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Pour sa nouvelle création, le chorégraphe lyonnais Mourad Merzouki a décidé de revenir aux sources et de s’associer à deux artistes audio-visuels lyonnais Adrien Mondot et Claire Bardainne, qui travaillent sur l’interaction entre le numérique et l’humain. Avec l’aide de la Compagnie Käfig et de ses danseurs, ils repoussent les limites de l’interaction entre l’humain et le numérique avec Pixel.
Les corps ici échangent et s’échangent. 11 interprètes évoluent sur scène mais rares sont les fois où tous sont réunis pour un même tableau. Chacun leur tour, les groupes se forment, se déforment et se réforment. Si l’agencement de plusieurs pixels peut donner naissance à une nouvelle forme, une nouvelle entité alors chaque danseur peut être considéré comme un pixel qui une fois en relation avec un autre se grandit et devient une nouvelle entité. Ici chaque tableau représente une nouvelle entité et chacun raconte une histoire différente qui pourtant mène à la chose. L’affrontement des humains entre eux et avec leur environnement.
Le spectacle s’ouvre d’ailleurs sur la marche uniforme d’un groupe d’individus qui finalement se divise pour créer des groupes qui se battent et s’épousent les uns les autres. Tout est là ! Les corps semblent s’affronter pour mieux s’apprivoiser et se reconnaître. Quand ils ne se battent pas entre eux, c’est contre les éléments qui se dressent et se déchaînent devant eux, matérialisés par les pixels créés et manipulés par Adrien Mondot et Claire Bardainne. Le numérique se développe petit à petit, tout d’abord effervescents, les pixels s’élèvent en plusieurs colonnes devant un danseur qui les étirent de long en large avant qu’ils n’explosent littéralement en des milliers de bulles de champagne qui fourmillent autour des danseurs. Une fois stabilisés, les pixels deviennent des constellations d’étoiles au milieu desquelles les interprètes se meuvent avec aisance et fluidité. En déconstruisant l’espace, ils en construisent un nouveau…
Puis les pixels se transforment en vagues et en pluie torrentielle contre lesquelles luttent les personnages. Le monde virtuel qu’ils tentent d’apprivoiser n’est pas facile à dompter et ils les soumet à rude épreuve, notamment lors du tableau du tapis roulant dans lequel des obstacles défilent sous les pieds des danseurs qui doivent les éviter ou se les approprier…
C’est ici, que réside la force, la subtilité et la poésie du spectacle. De ces luttes résultent toujours un apprivoisement complice, comme le prouve le passage de la danse amoureuse où les deux corps s’enchâssent et s’enjambent littéralement pour le plaisir de nos yeux. La musique sublime ce moment suspendu, on ne se lasse pas de les voir l’enlacer, les autres danseurs, assis ne les quittent pas des yeux, tout comme les pixels qui se sont stabilisés hors de leur espace scénique pour apprécier ce moment de communion. Des moments de communion, il y en a de nombreux, entre les danseurs bien sûr mais aussi et surtout avec les pixels qui parcourent la scène. Le plus bel exemple et lorsque deux danseurs effectuant une pose commune jouent et interagissent avec les lumières et les pixels pour créer l’illusion d’une perspective. Tout est possible lorsque le corps évolue en communion avec son environnement. Les pixels se modulent au gré des personnalités et des besoins, les cercles s’agrandissent ou se transmettent pour intégrer ou exclure quelqu’un.
Le thème de l’exclusion est récurrent dans ce spectacle, certains danseurs se voyant isoler du groupe soit par des chorégraphies différentes des autres, soit par un moyen de déplacement différent, soit par un cercle qui ne peut accueillir un danseur qui se fait repousser à chaque tentative pour entrer dans le cercle, ou encore avec les pixels. Ils laissent parfois le champ totalement libre aux danseurs pour leur chorégraphie tandis qu’à d’autres moments, il se scinde pour séparer les groupes ou isoler des individus qui grâce à leurs acrobaties se sortent sans encombres des pièges tendus par les pixels. Au final, ces tentatives des pixels de séparer les humains les rapprochent puisqu’ils sont obligés de rallier les mêmes espaces sûrs. En fin de compte ce spectacle traite du rapprochement des populations et humains malgré les différences et l’isolation. Il faut savoir vivre en adéquation avec son monde pour s’y épanouir… Une belle morale en ses temps troublés.
Si effectivement, nous pouvons louer la qualité de l’installation numérique ou encore la musique qui rythme à merveille ce spectacle et participe à sa poésie, il faut absolument rendre hommage et saluer la performance des interprètes. S’ils sont 11 sur scène, tous ne sont pas danseurs de profession et cela se voit, ils ont moins de tableau de groupe que les autres et en ce sens, ils pourraient sembler exclus du reste de la troupe et pourtant non, ils se fondent avec le reste de l’équipe. Leurs arts différents se rejoignent pour communier comme c’est le cas pour Elodie Chan qui en parfaite contorsionniste fait preuve d’une souplesse hors du commun, elle se tort dans tous les sens en solo, en duo, et toujours en rythme avec la musique ou les pixels.
Une performance aussi incroyable que celle de Marc Brillant qui fait étalage de sa technique de la Roue Cyr. Il réussir à mouvoir avec une aisance et facilité déconcertante un immense cerceau amélioré, avec lequel il réussit à fusionner pour ne former qu’un et rouler avec lui sur scène sans qu’aucun de ses membres ne touchent le sol… Bluffant ! Grâce à sa Roue Cyr, il parvient à interagir avec les autres danseurs qu’il invite à passer au travers ou qui les repousse avec. S’en suit alors une danse somptueuse avec Xuan Le, notamment, le danseur roller. Il est celui qui se rapproche le plus des autres par ses pas de danse et parce qu’il est très souvent intégrés aux tableaux avec les autres danseurs mais à la différence de ces derniers, lui n’évolue qu’en roller. Il danse et se déplace avec une aisance déconcertante qui lui permet de rivaliser plusieurs fois avec les pixels qui l’entourent ou avec Marc Brillant lors de leur numéro autour du cercle. Si ces trois là, par leur singularité, crèvent la scène, il ne faut pas oublier tous les autres danseurs qui nous font de vraies performances individuelles et collectives de breakdance. Il est assez époustouflant de voir comment certains d’entre eux réussissent à se désarticuler et les figures de haute-volée qu’ils sont capables de réaliser…
Mourad Merzouki a su s’entourer de la crème de la crème pour leur livrer une chorégraphie toute en poésie et en grâce. Les tableaux proposés sont très disparates et il y en aura pour tous les goûts. Seul bémol, à cause de cette diversité et des prouesses de certains, d’autres paraissent moins bien et c’est dommage car en y regardant de plus près, nous nous rendons compte que chaque tableau est équivalent et excellent.
Un spectacle pour tous les âges, pour toute la famille et qui permet une belle entrée dans le monde de la danse et des arts numériques…
Article initialement publié sur l’Envolée culturelle
Danse
22 / 17 (réduit) / 10 (découverte) / 8 (-12ans)