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Les Docks, Lausanne

PIL(e) ? still wonder with love

mercredi 8 novembre 2023 par Lt. Felipe Caramelos rédaction , Tanja Matic photographie CC by-nc-sa

Fin octobre 2023, Rictus et les vieux fans du punk rock et de l’expérimentation musicale se sont réunis au premier rang de la scène des Docks pour assister à un concert de John Lydon, 67 ans, mieux connu comme le charismatique leader du groupe Public Image Ltd (PIL) et ancien membre des Sex Pistols, le légendaire Johnny Rotten. La soirée s’annonçait comme une expérience musicale inoubliable, et elle a largement tenu ses promesses. Son 11e album End of world, est très plaisant à écouter avec une rage propre à John Lydon ; un album de PIL le plus accessible de tous les temps, qui alterne compositions rock classiques avec des morceaux envoûtants, subtils, évoquant les maux du monde moderne. Ce nouvel opus est également un hommage à l’amour pour son épouse, Nora Foster, disparue le 6 avril dernier, avec cette très belle chanson intitulée « Hawaii » qui aurait pu sauver l’Eurovision de sa médiocrité si elle avait été sélectionnée par les Irlandais pour la finale.

Avant le concert, une tension était déjà palpable, avec une banderole installée au balcon face à la scène :
« F**K Disney…This is PIL… and we are the Hero » …

Une déclaration de guerre contre toutes les formes abêtissantes de production industrielle de la culture ? Sans aucun doute, et une nouvelle occasion pour John Lydon de critiquer la série « Pistol » réalisée par Danny Boyle qui a créé un « conte de fées » hors sujet avec des « ados boutonneux » de la banlieue de Londres qui ont des voix de niais, mais sauvés par la musique d’une vie de crimes. Les ex-copains de Johnny Rotten ont préféré — sans l’avertir — obtenir quelques dollars de plus, au prix d’une amitié rompue. Une image bafouée et une gifle à l’authenticité d’un mouvement « Punk » qui revendiquait de vraies valeurs et qui fut un modèle pour toute une jeunesse de rebelles et de musiciens. On regrettera au passage que l’abandon du projet « Who killed Bambi ? », qui aurait eu avec à sa direction Russ Meyer, un autre niveau d’engagement.

Le public a hurlé d’excitation, et l’atmosphère était électrique, mais John Lydon est apparu tranquillement sur scène, vêtu de son habituel style rebelle, avec son emblématique crête rouge, enrobé dans un raincoat faisant apparaître le très beau teeshirt jaune et noir de PIL. Il a salué la foule en déclarant simplement : « Bonsoir, heureux de vous rencontrer ! ». Alors que les lumières s’éteignaient, laissant place à « Penge » :

Le chemin qui prête, sur le chemin au bord de la mer, loin du port, où leurs yeux ne peuvent pas voir… Bienvenue à l’argent ! » …

Souvenir certainement de son enfance vécu dans des conditions difficiles, dans un quartier mal famé en face du stade Highbury du club de football d’Arsenal, lui qui se méfie de cet argent pas seulement sale mais qui achète ton âme et qui change ton humanité, ton rapport avec les autres.
Le groupe a continué le concert avec « Albatross » de l’album avant-gardiste Metal box paru en 1979. La voix distinctive de Lydon, lancinante, chant cryptique, texte presque parlé, a immédiatement captivé l’audience. La fusion de la guitare abrasive, métallique, de la basse groovy et de la batterie puissante a créé un son hypnotique qui a transcendé les générations. C’est l’une de mes compositions préférées de PIL avec, pendant 10 minutes, des montées et des ralentissements hallucinants. Le texte de Daniel Smith est sans doute le plus beau poème évoquant le Spleen depuis Baudelaire.

La performance sur « Being stupid again » de John Lydon est marquée par sa présence scénique charismatique, sa gestuelle provocante, fixant de son regard fou le public en lui disant de manière hilarante :

« Happy hippy-drippy shit … You’re being students again ! All accepters are deads, You’re all stupid again ».

Mots drôles mais sur lesquels nous nous dindonnons sans capter le message d’avertissement pourtant sérieux et d’actualité ! « Give peace a chance ».

Entre les morceaux, John Lydon a souvent pris plusieurs pauses pour partager ses pensées sur le monde actuel, l’état de la musique, et son mépris pour la conformité, tout en suscitant des acclamations et des rires complices. Il y a chez cet anticonformiste une démonstration évidente d’un esprit libre dont l’audace n’a pas de limite.

Mais le contact avec son public reste proche et direct, presque affectueux lorsqu’il lui demande avec humour s’il peut faire une pause pour « fumer une clop juste 3 mn ! », temps qu’il respectera d’ailleurs.

Tout au long du concert, John Lydon et son groupe ont alterné entre les classiques de PIL, tels que « This is Not a Love Song », « Death Disco », « Memories » « Public image » et des morceaux plus récents issus de leur dernier album. Le mélange de rythmes punk, de post-punk, et d’éléments expérimentaux a créé une expérience sonore complexe et passionnante. Il faut souligner l’excellent niveau des membres actuels de PIL, Bruce Smith (Ex-Slits) le batteur depuis 1986, le bassiste Scott Firth depuis 2009, et notamment le guitariste "Lu" Edmonds, (Ex Damned) également membre des Mekons et qui avait déjà collaboré à l’album Happy [1] de PIL. Ayant grandi en Europe de l’Est, Lu Edmonds impressionne en jouant de nombreux instruments : de la guitare électrique mais aussi de la guitare basse, des claviers, du bouzouki, du saz, du cümbüs, du oud et de la batterie, entre autres.

