucernois de Schnellertollermeier aux rythmes jazzy et répétitifs qui s’engage dans des voies expérimentales avec des airs de métronome de Ligeti, les gens sont heureux.

  • Schnellertollermeier
  • Schnellertollermeier
  • Schnellertollermeier
  • Schnellertollermeier



Ensuite les Young Gods apparaissent tour à tour sur la scène pendant l’entracte pour installer et régler une dernière fois les effets, les instruments. La simplicité est de mise avec de petits signes amicaux aux gens qu’ils connaissent maintenant depuis longtemps.
Dès le début du concert, la scène est éclairée de manière suggestive, créant une atmosphère mystérieuse, bizarrement, c’est plus impressionnant que dans leurs concerts précédents. Les visuels accompagnent la performance, avec des jeux de lumières dynamiques, des projections vidéo et des effets spéciaux, contribuant à l’immersion totale dans leur univers sonore. Certaines vues kaléidoscopiques ou effets cinétiques pourraient faire penser aux rushs de l’Enfer d’Henri Georges Clouzot, en tout cas cela pourrait être une nouvelle voie pour leur future expérimentation sonore et visuelle.

Franz Treichler est comme d’habitude, charismatique et énergique, avec un moment très fort émotionnellement lorsqu’il rend hommage à son épouse disparue l’année dernière avec une magnifique chanson jouée en solo. La setlist est composée d’un mélange de leurs grands succès (« Figure sans nom », « Gaseline Man », « Skinflowers »…) ainsi que de quelques nouveaux morceaux.

Le concert se termine en apothéose avec l’arrivée sur scène de la musicienne Émilie Zoé qui avait déjà sorti un disque avec Franz Treichler en 2021, et une salve de deux morceaux puissants et entraînants. L’énergie du groupe et du public culmine, créant un moment mémorable, l’élégant Cesare Pizzi et l’incroyable Bernard Trontin auront présenté à l’unisson ce soir des visages diaboliques, totalement possédés par les sons qu’ils produisent. Épuisés, les membres de The Young Gods peuvent quitter la scène temporairement avant de revenir pour deux rappels, afin de satisfaire les fans de quelques morceaux supplémentaires.

Pour conclure, un concert des The Young Gods au Fri-Son est toujours une célébration mystique, une expérience intense, alliant musique puissante, visuels captivants avec une connexion palpable entre le groupe et son public fribourgeois. C’est une plongée dans l’univers sonore unique et innovant de ce groupe emblématique de la scène post-punk, rock électronique, un live authentique d’interaction spontanée qui diffère toujours de leurs enregistrements studio.


Le père Noël n’aura pas été une ordure cette année !

Entretien avec Léa Romanens, Secrétaire générale du Fri-Son

Quarante ans et encore toutes ses dents ! Le Fri-Son a fêté cet anniversaire en grande pompe avec un méga festival de deux jours en septembre dernier et même avec une visite du Président de la Confédération. Nous avons rencontré, Léa Romanens, Secrétaire générale du Fri-Son qui a eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos quelques questions (intro/outro par Tanja).

Léa Romanens

Tanja : Bonjour Léa et merci de nous recevoir au Fri-Son pour cet interview. Est-ce tu peux brièvement nous raconter ton parcours ? Est-ce que tu es originaire de la région ?

Léa R. : Effectivement, je suis originaire de Gruyères de la région du canton de Fribourg mais j’ai grandi à Yverdon est c’est là que j’ai commencé à travailler dans la culture. J’avais fait beaucoup d’expériences dans diverses salles avec des stages où j’ai travaillé pour des festivals et puis j’ai fait une grande partie du début de ma carrière, 8 ans, à l’Amalgame, salle de concert d’Yverdon. Par la suite, je suis arrivée au Nouveau Monde à Fribourg durant une année où j’ai fait un remplacement dans la programmation. Finalement, je suis arrivée à Fri-Son, il y a bientôt 6 ans en tant que Secrétaire générale.

