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Enchaîner les séances jusqu’à l’épuisement, filer à une soirée jusqu’au bout de la nuit, se lever aux aurores, enchaîner les séances jusqu’à l’épuisement, etc. Tout festivalier qui se respecte connaît le fameux rythme « ciné-soirée-dodo ». Cette année, au festival du film d’animation d’Annecy, j’ai à mon tour essayé de relever le défi, mais avec une difficulté supplémentaire : participer au festival en tant que bénévole. Compte-rendu d’une semaine aussi éreintante que passionnante.

Samedi 13 et Dimanche 14 juin : prologue

J’avais pour projet initial de participer au festival en tant que stagiaire, et non en tant que bénévole. Toutefois, l’administration française étant ce qu’elle est, le lycée où je fais ma prépa lettres a refusé de m’octroyer la nécessaire « convention de stage », d’où le « choix » de me reporter sur l’option du bénévolat. Quel plaisir de constater qu’on nous donne à nous, les jeunes, tous les moyens possibles pour s’enrichir culturellement et se forger une expérience professionnelle !
Bref, passons sur cette petite anecdote et grande injustice ; après moult difficultés, me revoilà bénévole, pour la deuxième année consécutive, au festival d’Annecy, et ça s’annonce très très bien.

10h : Réunion d’information pour tous les bénévoles dans la petite salle de Bonlieu (effectivement petite, trop petite pour accueillir les 350 bénévoles, mais c’est pas grave, le confinement est vecteur de lien social !). Au menu, présentation de la sélection par les organisateurs qui nous expliquent que le cru 2015 sera énoooorme et géniaaaale, petite formation et interminable visite des locaux de Bonlieu. Il est alors 17h et j’ai tout juste le temps de choper la wifi pour commencer à réserver des séances pour la semaine.

18h : Ouverture de la billetterie pour les accrédités sur internet. J’ai bien étudié le programme, noté les séances qui m’intéressent... Je suis paré, je vais tout réserver en un clic !

18h01 : Plus de places pour Vice-Versa, Les Minions, la séance de présentation du nouveau Disney, Phantom Boy et Extraordinary Tales... Heureusement, le festivalier se caractérisant souvent par son comportement moutonnier, certains n’ont pas eu l’intelligence de se ruer sur les séances d’Adama, Avril et le monde truqué et sur des sessions de courts métrages que je peux réserver in extremis.

Dimanche : Gros coup dur pour les organisateurs et pour les mâles que nous sommes : Salma Hayek annule sa venue à Annecy où elle devait être reçue en tant que productrice du Prophète, présenté en ouverture du festival.

Lundi 14 : début des festivités

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Cette fois, ça y est, le festival peut réellement commencer ! Pour ma part, il s’ouvre sur une séance à 10h30, dans la Grande Salle de Bonlieu, où est présenté en compétition The Case of Hana & Alice , long-métrage du Japonais Shunji Iwai. L’esthétique est tout à fait charmante et réussie, mais le scénario des plus décevants. Le réalisateur a opté pour une histoire a priori fantastique voire horrifique, mais prend finalement le parti d’expliquer le phénomène paranormal (il y est question de la mort d’un adolescent qui reviendrait hanter et posséder ses camarades) le plus rationnellement possible, conférant ainsi au film une fin plate si ce n’est mielleuse. « Tout ça pour ça... », se dit-on une fois sorti de la salle.


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Ma mission de bénévole consiste cette année à contrôler les billets et les accréditations pour l’accès à la Grande Salle, un poste où l’on est constamment dans le rush, mais qui offre un avantage certains : la possibilité d’assister à certaines séances. Je découvre donc à 16h le deuxième long-métrage présenté en compétition, Pos eso , film espagnol de Samuel Ortí, dit « Sam ». Là aussi, il y est question de possession (le fils de Trini, danseuse de flamenco célébrissime, est possédé par un esprit maléfique). La technique qui a recours à la pâte à modeler parvient à me convaincre. Le film se veut une comédie décapante. Parfois, c’est vraiment réussi et très incisif – superbe scène satirique à l’encontre du monde de la télévision, royaume du lynchage médiatique débile et de la poursuite du sacro-saint Audimat. Mais d’autres fois, les gags tombent à plat à cause de leur lourdeur. Dommage...


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Ne faisant pas parti – à ma grande surprise ! – des personnalités invitées à la soirée d’ouverture du festival et à la projection du Prophète, j’opte pour Garbancito de la Mancha , une rareté sortie en 1945. Il s’agit en fait du premier long-métrage d’animation en couleur produit à l’extérieur des États-Unis. Le film est présenté dans le cadre des programmes spéciaux sur l’Espagne, pays à l’honneur de cette édition. Si la bannière « Sous la dictature » sous laquelle est estampillée le film dans la programmation me laissait espérer une œuvre contestataire et subversive à l’égard de l’autorité franquiste, je ne peux que constater que j’ai été hâtif dans mon jugement et qu’il s’agit en réalité d’une production d’État colossale, au service du régime, et utilisée à des fins politiques (produire un film fédérateur pour une nation qui doit se reconstruire après la guerre civile). Pour autant, le fait que le film ne soit pas outrancièrement propagandiste (même si la symbolique du film fait sens de ce point de vue là) finit par m’entraîner dans ce conte dont la trame est plus ou moins inspirée du Don Quichotte de la Mancha de Cervantes.