« Je pose des questions sur un nouveau morceau, « Car Chase ». Au sens littéral, la chanson raconte l’histoire vraie d’un de ses amis qui a été interné dans un hôpital psychiatrique pour « son propre bien » et qui a tenté de s’évader à de nombreuses reprises. Mais le cœur de la chanson, dit-il, parle « de l’importance excessive et de l’oubli de cela. C’est principalement grâce à la technologie que les gens commencent à se considérer comme le centre de l’univers. Cela amène Lydon à déplorer une société où l’individualité est étranglée -– une critique familière de sa part. « C’est un règlement qui n’accepte pas les questions », dit-il. « Cela tue la liberté d’expression et toute créativité. Le concept d’égalité est devenu tout aussi banal. Ne vous efforcez pas, ne sortez pas de votre boite. Sur place, il sort une phrase qu’il dit pouvoir utiliser comme futur lyrique : « Si nous créons, nous irriterons l’État / Et l’État éradiquera toutes les idées qui différencient ».
Extrait interview The guardian 07/2023

Concernant Death Disco (version courte de Swan Lake – Metal Box), magistralement jouée à Lausanne, ce n’est pas un single anti-disco comme on pourrait le croire. Dans son autobiographie, Rotten : « No Irish, No Blacks, No Dogs », Lydon a déclaré que la chanson avait été écrite pour sa mère, décédée d’un cancer peu de temps auparavant. « Je l’ai vue mourir », a-t-il déclaré à Select en 1990. « Elle était dure, ma mère. Elle m’a demandé d’écrire une chanson disco pour ses funérailles. Ce n’était pas une chose joyeuse. »

Voir dans tes yeux / Seeing in your eyes
Les mots ne peuvent jamais dire le chemin / Words can never say the way
Me l’a dit dans tes yeux /Told me in your eyes
Finale en fondu / Final in a fade
Plus jamais d’espoir / Never no more hope away

Le point culminant du concert a été le premier morceau du rappel, une version explosive de « Public image » un morceau du « First issue » qui a fait vibrer la salle et rappelé l’impact durable du punk de l’histoire de la rock musique. Le public était en délire, sautant et chantant en chœur : « You never listened to a word that I said, you only seen me from the clothes that I wear, or did the interest go so much deeper, it must have been to the color of my hair ». Comme quoi tout était annoncé dès le début, il suffisait de comprendre les paroles pourtant simples.

On pourra toujours regretter les départs des fondateurs Jah Wobble, connu pour un son de basse infragrave et lancinant, grandement marqué par le Dub (Mixages et sons trafiqués que nous connaissons bien également dans la musique concrète) et Keith Levene qui va abandonner la guitare de Clash pour un synthétiseur et outils de bricolage chez PIL. Mais conserver tant de fortes têtes dans un seul trio aurait fini par faire exploser le groupe.
Néanmoins, durant leur courte collaboration, ils auront créé ensemble un chef d’œuvre absolu : la Metal Box qui a été enregistrée en plusieurs sessions avec différents batteurs. Keith Levine a renvoyé le batteur original de l’album et a joué lui-même le rythme psychotique sur « Poptones ». « Quand vous êtes tous les deux dans des mondes dysfonctionnels et que vous trouvez ce moment étrange et d’une clarté absolue, vous êtes hors du temps et de l’espace », a déclaré le bassiste Jah Wobble :

"C’était tellement vivant, c’était comme regarder le soleil."

Le Punk Rock ? C’est le monde merveilleux du son et du bruit. Si je pouvais faire exploser un volcan en tant que cinquième membre du groupe, je le ferais, mais ce serait très volatile.
John Lydon – Juillet 2023

Ce concert laissera une empreinte durable dans l’esprit des fans. En résumé, le concert de John Lydon et de Public Image Ltd a été une célébration du punk et de l’expérimentation, offrant une performance puissante et mémorable qui a résonné avec l’essence rebelle du mouvement punk.
John Lydon a quitté la scène en lançant un dernier « No Future » avant de disparaitre dans les coulisses, mais il reviendra toujours avec sa fougue, juste un peu plus incliné à chaque fois. Pour les fans de longue date comme moi-même et les nouveaux venus, cette soirée a prouvé que le punk est loin d’être mort, et que son esprit continue de brûler violemment. Finalement, serions-nous les survivants du prochain monde avant une mort prochaine ! [2] [3] [4]

Ash the Ash



Pour terminer ce compte-rendu, il faut noter le fantastique travail de programmation des Docks qui nous
ont encore gratifié d’une excellente première partie : Ash the Ash. Un groupe lausannois qui a rempli sa mission en nous berçant avec des histoires intimes dans une ambiance sonore très psychédéliques.

Setlist
1. Penge (End of world) 2023 / 2. Albatross (Metal Box) 1979 / 3. Being Stupid again (End of world) 2023 / 4. This is not a love song (Single released in 1983) / 5. Poptones (Metal Box) 1979 / 6. Death Disco (New version Swan Lake, Metal Box) / 7. The room I am in (This is PIL) 2012 / 8. Flowers of romance (Eponyme) 1981 / 9. Memories (Metal box) 1979 / 10. Car chase ((End of world) 2023 / 11. The body (Happy ?) 1987 / 12. Warrior (album 9) 1989 / 13. Shoom (What the world needs now) 2015
Et encore
14. Public Image (Public Image first issue) 1978 / 15. Open up (Letfield song) 1993 / 16. Rise (Compact disc album) 1986

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