Tanja : On arrive à la fin de l’année 2023 bien riche en événements... Quel est ton feeling après tout ça ?

Léa R. : C’est assez partagé, j’ai un aspect de grande réjouissance, car il y a eu tous ces événements qui ont été très fédérateurs et qui ont aussi permis de reconnecter avec toutes les personnes qui ont fait Fri-son ces 40 dernières années que j’ai pu rencontrer dont certains que je connaissais déjà mais pas autant que maintenant, de les réunir pendant ce fameux week-end du festival pour célébrer l’anniversaire. Dans le cadre aussi du podcast que l’on a fait, et bien, là aussi, nous avons également reconnecté avec beaucoup de personnes qui étaient dans les premières années du Fri-Son. Tous ces événements se sont très bien passés et j’ai vraiment senti l’esprit très familiale, ce qui m’a fait beaucoup de bien. J’ai eu de très bons retours de ces personnes. Cela permet de se sentir un peu légitime et de se dire que l’on a fait correctement pour honorer aussi pourquoi la salle a été créée. Car ce n’est pas rien d’hériter d’une histoire comme celle de Fri-Son et de s’assurer que l’on fait juste en termes de valeurs surtout par rapport à l’origine de la création.
À côté de ceci, je suis assez épuisée…(rires). Cela a été super intense et j’ai eu jusqu’à présent cette année 1 semaine off et donc là, je suis un peu au bout mais dans une semaine je suis à nouveau en vacances et je me réjouis que cela se termine et que l’on avance dans d’autres projets. Tout était très centré sur les 40 ans et là, devoir continuer en étant sereine et en ayant de la fierté de ce qu’on a pu faire cette année, c’est plutôt positif.

Fri-son

Tanja : Justement, comment est-ce que l’on prépare un événement tel que les 40 ans du Fri-Son ? Est-ce que l’idée du festival que j’ai eu la chance de vivre aussi et du podcast s’est imposée assez rapidement ? (Pour rappel, le Fri-Son avait publié un magnifique livre réalisé pour les 30 ans) … ou est-ce que d’autres idées avaient été évoquées à cet occasion ?

Léa R. : Alors, nous avons commencé à y réfléchir sérieusement au début 2022. On a fait beaucoup de séances de brainstorming avec l’entier de l’équipe ou simplement avec Martina (Martina Kull) qui est la programmatrice du Fri-Son, à réfléchir à ce qu’on avait envie de faire. Mais très vite, la première idée qui était sortie c’était de faire quelque chose autour de la famille Fri-Son. Très vite, nous avons enlevé l’idée de faire un énorme concert d’un groupe international car c’est toujours très compliqué, on ne peut pas compter dessus et c’est un genre de gros stress de se dire si cela va ou pas fonctionner. Donc, nous nous sommes dit tant pis car ce genre de concert existera toujours à Fri-Son mais plutôt se dire comment fédérer et célébrer la communauté autour de cet espace qu’est le Fri-Son.
Le podcast est venu très vite car c’est la meilleure manière de valoriser et mettre en avant ces personnes. Le livre des 30 ans est génial car il retrace l’histoire des musiques actuelles en Suisse à travers une salle comme Fri-Son et on y lit des anecdotes, mais d’entendre les personnes qu’on n’a pas forcément interviewer dans le livre en parler, notamment certaines femmes qui étaient présentes au tout début et qui racontent un peu le rapport à la gestion du bar etc... c’était hyper important de recueillir ces témoignages. Ensuite, d’entendre le son de la voix, on ressent quelque chose d’autre que de lire un livre. Il y a clairement une émotion qui passe qui est assez émouvante.
Pour le festival, on s’est dit que nous sommes quand même une salle de live et qu’on ferait quelque chose avec des groupes suisses qui ont une histoire d’une manière ou d’une autres avec le Fri-Son. Nous nous sommes réunis en collectif pour réfléchir à cette programmation et on a eu la chance monstrueuse d’avoir tous les groupes qu’on voulait avoir. Tout le monde a répondu présent et tout le monde a vraiment voulu participer à ce weekend, jusqu’au point où on a eu 25 concerts en deux jours ! Ce n’était pas une mince affaire mais on ne regrette rien. Ce qui était très important dans le côté communautaire, c’était de faire un festival gratuit, le plus accessible possible et d’inclure tout le quartier car le bâtiment du Fri-Son est au milieu d’un nouveau quartier qui existe depuis quelques années et de dire : « et ben, venez célébrer avec nous ! »

