Rave Tapes est le 8e album studio de Mogwai. Seulement huit s’interroge-t-on ? En effet, ce chiffre peut surprendre vu la grande quantité de titres qu’ont publiés les Glasgowégiens. Durant près de 20 ans, ils ont ponctuellement su maintenir l’intérêt en publiant des EP et des compilations qui sont de la qualité de leurs albums studios.
On pensera notamment au « Government Commissions » ou encore au EP+6. Mais ça ne s’arrête pas là car ils ont signé la musique du documentaire « Zidane, un portrait du XXIe siècle » – oui, ils sont footeux jusqu’au bout des crampons – ainsi que celle de la série évènement « Les Revenants » sur Canal+. Ils ont également participé à la BO de « The Fountain » de Darren Aronofsky. « Rave Tapes » n’en reste pas moins le 8e album studio d’un groupe ayant près de 20 ans de carrière. Qu’en penser ?
Lors de l’annonce de l’album à l’automne 2013, Mogwai a lâché un premier morceau qui, il faut le dire, a su mettre l’eau à la bouche et l’attente fut fébrile. Dans « Remurdered », le combo a su frapper juste et fort : ça sentait le Mogwai, ça avait le goût du Mogwai et pourtant il y a plus. L’album est à l’image de ce titre ; non que tous les titres y ressemblent, loin de là, mais par le fait que Mogwai assume son passé tout en en faisant évoluer leur musique. Comme à leur habitude, le nom des titres ne veut rien dire si ce n’est peut-être par sa musicalité.
L’intro du premier titre de l’album, « Heard About You Last Night », évoque le travail fait sur la musique des Revenants notamment par l’ambiance que donnent les percussions. Et on se sent immédiatement transporté dans leur univers musical : un son spatial, onirique presque, transporte l’auditeur sur les berges de leur monde. Le deuxième titre de l’album, « Simon Ferocious », est un de ces titres dont le groupe a le secret : toujours sur le point de tout lâcher mais restant sous contrôle.
Le monumental « Remurdered » n’est rien de moins que du Kraftwerk à la sauce Mogwai avec une teinte de Goblin. C’est d’ailleurs le titre le plus jouissif de l’album. La basse, qui se fait de plus en plus progressive au fur et à mesure des albums, porte ce morceau. Les guitares viennent ajouter leurs différentes textures avant que le titre se fasse plus electro et qu’une mélodie clavier prenne le pas sur le tout. Il y a fort à parier que ce titre soit le point d’orgue des concerts de Mogwai lors de la tournée de cette année, tout comme il l’est dans cet album. Ce morceau est vraiment génial !
En restant tout aussi puissant, « Hexon Bogon » ne fait pas pale figure à la suite d’un titre aussi intense. Ce morceau débute par une intro arpégée de Brainwaithe, le groove progressif de la basse de Aitchinson, toujours aussi efficace, entre en action avant de relâcher la bride pour nous emmener dans un mur sonore noisy. Puis suit « Repelish » qui est construite autour d’un sample dans lequel « Stairway to Heaven » est cloué au pilori par un intégriste religieux : son discours s’appuie sur la légende urbaine qui veut que si l’on joue le disque à l’envers, on peut entendre Robert Plant prononcer des paroles sataniques.
Et la musique de Mogwai emballe le tout de manière quelque peu ironique avec des sons évoquant une certaine implacabilité comme disant « cause toujours, tu m’intéresses ». Le groupe développe une mélodie utilisant la sonorité des mots prononcés pour ponctuer la musique, ce qui n’est pas sans évoquer le travail qu’ils ont effectué en réutilisant les propos d’Iggy Pop dans « Punk rock : » sur « Come on die young ». Lorsqu’ici, le sample se termine sur « And you, what do you choose ? », on sait parfaitement la réponse de Mogwai et la confirme dans le titre suivant.
