> Mag > Cinéma > Annecy 2012 - Jour 3
La troisième journée de festival débute sous la pluie. Finalement, en milieu de semaine, ce n’est pas plus mal, ça permet d’aller voir plein de films, de se poser deux heures au café et d’oublier les crapahutages dans la chaleur. On sortira moins ce soir, et on sera d’autant plus d’attaque demain.
Aujourd’hui donc, un programme plus varié que les deux premiers jours, avec un Work in Progress, des courts-métrages en compétition (sélection n°3), une fin de conférence avec des scénaristes sur-motivés, ainsi qu’un long-métrage.
« Extraordinary tales » est un long-métrage actuellement en production, qui regroupe cinq contes d’Edgar Allan Poe (The fall of the house of Usher, The tell tale heart, The facts in the case of Mr Valdemar, The masque of the red death, The pit and the pendulum), adapté en animation. Stéphane Roelants (producteur), Raul Garcia (réalisateur), Serge Umé (de chez Digital Graphic, pour le compositing), Cédric Gervais (assistant réalisateur) sont présents dans cette séance modérée par Dimitri Granovsky.
L’idée de départ vient évidemment d’un fan de l’auteur Edgar Allan Poe, et également de l’envie de faire un film d’horreur, en réaction à la profusion de comédies cartoon que l’animation préfère produire. Raul Garcia a cette envie enthousiasmante de créer quelque chose de différent, que ce soit sur l’intrigue mais aussi à l’image, aujourd’hui bien souvent lisse, 3D, colorée et réaliste. Même les voix ont été castées de manière à se différencier des productions "habituelles".
Le teaser du film in progress montre effectivement cinq styles d’animation différentes et peu utilisées. Chaque conte a son propre style, ses codes couleurss, depuis un noir et blanc tranché jusqu’à la peinture... Cinq histoires se racontent avec cinq voix différentes selon le réalisateur. Mais c’est bien un seul réalisateur qui gère ces cinq manières de raconter.
Ces différents styles ont en commun les recherches faites en préambule, orientées, selon le conte, vers différentes sources d’inspiration de Raul Garcia - du cinéma expressionniste à la peinture, en passant par la bande-dessinée,... - dont l’enthousiasme est communicatif.
Le réalisateur rend une sorte d’hommage à toutes ses influences, et on le sent comme un enfant, tout heureux de jouer de ses références pour les mettre à sauce, et les animer. Raul Garcia n’essaie pas d’imposer sa vision des contes, mais de coller parfaitement à son texte. Il dépasse largement le temps imparti tant il semble content d’être là et de parler de son film qui prend forme, aussi en le faisant découvrir au public, peut-être fin 2013.
Même le producteur, dont souvent le rôle est de rappeler à ses artistes les délais, envisage de ne pas se tenir à cette date, pour prendre le temps de réellement faire le film envisagé au départ. Un bon nombre d’images-tests nous sont montrées, toutes comme de petits exercices de style passionnants. Son bonheur d’adapter Edgar Allan Poe est aussi sympathique à voir. Reste à voir encore si le film, terminé, n’aura pas l’air d’un Frankenstein, d’un montre confus fait de jolis morceaux et de matières trop diverses.
Me revoilà en salle pour des court-métrages, ça m’aurait presque manqué. J’avais l’habitude, les autres années, d’en découvrir plus que cela. Le podcast me prenant pas mal de temps, je cherche moins à squatter le maximum de séances. Bon, il faut dire qu’avec généralement les sujets pas faciles des court-métrages, si on ne voit que ça, on se tape des bonnes déprimes en fin de journée - qu’il faut compenser par de plus grosses soirées, pas très sain. Jusque là, j’ai beau être fatiguée, comme chaque année, le programme varié et le marathon entre séances, conférences et interviews me plaît bien. Je reste cependant attachée à au moins une séance par jour, juste pour le plaisir de la tradition avions en papier + cris d’animaux avant que le programme ne démarre, ce joyeux foutoir qui se calme respectueusement dès que ça commence. J’aime bien aussi découvrir le film du jour des Gobelins et avoir vu les six de la semaine en fin de festival. Petites joies anneciennes. Le court-métrage du jour n’est pas le meilleur, cela dit...