Tanja : et avec une scène dehors…

Léa R. : Oui, avec une scène à l’extérieur, c’était exceptionnel.

Lt Caramel : Alors moi je suis un peu plus vieux, j’ai connu le Fri-Son 1… Comment perçois-tu l’évolution de la musique ramenée au Fri-Son depuis les années 90 avec le punk, post punk et la New Wave et comment tu la situes en particulier par rapport aux influences actuelles ?

Léa R. : La tendance musicale évolue, je dirais et puis après ce n’est pas forcément une salle comme Fri-Son qui définit les tendances. Cependant, ce qui est assez évident c’est quand la salle du Fri-Son s’est créée, c’était dans une mouvance de contre-culture, mot que l’on utilise plus vraiment aujourd’hui, mais avec cette envie de proposer un contenu qui n’était peut-être pas tellement visible ailleurs.
Avec la démocratisation de toute la musique, avec les plateformes de streaming, la musique est devenue extrêmement accessible, tous les styles se sont mélangés et il n’y a plus cet aspect ou certaines musiques sont un peu non visible ou certaines plus que d’autres. Cela a changé dans la perception.
Une des choses qui a toujours été présente dès les débuts à Fri-Son, c’est de proposer un contenu de niche mais d’être ultra inclusif et accessible à tout le monde, et d’essayer de parler à n’importe qui, qui a envie de venir dans cette salle. Et dans ce sens, le Fri-Son a très vite décidé de s’ouvrir tous les styles de musique. Nous sommes quand même la seule salle de cette taille-là dans la région, voir même en Suisse romande si on ne compte pas les « Arenas » et autres, nous sommes quand même la plus grande où il y a cette volonté de proposer du contenu et de remplir une salle de 1200 personnes.

Fri-son

Il faut aussi faire du contenu mainstream que des styles de niches et très alternatifs. C’est assez important pour moi qu’il y a un bon équilibre là-dedans. En revanche, on a aussi défini des sortes de chartes de programmation qui est de faire attention à ce qu’on propose en termes de contenu, par exemple, pas de contenu homophone, ni sexiste ou discriminatoire. Les gros défis sont de faire attention à la parité des genres sur scène, de ne pas avoir uniquement que des hommes (ce qui était le cas pendant très longtemps). C’est plutôt là-dessus qu’on se base plus que sur la question de style de musique.

Lt Caramel : Alors juste une dernière question d’ancien combattant…La scène alternative des années 90 a souvent été associée à des mouvements sociaux et culturels voir politiques. Dans quelle mesure penses-tu que votre programmation reflète encore ces tendances ?

Léa R. : Je pars du principe que tout ce qu’on fait dans la vie est politique, évidemment qu’à Fri-Son ça l’est aussi sans forcément être partisan évidement. Par ailleurs, dans nos statuts, on est apartisan. Mais dans la réflexion qu’on propose, c’est plus l’idée de réfléchir au public qui va venir. Comment tu peux toucher des publics qui se sentent minorisés par exemple ? Avec des programmes racisés sur scène, c’est extrêmement politique et hyper important, car on le voit tout de suite dans la salle, il y a des personnes racisées. S’il n’y a pas et bien on le voit dans le public également.
C’est un peu la même question avec les genres, s’il y a des femmes sur scène, il y a forcément plus de femmes dans le public. Voilà, c’est plutôt de réfléchir dans ce sens-là au niveau politique, en faisant attention à ça, de proposer des contenus pour des populations minorisées et d’être diversifiant.

