> Mag > Écritures > Clandestino
Dans la catégorie désormais bien fournie du reportage en BD, Clandestino d’Aurel se distingue : on y sourit beaucoup, on y rit même, parfois ! Pourtant, le sujet traité est grave, et les conclusions de l’enquête menée ici sont pour le moins déprimantes, mais c’est un dessinateur de presse qui est à l’œuvre, avec un ton bien à lui.
Aurel veut s’éloigner de l’enquête journalistique pure et dure, pratiquée par le passé en compagnie notamment de son confrère Pierre Daum dans les colonnes du journal Le Monde Diplomatique [1], et introduire de la fiction dans son travail. La source documentaire de Clandestino consiste donc en un mélange de trois voyages effectués par Aurel il y a quelques années.
Des voyages pendant lesquels il découvre toutes les ramifications d’une filière d’immigration illégale, plus que tolérée par les autorités marocaines et espagnoles, dans le but de fournir une main-d’œuvre à bas prix. Aurel nous propose d’accompagner son personnage, Hubert Paris, débordant d’enthousiasme à l’idée de partir sur le terrain des journalistes d’investigation, un milieu plutôt fermé. Car Hubert est à la base un secrétaire de rédaction, lassé de mettre en page les articles des autres dans le journal où il travaille.
Tout juste quitté par sa compagne, il se sent très libre pour se lancer dans cette nouvelle activité avec beaucoup de bonne volonté et une sacrée dose d’improvisation. Scrupuleux, marchant à l’instinct, Hubert montre beaucoup d’empathie envers ses interlocuteurs, mais sait rester lucide.
Son premier sujet l’amène à se rendre en Algérie et au Maroc en prenant le bateau comme les migrants qui partent dans l’autre sens, mais lui, ce n’est pas pour des raisons économiques, c’est parce qu’il ne supporte pas l’avion !!! Là, il rencontre des candidats à l’exil, les futurs Harragas, travailleurs bon marché, taillables et corvéables à merci en Europe du Sud.
Du moins lorsqu’ils survivent au voyage, qui s’effectue sur les essieux des camions embarquant à bord des ferries, ou entassés dans des embarcations de fortune. Hubert Paris sympathise avec Djamila, dont le frère et un cousin doivent tenter l’aventure, et donne rendez-vous aux deux hommes à Almeria, l’équivalent espagnol de Lampedusa.
Là, il découvre le quotidien de ces esclaves modernes : le travail épuisant dans les serres, le logement dans les campements insalubres, la misère sexuelle avec les bordels pour pauvres à dix euros la passe.
Une jungle où l’homme est un loup pour l’homme, avec cet exemple glaçant de deux migrants tués par d’autres. Leur crime ? Proposer leurs services à deux pour le prix d’un. Une concurrence déloyale dans ce milieu où le travail est une condition pour survivre... Le modèle économique détaillé dans Clandestino donne froid dans le dos ! Grâce à lui, on trouve au cœur de l’hiver dans nos supermarchés des fruits dopés à coup de chimie, que la publicité scélérate vend au consommateur comme une promesse de l’arrivée des beaux jours.
Celui-ci les achète, car ils sont vendus peu cher, entre autres parce qu’ils sont cultivés par des malheureux sans-papiers qui ne demandent pas mieux, prêts à tout pour échapper à la misère. Et les instances européennes regardent tout cela se perpétuer avec une indifférence coupable...
Grand merci au courageux Hubert Paris de dénoncer tout cela !!! À quand une autre enquête ?
<cite|livre|titre=Clandestino
|auteurs=Aurel (Scénario,Dessin,Couleurs)
|editeur=Glénat
|annee=2014
|collection=Un reportage de Hubert Paris, envoyé spécial
|tome=1
|pages=72
|isbn=9782723488648
>
Billet précedemment paru sur Actualitté