Le lundi 21 mars dernier, j’ai fait un baptème de concert blues.
En tous cas, c’est ce que je me dis, parce-que voir Otis Taylor alors qu’on n’est pas spécialement portée sur ce genre de musique constitue pour moi une excellente porte d’entrée... que j’ai bien envie de laisser grande ouverte.
Il y a quelque chose que j’adore avec mon travail [1], c’est la découverte-musicale-qu’on-n’attend-pas-mais-alors-pas-du-tout. Otis Taylor, je ne connaissais pas jusqu’à ce que je lise un petit article dans le feu magazine « Vibrations », qui portait sur l’album de 2013 My world is gone.
Et bim ! Sous le charme, je suis l’actualité du gazier depuis ce temps-là.
Parallèlement à tout ça, la vie fait que je regarde la programmation des salles autour de chez moi...et je vois que Mr. Taylor passe dans la région en Mars, à l’occasion de la tournée de son dernier album Hey Joe Opus Red Meat. Très bien : voilà un concert qui me rend curieuse, je me prépare donc...ou plutôt, je ne me prépare pas à aller voir tout ça.
La salle est loin d’être pleine, je parviens facilement à me placer tout devant la scène. La moyenne d’âge du public présent doit tourner autour de 50 ans. Tout est très calme. Serein.
Olivier Gotti ouvre les hostilités. Les hostilités, oui, parce-que le public attend clairement Otis Taylor, pourtant il parvient, en l’espace de 2 morceaux à forcer le respect du public présent, seul, assis avec sa guitare lapsteel et une énergie faussement froide. Il ne tombe jamais dans la prouesse technique stérile et transmet bien quelque chose de fort, corsé, surprenant. Le set monte en puissance, et lorsque le dernier morceau touche à sa fin... C’est trop court, on resterait bien encore un peu !
Après une bonne demi-heure d’attente, à se demander ce qui se passe, voilà Otis Taylor qui approche à petits pas, avec ses musiciens : violoniste, bassiste, batteur.
Le silence tombe dans la salle alors que le guitariste s’accorde ; on sent bien qu’il y a eu quelque chose qui glacerait presque l’ambiance ; on hésite à se laisser aller à un enthousiasme franc...
« Ca va ? » lance une voix du public.
— Pas du tout. Mais dès que je pourrai jouer, ça ira bien mieux !
Tension, donc.
Et puis ça commence. Un morceau pour se mettre en condition, et puis... c’est parti pour un concert à l’américaine. Les morceaux se suivent, s’enchaînent, chacun y va de son petit solo et puis voilà, au bout d’une heure, c’est fini.
C’est tout ? Oui. Encore une fois, les shows à l’américaine ne laissent pas vraiment de possibilité de traînasser, de se perdre en conjectures. On est là pour voir et entendre de la musique, alors on voit et on entend de la musique. C’est carré, propre, nickel.
Il faut aussi voir l’énergie de la violoniste, qui apporte réellement un soutien à la musique de Taylor. Elle rattrape le coup lorsque le guitariste se perd un peu, lorsque la chaleur qui monte avec le concert semble sur le point de s’éclipser.
Il faut voir la connivence entre Taylor et les musiciens. C’est un bluesman qui est annoncé, mis en avant sur l’affiche, mais ce qui se dégage sur scène pourrait faire penser à une bande de potes qui se retrouverait pour jouer ensemble, un soir. Il y a la musique, mais aussi cette chaleur, les rires ensemble sans pour autant que cela ne tourne à l’entre-soi.
Il faut voir Otis Taylor jouer pour les gens, très près d’eux. Il faut le voir aller dans le public en chantant, avec ses petits pas, et puis s’excuser de devoir s’arrêter si vite (mais il y a un couvre-feu), partir et puis revenir, pour un dernier chant avec cette voix qu’on croirait venue d’un désert sec et venteux.
Quand tu sors de la salle, tu vois les gens avec le sourire aux lèvres, les oreilles flattées et l’âme encore pleine de cette énergie chaleureuse. Tu vois ça et tu réalises que toi aussi, c’est bon, toi aussi tu as tout ça...
Texte rédigé rendant compte du concert de l’Epicerie Moderne, à Feyzin (69). Les photos ont été prises à l’Espace Jean Blanc de la Ravoire (73) à quelques semaines de distance.
[1] NDLR : Anne travaille dans une médiathèque.