> Mag > Musique > Fort puissant et sans coquille !
Comment prendre, approcher un album, un groupe ou un artiste ? C’est la question que je me suis posée lorsqu’on m’a proposé d’écouter le dernier EP d’Oyster’s Reluctance, Insignificant pour une chronique, ici-même : La musique du groupe me plaît, néanmoins, je ne suis pas spécialiste de ce genre musical et pas mal d’hésitations ou de questions naissent de l’écoute de l’album.
Tom Pao, chanteur du groupe a accepté d’aider ma chronique de jeune novice en apportant quelques réponses. Et merci à lui !
Donc, Oyster’s Reluctance. Ce nom revient par intermittence à mon oreille, en différentes occasions, sans que je ne prenne le temps d’écouter.
Assez vite, on sait qu’il s’agit d’un trio masculin basse-batterie-voix, de Mâcon qui en est à son troisième EP, mais existe depuis 1996 d’abord sous le nom d’Orange Bud. Le groupe arrête son activité et puis...en 2010, suite à un appel du pied de La Cave à Musique pour un concert unique, on se remet à répéter et réarranger nos anciens morceaux. On décide alors de les enregistrer car jusqu’à maintenant nous n’avions rien gravé de potable. Le plaisir de se retrouver et de rejouer ces morceaux nous motive et nous décidons de reformer le groupe mais sous le nom de Oyster’s Reluctance At Numbering Grew Early By Using Dendrochronology (l’acronyme de O.R.A.N.G.E.B.U.D.)
En 2013, quand nous sortons notre 6 titres Sick Sad World composé de nouveaux morceaux dans un style beaucoup plus « progressif » et plus abouti, on décide de raccourcir et simplifier tout ça en Oyster’s Reluctance.
[…] On se connaît depuis 25 ans au moins. Au début des années 90, quand nous formions nos premiers groupes respectifs [1] on se croisait tout le temps en répètes ou en concerts.
[...On] décide de monter un trio un peu foutraque et sans guitariste aussi, histoire de laisser le plus de place à chacun afin d’expérimenter.
[…] Nos compos partaient un peu dans tous les sens, avec beaucoup de ruptures rythmiques, d’ambiances complètement différentes au sein d’un même morceau.
Du coup cette formation atypique et pas si commune pour l’époque, nous plaisait bien. [...]
Donc une bonne dose d’amitié et les mêmes envies de trouver un son particulier avec ce trio.
Donc, encore une fois, Oyster’s Reluctance, c’est une histoire de potes, certes, mais une histoire forte, qui se répercute sur scène.
J’avais vu le groupe lors d’un concert dans le café de la Tannerie, il y a maintenant plus d’un an. Sur scène, le groupe fait bloc. Chacun joue son rôle, chaque son, chaque instrument et de fait, chaque membre a son importance, ni plus ni moins que les autres. On avait pu voir ces trois types s’exposer face au public, comme il se/le devait, à leur façon.
Le set avait révélé la force et l’énergie "posée" du groupe, cependant, je n’avais pas poussé jusqu’à l’écoute des EPs, persuadée que la rudesse de cette musique ne s’éprouvait qu’en live et que la dimension essentielle de ce genre de groupe se révélait en concert plus qu’en studio. À tort : Sur scène la formule trio fait que nous sommes tous les trois impliqués à 100% effectivement ! Nous aimons cette énergie !
Pour ce qui est des compos, c’est un travail collectif même si souvent Juju est le déclencheur en amenant les premières idées de riffs ou d’ambiances que nous développons ensemble ensuite. […]
Nous adorons le travail de la compo et de l’enregistrement. Faire évoluer un morceau, trouver des arrangements, peaufiner chaque chose avec l’aide précieuse de Djul Lacharme (guitariste d’Alpha Blondy et Gnô) comme producteur et arrangeur. Depuis notre premier 6 titres Sick Sad World (2013), nous travaillons avec lui et il fait parti intégrante du groupe. Dès que nous avons des maquettes de nouveaux morceaux, on lui demande son avis et quand on décide de finaliser et d’enregistrer, on fait un gros travail de pré-prod et d’arrangements avec lui dans son studio pour enrichir tout ça. Assister à l’évolution d’un morceau qui n’était à la base qu’une matière brute est assez magique.