Et ce programme n°3 ? On y trouve notamment une jolie fable à tendance écologique, « Second hand », du Canadien Isaac King. Le design n’est pas forcément de mon goût, et le rythme trop lent... Mais son discours n’est pas manichéen et tient fort bien la route.
Dans l’ensemble, cette sélection manque cruellement de rythme. Les court-métrages prennent leur temps et perdent l’intérêt de leur brève durée en racontant la même chose plusieurs fois et en insistant de trop sur une seule action. La plupart de cette sélection auraient pu réussir à raconter leur idée en deux fois moins de temps. Le film de l’Iranienne Myriam Kashkoolinia a ces torts lui aussi, mais réussit à faire passer son oppressant message. « How to eat your apple », du Sud-Coréen Erick Oh change la donne avec sa toute petite durée et sa cocasserie.
J’ai juste le temps ensuite d’entendre la fin de la conférence de la Guilde des Scénaristes donnée du côté du Marché International du Film d’Animation. Donnez-vous la peine d’aller découvrir ce regroupement syndical de scénaristes et de connaître leurs actions. Le mieux sera de découvrir mon humble interview de la vice-présidente de la Guilde, section animation, Christel Gonnard, sur NoWatch. Je n’ai moi-même pas assez d’engagement à ce niveau là de la production pour expliquer les détails, mais ce tout jeune mouvement syndical part d’un constat terriblement véridique de la non-reconnaissance du travail des scénaristes français. Aujourd’hui, dans l’animation, le scénariste fourni un boulot très dense en tout début de production d’un épisode. Il est ensuite purement et simplement rayé de l’équipe, inexistant, et son scénario peut être remanié pour mille et une raisons, et son travail non reconnu. La Guilde essaie d’abord d’informer les jeunes scénaristes de leurs droits, et aussi de recenser tous les défauts de leurs manières actuelles de fonctionner au sein de la production. Sur ce constat, l’idée n’est pas de rester les bras ballants et négatif. Au contraire, la Guilde cherche aussi à développer les points forts des scénaristes, et à trouver de nouvelles manières de fonctionner pour fonctionner mieux. C’est un débat passionnant dans un secteur où la liberté se confond dans l’ignorance et le dédain.
Pour terminer enfin, j’ai vu en avant-première « Le jour des corneilles ». L’histoire est celle d’un petit garçon élevé par son père, un type bourru qui ressemble à une bête, dans la forêt. Le petit garçon n’a pas le droit de dépasser les limites de cette dernière, sous peine de disparaître. _ Grandissant cependant, curieux, il aperçoit des silhouettes dans cette zone interdite, qu’il ose franchir poussé par ses amis, humains à têtes d’animaux muets qu’il semble seul à voir, pour le bien de son père qui s’est cassé la jambe... Il rencontre alors la civilisation toute proche, et le passé de son père, qui n’a pas toujours été l’ogre de la forêt... Malgré ce que j’ai pu entendre sur les aléas d’une production difficile, Le jour des corneilles est un film sublime dont le scénario, adapté d’un roman de Jean-François Beauchemin, maîtrise les codes de l’émotion.
Le film ne tire pas inutilement des larmes, mais fait joliment résonner le lien d’un père à son fils. Quant à l’image, elle est superbe, et si on peut regretter quelques plans, qui ralentissent le rythme avec trop de poésie contemplative, on est tant emporté par cette histoire qu’on lui pardonne tout.
L’ovation au réalisateur et à la scénariste présents sur place a durée le temps du générique, de bout en bout.
Billet précedemment publié sur le blog de Fanny Bensoussan.