Lt Caramel : Peux-tu nous partager des anecdotes ou des souvenirs de concerts de cette époque qui ont laissé une impression durable en tant que programmateur ?

Léa R. : J’en ai pleins…Je trouve que les Young Gods, cela doit faire 3 ou 4 fois que j’assiste à leur concert au Fri-Son et c’est à chaque fois une expérience mémorable. Les Young Gods à Fri-Son, ce n’est pas les Young Gods n’importe où. Il y a un truc méga émotionnel, c’est trop beau et à chaque fois avec le public, il y a une sorte de communion de malade. Aussi, durant tout le festival des 40 ans s’est créer une énergie, avec ces groupes qui eux aussi étaient en totale connexion entre eux et avec l’audience…c’est vraiment quelque chose qui me restera en mémoire à jamais.

Lt Caramel : En gardant la grande salle, la bobine en bas et le salon que je trouve magnifique, du coup, quelle est ta politique de détection de nouveaux talents ?

Léa R.  : Ça c’est une question compliquée…En fait, la bobine n’est pas arrivée tout de suite. Elle est arrivée en 2000. Au départ, il n’y avait que la grande salle. Le salon c’est depuis 2 ans. Tout ça est assez nouveau. En fait, il y a plein de manières de se renseigner pour dénicher des talents et même pour les têtes d’affiches parfois, de pouvoir aussi avoir accès à ça.

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Il y a une diversité de styles musicaux que l’on ne peut pas nous seul couvrir le toute, et donc, on s’entoure de beaucoup de gens. On a des personnes de références par style de musique, et on implique le staff aussi là-dedans. C’est aussi d’aller voir le plus de concerts ailleurs. Martina et moi, nous nous faisons 4 à 5 festivals par année, qui sont des festivals de niches. C’est également beaucoup dans les réseaux avec les agences avec qui nous travaillons ou également des labels.

Lt Caramel : Le Fri-Son a ces 3 salles, mais il y a des styles de musique qui ne peuvent pas être diffusées dans n’importe quel endroit ?

Léa R. : Il y a même des styles de musique que l’on ne va pas faire à Fri-Son du tout au carré d’espace. Il y a des groupes que l’on ne programme pas ici car on pense qu’ils n’ont pas leur place simplement pour des questions tout d’abord de lignes artistiques, parce qu’on a un certain public aussi ou pour une question de périodicité en autres. En revanche, il y a parfois des concerts qui matcheraient beaucoup mieux au Nouveau Monde (autre salle de concert à Fribourg) ou à Ebullition qui se situe à Bulle. C’est plutôt de réfléchir en termes de quel espace convient le mieux à l’artiste mais aussi aux spectateurs.
L’espace ici (le salon) est très petit et ce n’est que pour de l’acoustique. Il n’y a pas de sono comme dans la bobine ou la grande salle. La bobine est quand même à 300 places et la grande salle c’est 1200. Pour certains groupes c’est trop petit ou trop grand et du coup pas agréable pour les artistes ou le public. Il y a des styles comme le Ska que l’on fait très peu, cela ne veut pas dire que l’on n’en fera jamais, mais ce n’est pas actuellement un style qui est associé à la salle maintenant. Il y a aussi des concerts qui sont méga calmes et cela nous est arrivé de collaborer avec les théâtres de Fribourg en nous disant que cela serait génial « assis ».

Lt Caramel : Il y a aussi la relation budget qui doit te donner des sueurs froides parfois ?