Mardi 15 : Disney, SOS déprime dans les court-métrages et un premier coup de cœur

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Grosse journée, avec quatre séances. Ça commence au cinéma Décavision avec un corpus de court-métrages en compétition (les court-métrages « numéro 2 » de la sélection). Je ne m’étends pas sur le sujet, un très bon article ayant été écrit par l’un de nos contributeurs. Signalons toutefois la très grande noirceur de l’ensemble (mention « déprime » attribuée à Zepo , très réussi par ailleurs) et la proportion non négligeable de films qui ne parviennent pas toujours à communiquer avec le public et qui sont restés pour ma part incompréhensibles (la palme est ici attribuée ex æquo à Haircut et Goodbye Utopia – une explication serait la bienvenue !). Quelques réussites notoires, tout de même : The Master , un très beau face-à-face entre un chien et un singe qui doivent apprendre à (sur)vivre ensemble en l’absence de leur maître. Suleima , superbe témoignage en provenance de la résistance syrienne. Mon court préféré restera Autos Portraits , délirante comédie musicale chantée par des voitures et qui aborde très justement le désastre climatique et la sur-consommation pétrolière (et l’épuisement à venir de la ressource).

16h : Grosse séance événement Disney à la Grande Salle de Bonlieu. Pas facile pour les bénévoles : on court partout, on se fait parfois insulter par des festivaliers mécontents et on commence avec presque 30 minutes de retard. Heureusement, arrive ensuite la récompense tant attendue : je parviens à assister à la séance !

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Celle-ci se divise en deux parties. La première est consacrée à la présentation, en 3D, du nouveau court-métrage La Reine des neiges, une fête givrée . L’occasion de retrouver les personnages du long-métrage : Elsa, Anna, Kristoff et Olaf. Toutefois, ce court s’avère en fait totalement anecdotique, fait sourire à défaut de faire franchement rire. Les rares gags sont exclusivement l’œuvre d’Olaf, toujours aussi délirant, mais qui s’avère ici être le seul ressort comique. A l’arrivée, on peine à cerner le réel intérêt de la chose.

Sont ensuite présentées, en totale exclusivité et en work in progress, les premières images (une petite dizaine de séquences) de Zootopie , prochain long-métrage Disney actuellement en préparation. Si une fois encore le studio cède à l’anthropomorphisme qui a contribué à son succès, cette convention qui veut que les animaux soient humanisés se retrouve ici renouvelée. Aussi la ville où vivent les animaux en question a-t-elle été imaginée par les réalisateurs comme si les animaux l’avaient conçue eux-mêmes (par exemple, les transports en commun y sont adaptés pour chacune des espèces). Mais surtout, les séquences présentées annoncent un film vraiment prometteur, extrêmement drôle et parsemé de gags qui n’ont pas manqué de déclencher de véritables crises de rire dans la salle, à l’image d’une séquence parodique du Parrain où un petit rongeur (appelé « Monsieur Big ») se retrouve dans le costume de Don Vito Corleone et rejoue la scène d’ouverture du film de Coppola. Autre scène irrésistible, celle où le personnel de l’administration des animaux est remplacé par des paresseux qui vivent au rythme de la slow-motion. Le film est annoncé pour 2016, et n’étant pas un fan de premier plan des productions Disney, je dois toutefois reconnaître que j’ai vraiment hâte de découvrir le produit fini.


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Je file ensuite à la MJC de Novel. Si cette salle salle est certes un peu excentrée du cœur du festival, elle aura toujours (ou presque) de la place pour accueillir les festivaliers, dans une ambiance amicale et « à la cool », loin du rythme effréné de Bonlieu (en soi, une belle alternative). Au programme de cette séance, ni plus ni moins que mon film coup de cœur du festival : Adama de Simon Rouby. J’ai déjà écrit ici tout le bien que j’ai pensé de ce film, aussi je n’ajouterai rien d’autre, si ce n’est que le film sort le 21 octobre et que je le recommande à tous, aux enfants comme aux adultes, au grand public désireux de découvrir une histoire envoûtante comme aux cinéphiles exigeants. Un film poétique qui vient prouver que le cinéma d’animation ne saurait être un sous-genre du cinéma !

La journée se termine enfin sur le Pâquier, avec la projection de Pinocchio . Si on peut regretter l’hérésie commise par la VF qui a remplacé le nom de Jiminy Cricket par le ridicule « Jiminy Grillon », cette séance en plein air est l’occasion d’adopter un regard plus objectif sur ce classique des classiques de Disney que je n’avais pas revu depuis ma tendre enfance. La morale du film – il faut être sage, ne pas mentir et obéir, sinon on aura affaire à de vilains méchants – m’apparaît assez simpliste et peut-être un poil trop moralisatrice. Mais je comprends surtout pourquoi Pinocchio m’a autant terrorisé étant : le film est en fait très sombre, beaucoup plus sombre que les autres Disney, et les scènes avec Stromboli, le cocher de l’Île Enchantée où les enfants sont changés en ânes, et la terrifiante baleine sont toujours aussi efficaces aux yeux des plus jeunes.

Suite de ce compte-rendu du festival du film d’animation d’Annecy dans un prochain article.

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