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Ouvrez la bouche et dîtes : « Sudden infant » !

mercredi 24 mai 2023 par Christophe Chedal Anglay photographie , Tom Rad-Yaute rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu

Trait d’union entre la Suisse et Berlin, le groupe Sudden infant met des décennies d’expérience dans la performance noise au service d’une musique percutante et ultra-créative. Report depuis leur concert à Cave12, le 7 mai dernier.

Le public afflue assez nombreux ce soir-là entre les murs de béton brut. Pas mal de têtes connues. Le groupe qui joue ce soir, c’est Sudden infant – un trio qui a d’abord été longtemps le projet solo du performer vocal Joke Lanz, figure de la scène noise depuis plus de 30 ans nourri des courants artistiques les plus radicaux. En consultant les archives de Cave12, on se rend compte que ce n’est que le troisième concert de Sudden infant dans ce lieu : une fois en solo, puis en 2014 pour le tout premier concert de la version trio et vernissage du premier album ! La découverte et l’écoute de leur dernier disque, Lunatic asylum, a été un vrai choc — je jubile à l’idée d’entendre ces morceaux et de voir le groupe sur scène.



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Stylianos Ou
© Chris Cheadle brit

Comme souvent à Cave12, un projet solo électronique ouvre la soirée. Stylianos Ou est un jeune musicien grec qui manipule avec dextérité et minutie les boutons et poussoirs de ses machines. Il en tire des sonorités souvent très denses, y pose des voix assez théâtrales, de la mélopée langoureuse au hurlement psychopathe distordu. C’est destructuré, un brin schizophrène, mais le moment que je préfère est finalement le dernier morceau, plus pop et classique que le reste du set.

En fond de scène, une grande bannière au nom de Sudden infant, à l’ancienne. Apparaissent Joke Lanz, le batteur-percussionniste Alexandre Babel et le bassiste Christian Weber, impeccablement peigné. Premiers morceaux en tour de chauffe. La musique est immédiatement intense et prenante. Pression constante du duo basse/batterie et le chant de Joke Lanz qui tient en grande partie de la harangue, de l’interpellation au public.

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Sudden infant
© Chris Cheadle Brit
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Christian Weber
© Chris Cheadle Brit

La formule du groupe — basse, batterie, voix, quelques samples — peut sembler minimaliste, sèche. Mais tendre l’oreille à cette musique, c’est aller de surprise en surprise. Au centre : le travail d’écriture et de mise en voix de Joke lanz. Ses textes, en anglais le plus souvent, à partir de phrases piochées ça et là – une réplique attrapée à la volée, un dialogue de film, voire un menu de restaurant. Fragments collés, concassés. Flux ininterrompu d’associations d’idées, dérive lexicale à tous les étages. Autant de poèmes punks cubistes improbables, déroulés avec un flow martelé, théâtral, parfois à la limite du burlesque. Curieusement, le groupe nous rapportait avant le concert [1] l’idée que Sudden infant n’était pas très connu en France à cause de la difficulté de la langue – mais c’est l’exact inverse qui est vrai ! Impossible de rêver mieux comme leçon d’anglais que ces rimes enfantines, cette diction-percussion, ce phrasé au cordeau ! Sur scène, à certains moments, la proximité de sa scansion avec les poètes dub anglais m’apparaît évidente – Benjamin Zephaniah, par exemple — tandis que d’autres moments évoquent plutôt des atmosphères berlinoises à la Blixa Bargeld/Enstürzende Neubauten.

On se presse devant la scène. On danse. On en perd pas une miette. Il faut que je puise loin dans ma mémoire pour trouver des exemples d’autant de virtuosité et d’expressivité – jusqu’à un certain concert de No means no, peut-être.

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Sudden infant
© Chris Cheadle Brit



Le groupe parsème son set de titres tirés des deux précédents albums : « Maybe you’re right », « In this moment », « Rationality », « Fat nipple upright » et le génial, l’excellentissime « Hong kong nursery » – mais tous ces morceaux sont à écouter pour découvrir ce groupe hors du commun et sa créativité débridée absolument réjouissante. Si on me demandait de lui accoler une étiquette, je le rapprocherais volontiers du post-punk – mais pas dans une version schématique, restrictive et figée, plutôt dans le sens de l’explosion de créativité de cette période-là !

Sudden infant se prête même au jeu du rappel. Un moment tenté par l’idée de rejouer son set à l’envers, ils choisiront finalement des titres en fonction des numéros donnés par le public, avant de quitter la scène sous les cris d’enthousiasme. « Jouer ici, c’est comme être à la maison... » dira Joke Lanz après le concert...

Et bien, c’est exactement la même chose pour nous.

Notes

[1Dans une interview à paraître prochainement.

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