Et donc, Oyster’s Reluctance a sorti un EP, Insignificant, ou 5 titres puissants et denses : il y a de la matière sur chacun des morceaux en termes de musique, de voix, de sonorités et d’ambiance.
Avant l’écoute, le visuel nous chope à la gorge : image rouge vif avec, au centre, un cœur noir, à moitié recouvert de matière noire et poisseuse.
Et puis il y a l’alarme donnée par l’intro de Degraded. Le ton est donné : de la traversée de ces 5 morceaux, on retiendra la noirceur lente, ce goût d’inquiétude rageuse et lancinante, aussi, souvent coupé par des accès de colère (comment le dire autrement ?) irrépressible et rayonnante.
Puis il y a la voix de Tom Pao, un peu pincée, un peu lointaine qui nous parvient comme d’une radio, jette ses messages, et puis, dans les moments de colère semble s’ouvrir ou laisser la voie à une fureur volcanique. On reste sonné mais finalement complètement disposé à l’écoute pleine et entière de ces titres : rien de tel que l’effet de sidération pour stopper net toute activité parasite. C’est à ce temps d’oreille disponible qu’on remarque des extraits de discours, comme tirés de la radio également. Cet effet rajoute clairement à l’effet inquiétant : combien de discours radiodiffusés ont convaincus et conduit à des épisodes dramatiques de l’humanité ?
Dans le dernier 5 titres, Juju explore des sujets plus « sociaux » avec des constats et des critiques du monde dans lequel on vit. Le fil directeur étant la soumission et le rapport dominants/dominés que ce soit dans le domaine du travail, de l’économie ou de la religion. [… Il] a appuyé le trait sur 2 morceaux. Pour « Disillusion », ce sont des extraits de discours de Bush, Sarko, Poutine et Hitler pour conclure. Et pour « Greed », celui d’un milliardaire américain qui compare la « persécution » des riches à celle des Juifs. Ça participe à ces ambiances sombres et anxiogènes que l’ont souhaite amener dans nos morceaux.
Sombre et anxiogène, et une autre question émerge : c’est quel genre, la musique d’Oyster’s Reluctance ? Comment définir leur musique assez précisément pour donner un repère à celui qui ne connaît pas ? Difficile. Celui ou celle qui serait tenté d’étiqueter Insignificant aurait bien du courage, c’est pour moi impossible. Alors penchons-nous plutôt sur l’atmosphère qui se dégage de ces morceaux, sombre et anxiogène, certes, mais délivrant cette énergie étonnante, cette sensation d’urgence peut-être salvatrice, finalement.
Penchons-nous aussi sur la musique, les artistes, les groupes évoqués par ces morceaux. « Insignificant » rappelle des choses, incontestablement...sans faire « redite » cependant, comme un panel de goûts complémentaires.
Nos influences musicales communes s’orientent vers des groupes comme Tool, A Perfect Circle, Faith No More, Mr. Bungle, Refused pour ne citer qu’eux.
Après nous avons chacun nos affinités évidemment. Juju et Raldo ont une base très métal avec des groupes comme Iron Maiden, Slayer, Sepultura, Metallica, etc…
En ce qui me concerne j’ai une base plus rock/indé on va dire avec des groupes comme les Doors, Pearl Jam, Deftones, Fugazi, Cure, Joy Division, Bauhaus et j’en passe …
Et je pense que c’est ce mélange qui donne une couleur particulière à nos compos. La base musicale est assez rude, rythmique et brute avec un chant qui a tendance à planer au dessus. Nous aimons jouer avec des choses très arythmiques pour ce qui est du basse/batterie et lier le tout avec le chant. […] On les assume complètement mais avec le temps je pense que ça devient plus diffus et qu’on essaye de trouver notre son. C’est devenu beaucoup moins volontaire et conscient qu’au début du groupe. Nous avons des automatismes dans la pratique de nos instruments respectifs mais on essaye de penser les morceaux de façon plus globale, plus homogène.
Il y a bien du relief et de la nuance sur Insignificant, comme si le groupe, avec tout cela, l’histoire, les influences, les concerts, avait su comment grandir et trouver ce qu’il lui faut à manger... La musique d’Oyster’s Reluctance dessine avec les 5 titres d’Insignificant les contours d’une signature claire et précise. Sa signature.
Les parties en italiques sont issues d’échanges avec le groupe.
[1] Shakma pour Tom et JMPZ pour Juju et Raldo, NDLR