> Mag > Musique > Goldfrapp, de la lumière pour raconter
Est-ce que vous devenez plus durs avec les artistes que vous suivez depuis longtemps ? Je veux dire, est-ce que vous devenez plus exigeants ? Vous arrive-t-il de les enfermer dans une sorte de Panthéon personnel pour ne plus les ressortir et ne pas subir de douloureuse déconvenue ?
Je vais encore vous parler de ma petite personne...mais je voudrais que vous compreniez bien mon propos.
La vie fait que j’écoute en permanence des choses variées, de nouvelles choses, de nouveaux artistes (pas forcément de jeunes artistes, soyons clairs), et de cette façon de faire découle une sorte de vitesse, de fuite en avant difficile à contrer. Cela n’a pas été toujours le cas, évidemment mais le constat est là : les artistes que j’aime vraiment, qui m’ont impressionnée, m’ont aidée à forger mes goûts en matière musicale ont été / sont enfermés dans un coin de ma mémoire sensible et je rechigne à les faire sortir, les confronter au quotidien musical que je traverse depuis quelques temps.
En gros : je ne les écoute plus, par trouille d’être déçue et de remettre en question (ou en tous cas d’apporter de la nuance sur) des sensations qui me sont extrêmement précieuses. J’arrête là pour la partie psycho, et je vous parle maintenant de Tales of Us, dernier album du groupe anglais Goldfrapp.
J’ai écouté Goldfrapp à la sortie de Felt Mountain en 2000. J’ai aimé. Et puis j’ai écouté Goldfrapp à la sortie de Black Cherry (2003) et j’ai bien senti que tout cela me parlait très fort, encore plus après un concert en 2006, avec un côté putassier complètement assumé.
Et voilà. Rien de plus ne s’est vraiment passé jusqu’à ce mois de février 2014, malgré la sortie de deux autres albums (en 2008 et 2010) que je n’ai pas pris le temps d’écouter. Je pensais même que le groupe n’existait plus.
Et puis un jour, quelqu’un m’apprend qu’il y a eu un album sur lequel les titres des chansons sont des prénoms (ces prénoms sont ceux de personnages de romans qu’Alison Goldfrapp a lu...)
Et je me procure cet album sans bien savoir à quoi m’attendre.
La pochette me prend au dépourvu : plus de couleur, pas de montage photo étrange mais une photographie en noir et blanc, où on voit cette femme (Alison Goldfrapp) dans une posture intermédiaire, comme titubante, éclairée par des phares de voitures.
« Jo », le premier morceau est lumineux, éclatant de douceur mélancolique, on retrouve la voix particulière d’Alison Goldfrapp : cristalline et puissante, caressante, parfois éthérée, toujours sur le fil. Ce qu’on entend aussi, ce sont la basse, la guitare, électrique ou acoustique (peu importe, en réalité), mais aussi, les cordes, violon seul ou orchestre à cordes sur des sonorités qui viennent comme ramasser une vague au fond de votre ventre et la soulèvent doucement puis la laissent retomber.
Ce qu’il faut vous dire, c’est que l’album entier fait ça. Non que les morceaux se ressemblent tous : au contraire, « Jo » et « Stranger », flottants, ne ressemblent pas à « Thea » ou « Alvar », plus durs. Mais on retrouvera ces éléments, voix, instruments, force sur l’ensemble des morceaux, assemblés, posés différemment.
Et je me dis qu’il y a parfois des voix, qui, lorsque vous les percevez, semblent trouver le chemin direct vers le cœur, votre cœur sensible. C’est le cas, en ce qui me concerne, de la voix d’Alison. Avant toute chose. Mais pour Tales of Us, il n’y a pas que la voix. Les différentes mélodies m’ont atteintes, m’atteignent encore aujourd’hui (je n’ai toujours pas lâché l’album – chose exceptionnelle) de la même façon qu’à la première écoute. Elles ne prennent pas la peine de passer les épreuves d’analyse du pourquoi ou du comment. Elles viennent directement en moi et restent là. Solides et lumineuses.
Il y a autre chose à dire, aussi. Que l’on se trouve à aimer ou pas ce style musical, il est aussi question, ici d’atmosphères. C’est là le génie de Will Gregory, le second pilier du groupe. Celui qu’on voit moins, qu’on n’entend qu’au travers des univers qu’il nous fait visiter. C’est intrigant quand même, ce pouvoir d’évocation, cette propension suggestive qu’il utilise comme architecture de chaque morceau – « Stranger » étant pour moi, le plus évident, le plus fort (le meilleur, aussi peut-être...).
Et alors on ne peut que se dire qu’écouter Goldfrapp, ce n’est pas trouver des milliers de références à d’autres groupes ou d’autres artistes, c’est s’accorder le pouvoir de mettre de la musique sur des films intérieurs ; si vous préférez, s’octroyer, pour soi, le temps de l’écoute de l’album, le rôle du réalisateur, scénariste et acteur. Et cela est loin d’être fréquent.
J’ai sorti Goldfrapp de mon Panthéon. J’ai bien fait. J’ai bien fait, quel bonheur !