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« Ce n’est pas toi que j’attendais » est une bande-dessinée autobiographique écrite et dessinée par Fabien Toulmé, publiée par Delcourt le 8 octobre 2014. Il y raconte quatre années de sa vie qui gravitent autour de sa fille Julia, atteinte du syndrome de Down, mieux connu sous le nom de trisomie 21.
Fabien Toulmé ne sait pas se fixer : il déménage régulièrement, ne veut pas s’inscrire dans une routine. L’ouvrage débute par quelques planches dans les années 1980, pour expliquer son premier contact avec un enfant trisomique, alors qu’il était lui aussi enfant. On le suit ensuite au Brésil avec sa femme et sa première fille, Louise. Sa compagne est enceinte, et déjà, les premières craintes se font sentir : il a peur d’avoir un enfant malade. Mais les premières échographies sont normales, et un médecin brésilien expliquera qu’ils ont « plus de chances de gagner au loto » que d’avoir un enfant avec une malformation.
Quelques mois plus tard, Fabien et sa femme arrivent en France, pour vivre en Seine-Saint-Denis. Le futur papa de Julia vit cependant toujours dans l’angoisse : et la succession de spécialistes qui surveilleront la grossesse n’aura de cesse d’expliquer que tout se passe pour le mieux.
Cependant, les doutes redoublent quand le cœur du bébé se met à battre irrégulièrement, et que la césarienne s’impose. Quelques heures plus tard, une infirmière annonce que l’accouchement s’est bien passé, délivrant ainsi Fabien Toulmé… Jusqu’à ce qu’il aperçoive la petite Julia, son visage plat, et sa nuque trop droite. Les craintes s’immiscent de plus belle, quand une cardiologue confirmera à demi-mots le pronostic du papa : Julia est atteinte d’une tétralogie de Fallot (malformation cardiaque), symptomatique de la trisomie 21.
La suite de la bande-dessinée consiste en un long combat de Fabien Toulmé contre lui-même : il refuse la maladie, il refuse de voir sa paternité en ce bébé, il refuse une vie complexe qui s’annonce pour lui, sa femme et sa fille. Jusqu’à souhaiter, dans les premiers jours, la mort de Julia. Elle n’était pas celle qui était attendue par l’auteur, et pourtant, elle finira par être « son cadeau ».
Ce titre s’impose tant cette autobiographie est crue. Fabien Toulmé ne nous épargnera rien – car il ne s’épargnera pas une seconde. Souvent, les autobiographies tombent dans un écueil : la rétrospective s’accompagne d’une rectification des faits, souvent à l’avantage de l’auteur. Ici, il n’en est rien – du moins, c’est l’impression donnée. Les réactions de Fabien Toulmé pourront être extrêmes : le souhait de la mort de sa fille, sa colère contre les médecins qui lui auraient « caché » la vérité, sa jalousie envers les parents qui ont des enfants qu’il dit « normaux »… La colère et la haine parlent, figées dans l’instant des faits.
Et c’est à l’honneur de l’auteur : le lecteur peut-il vraiment ne pas avoir de préjugés sur la trisomie 21 ? Peu de gens ont réellement dû faire des recherches sur cette maladie, et le regard porté sur les personnes qui sont atteintes peut être étrange, plein d’incompréhension. La colère, les mots de Fabien Toulmé sont si forts que le lecteur en vient à oublier ses propres préjugés : le papa semble vouloir qu’on le condamne pour tous les a priori, ses a priori. Il est un bouc émissaire : il va se charger – volontairement – de tous les commentaires néfastes, toutes les opinions préconçues, pour que le lecteur ne culpabilise pas lui-même. Ainsi, quand on lit Ce n’est pas toi que j’attendais, on oubliera ses idées premières, on se concentrera sur les émotions, sur la vérité, sur les conséquences de la trisomie 21.
Tout ce propos sur la maladie et cette histoire réelle sont servis par leur support, et il est difficile d’imaginer cette histoire dans un autre format. L’ouvrage est divisé en une quinzaine de chapitres d’environ 15 pages chacun, s’ouvrant à chaque fois sur une citation issue dudit chapitre, et une image, un fragment de mémoire très épuré. Chaque chapitre est un camaïeu : Fabien Toulmé aime les couleurs chaudes, et chaque évènement positif sera dessiné dans des tons verts-clair, jaunes, orangés. Au contraire, tout ce qui le pèse sera teinté d’une couleur marron, bleue – des nuances fades et tristes.
La bande-dessinée contient des dessins de sa vie « réelle », mais il inclura aussi des dessins de métaphores (« enfoncer le clou », « le poids de la maladie » seront des notions à prendre au premier degré !). Cela permettra de calmer la violence de certains passages, de parler plus facilement à chacun, et aussi d’ajouter un sentiment « d’irréel » au tout, comme si ce qu’il lui arrivait ne pouvait pas lui arriver.
Enfin, le dessin est simple mais plein de détails : tout semble crédible, on reconnaît notre quotidien, et pourtant, on arrive toujours à se focaliser sur l’essentiel.
Ce n’est pas toi que j’attendais est le premier album de l’auteur : et quelle réussite ! L’œuvre a nécessité deux ans de travail, et les efforts ont porté de magnifiques fruits ! L’introspection a sûrement été une thérapie pour ce père, et est une magnifique leçon contre les préjugés pour son lecteur ! On pleure, on rit, on frissonne au gré des évènements vécus par l’auteur, et on sera marqués par la beauté de ce titre qui trouve sa fin dès la page suivante :
« Ce n’est pas toi que j’attendais… Mais je suis quand même content que tu sois venue. »
Article initialement publié sur le blog l’Envolée culturelle