Léa R. : Des sueurs froides oui, tous les jours ! (rires). Surtout en fin d’année qui est la période la plus compliquée. C’est vraiment le plus gros challenge que j’ai constamment à Fri-Son. C’est très dur car on salarie beaucoup de gens et on a des conditions de travail qui sont très précaires. Je trouve également que les cachets des artistes sont très bas par rapport aux conditions de vie de manière générale. Donc, on est constamment obligé de faire de calculs de rentabilité pour les événements. Il y a des événements que l’on sait qu’on est à perte mais on le fait pour des questions artistiques car cela apporte une plus-value.
Cela étant, on doit compenser avec des contenus qui nous parlent un peu moins comme notamment, des soirées étudiantes qui ne sont pas très intéressantes artistiquement mais qui en même temps ramènent aussi un public qui ne vient pas d’habitude. C’est aussi intéressant d’ouvrir la salle pour ces personnes-là, et puis cela remplit les caisses. Donc c’est un fin calcul qui se fait vraiment quotidiennement.

Lt Caramel : On en parle souvent d’aide en France mais en Suisse, c’est combien la subvention ici ?

Léa R. : C’est 27% du budget. Donc on a un budget d’un 1.8 MCHF et, 27% cela correspond à un peu moins de 500’000 CHF. C’est très peu.

Lt Caramel : Si je peux comparer avec la France, je vis dans une petite ville de 6000 personnes qui reçoit une subvention d’un montant identique alors que c’est bien plus petit que Fribourg.

Léa R. : Mais ça c’est la Suisse. La différence entre les deux pays c’est qu’en France politiquement, les lieux culturels doivent être étatiques. En Suisse, c’est l’inverse, les lieux culturels doivent être financés par le privé. La base du financement doit venir du privé et l’Etat complète. C’est dans la loi fédérale et personnellement c’est un scandale absolu car on part du principe que ce n’est pas d’utilité publique alors qu’en termes de statuts on est d’utilité publique. Nous ne payons pas d’impôts par exemple, peu importe le bénéfice que l’on fait en fin d’année. Mais en l’occurrence, on en fait pas.

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Pour moi, ce qui serait utile c’est que les subventions puissent au moins couvrir les charges fixes, à savoir, les salaires des personnes fixes qui soient des salaires correctes car actuellement ce c’est pas le cas, le loyer, les charges du bâtiment etc.. qui nous permettent au moins d’avoir cette stabilité. Après que l’on puisse être rentable sur des événements, pourquoi pas mais encore que dans certains domaines artistiques tels que le théâtre, la danse performance, on part du principe que ce n’est pas possible grâce à la billetterie.
Pour que ce contenu-là soit rentable même si on veut le proposer, du coup, on paie des subventions, mais pas dans la musique actuelle car on part du principe que c’est du divertissement et que les gens vont venir boire et faire des chiffres au bar, ce qui n’est pas faux (le chiffre de bar c’est 50% de nos recettes). Néanmoins, je rencontre un vrai problème éthique à me dire qu’on fait picoler les gens parce que c’est de l’alcool (et rarement de l’eau gazeuse) qui fait qu’on peut proposer du contenu culturel intéressant… il y a quand même un truc qui ne joue pas.
Moi, je me suis résignée et cela fait 15 ans que je me bats pour ça. J’ai fait de la politique et finalement, je préfère me dire que si l’on fait en sorte que cette salle survive, je ne compte plus sur le politique et surtout pas dans un canton comme Fribourg qui est un canton de droite. J’ai peu d’espoir que le budget culturel augmente ces prochaines années.

Tanja : Il y a eu énormément de grands noms de différents horizons musicaux qui sont passés au Fri-Son, Nirvana, Motorhead, IAM qui va par ailleurs revenir et donc j’aurais le plaisir de photographier…est-que ce tu peux déjà te projeter dans les 10 prochaines années du Fri-Son avec toutes les technologies éventuelles futures, AI etc.. ? Est-ce qu’on aura encore des concerts live pour fêter les 50 ans ?