« Mastercard » dont la rythmique rappelle un peu Fugazzi est tout en puissance rock. À la suite, on trouve un « Deesh” très planant dont le groove monte en intensité sans jamais éclater, toujours sur le fil alors qu’ils auraient pu facilement céder à la facilité en le noyant sous le tumulte dont ils ont le secret.
Les trois titres de fin de l’album peuvent être appréhendés d’un bloc. Il y a tout d’abord « Blues Hour » qui commence sur une ballade atmosphérique tournant autour d’un piano un peu mélancolique. C’est le titre chanté de l’album : c’est le slow mogwai-esque présent sur chaque album, à la manière d’un hommage à une époque malheureusement révolue. On retrouve le chant fragile de Brainwaithe qui est remplit d’une grande mélancolie. Après 4 minutes le mur de son apparaît en toile de fond ajoutant encore au sentiment nostalgique S’ensuit « No Medecine for Regret » qui rappelle légèrement l’album « Happy Songs for happy people ». Et finalement dans « “The Lord is Out Of Control », on retrouve ce chant mixé à des sons aquatiques comme dans « 2 Rights Make 1 Wrong », qu’ils interprètent lors de quasiment à chaque fois qu’ils sont sur scène, mais ici mélangé aux différentes textures comme on le ferait avec une peinture.
Depuis le début de leur carrière, Mogwai a toujours livré une musique de très grande qualité et un son qui lui est propre, quasiment parfait depuis le début. Souvent associé au mouvement post-rock, ils refusent cette étiquette valise où on retrouve des groupes comme Tortoise, Mono ou encore Godspeed ! You Black Emperor qui, il faut le dire, n’ont pas grand-chose en commun. Mogwai a toujours su suivre sa voie au confluent de différents genres comme le rock progressif, le shoegazing ou le metal instrumental : leurs influences sont à chercher du côté de My Bloody Valentine et de Slint.
Leur musique très dynamique peut passer d’un paysage sonore tranquille et un peu triste à la violence la plus extrême. D’ailleurs, leurs concerts finissent généralement en un chaos de larsen. Un volume sonore soutenu est aussi nécessaire. Il y a trois volumes sonores : le normal, l’élevé et celui auquel on écoute Mogwai. Non qu’il soit forcément plus puissant mais leur musique prend une tout autre ampleur lorsque le volume atteint un certain palier et semble remplir tout l’espace. Petit à petit, Mogwai s’est calmé, au grand dam de certains, pour développer des mélodies moins complexes mais paradoxalement plus riches. Cette apparente simplicité fait que le quintet est parfois regardé de haut pour son côté parfois répétitif mais c’est occulter qu’il y a toujours une évolution dans leur son au travers de chaque album. « Raves tapes » s’inscrit parfaitement dans cette dynamique. Si on voulait vraiment pinailler, on pourrait dire que le groupe ne se ré-invente pas. Mais c’est d’ailleurs la principale critique que l’on fait aux grands groupes qui ont leur son et qui sortent des albums toujours aussi bons mais qui déçoivent un peu à la première écoute parce qu’on n’a pas le cerveau mis à l’envers. Et cet opus ne déroge pas à cette règle.
De par son excellente qualité, « Raves tapes » semble tellement évident que l’on n’est guère surpris au premier abord. Par contre là où Mogwai fait fort c’est d’avoir inclus un titre comme « Remurdered » où cette évolution est plus radicale. On constate que le travail sur les bandes originales paie aujourd’hui et il faut aussi noter le parti pris en faveur des claviers. Si chaque titre évoque le passé musical de Mogwai, « Rave tapes » est un album différent des autres : la violence sonore se fait plus discrète pour faire place à une force tranquille mélangeant grâce et beauté avec une grande confiance en soi. A la façon de « Repelish » ils savent faire un bras d’honneur à ceux qui prétendent toujours tout savoir et tracent leur propre voie.
Un magnifique album même si on a certainement là ce qui va être une des pochettes les plus laides de 2014.
Chronique d’album initialement parue sur Lord of Rocks