Léa R. : Je suis convaincue que oui…je ne doute pas une seconde que le live va perdurer car c’est beaucoup trop important pour que la cohésion sociale. Les gens ont besoin de se réunir et c’est sûr et certain qu’il y en aura encore. Du live comment ? Je ne sais pas car je ne suis pas sûre que l’on aura encore de gros concerts à Fri-Son.
Il y a quand même quelque chose qui se créé de très globale avec des gros festivals à grands noms que l’on aura plus accès au Fri-Son et peut-être que l’on va revenir en arrière pour faire perdurer des salles comme la nôtre très associatives. C’est dure à faire des prévisions.
Dans la musique actuelle, on ne subit pas encore trop, car il y a l’expérience collective qui se forme dans une salle de concert, contrairement au cinéma où l’on est un peu seul(e) sur son siège. Un concert c’est un partage monstrueux, il y a une expérience collective qui se forme que l’on retrouve nulle part ailleurs.

Tanja : En effet, on a vu durant la pandémie comment cela a été très dure…

Léa R. : Hyper dure. Nous, en termes de statistiques de fréquentation, on n’a pas de différence avant le Covid et après le Covid.

Lt Caramel : Petit dernière question…je suis d’une génération pour qui la notion de collectif qui était très importante. Est-ce que de nos jours, l’on ne note pas plutôt une sorte d’individualité où je me trompe ?

Léa R. : Oui, je suis d’accord avec ça par rapport à la question du bénévolat par exemple. Quand j’ai commencé il y a 15 ans, tout le monde était bénévole et on ne se posait pas la question. Aujourd’hui, la génération 18-25 ans fait beaucoup plus attention à elle. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle est moins épuisée que nous mais du coup, il y a ce truc d’engagement bénévole qui est totalement différent.
En revanche, cela n’enlève en rien la question collective car si on a autant de gens qui sont motivés à bosser à Fri-Son pour des conditions de travail qui sont vraiment assez précaires et qui ont envie de le faire sans se plaindre, c’est juste pour la question du collectif et rarement pour la question du contenu culturel. Evidemment qu’il y a plein de mélomane dans l’équipe et qui sont contents de voir des shows mais avant tout c’est la question collective, de le faire ensemble avec un but commun. Ça j’y crois encore à fond.

Tanja : En tous les cas, on le sent fortement ici. Moi qui suis personnellement engagée pour la photo et l’accueil des artistes, on sent vraiment ce côté très famille.

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Léa R : Oui absolument, je ne serais pas là 6 ans après s’il n’y avait pas ce côté-là. C’est ça qui fait tenir. Et 40 ans après, c’est assez rare…

Lt Caramel : Oui, on perçoit bien que ce n’est pas focalisé sur une personne en particulier mais un groupe d’individus qui s’est passé le relais à chaque changement d’équipe pour ce projet continue durant 40 ans.

Tanja : Le Fri-Son est l’un des plus anciennes salles de concert de Suisse si je ne me trompe pas ?

Léa R : Il y a la Rote Fabrik, le Fri-Son…mais je crois qu’en vrai la plus vieille c’est Les Caves du Manoir à Martigny…Après, il y en a certaines qui ont ouvert avant mais qui ont fermé depuis.
Sinon dans les 40 ans c’est l’Usine à Genève et la Rote Fabrik aussi ou à une année près. Et puis, par rapport à ces deux endroits, le Fri-Son a décidé de se professionnaliser. L’Usine et la Rote Fabrik sont encore dans des fonctionnements extrêmes de l’associatif. Là, je sens les gens là-bas sont très épuisés et dans des situations pas ultra confortables alors qu’ici, il y a évidemment un manque d’argent avec parfois des épuisements mais globalement, je pense qu’on tient pas mal le cap car il y a eu des décisions de casser cet extrême de l’associatif.
Je trouve qu’on arrive quand même à maintenir cette question de valeur associatif malgré la hiérarchie et malgré que beaucoup de personnes sont payées pour faire ce travail.

Tanja : Merci infiniment Léa pour cet entretien très intéressant !

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