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Hommage à Pannonica

lundi 15 octobre 2018 par Guillaume Lagrée rédaction CC by-nc-sa

Chronique

L’excellent label Cristal Record sort une compilation rendant hommage à Pannonica de Koenigswarter, protectrice, amie, confidente de tout ce qui compta dans le monde des jazzmen dans les années 50 et 60 à New York. En hommage à cette grande dame, plusieurs jazzmen ont composé des thèmes que l’on retrouve dans cet album.

Lectrices féminines, lecteurs féministes, vous ne pouvez méconnaître la baronne Pannonica de Koenigswarter (1913-1988), née Rotschild.

Elle aurait pu se contenter de sa vie d’héritière. Elle était née dans la soie et le satin. Son père lui donna le nom d’un papillon qu’il venait de découvrir en Europe centrale, dans l’ex Pannonie. Fille d’un banquier anglais aristocrate, elle épouse un banquier français aristocrate, le baron Jules de Koenigswarter (1904-1995). Vie mondaine entre les deux rives de la Manche.
Parcours normal jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Le baron est Français de confession israélite. Tomber entre les griffes des nazis, très peu pour lui. Après avoir combattu lors de la campagne de France, le 20 juin 1940, il s’embarque pour Londres depuis Saint Jean de Luz avec plus d’une centaine de combattants sur un navire polonais. Le 25 juin 1940, il s’engage dans les Forces Françaises Libres. Il se bat vaillamment jusqu’en 1945 : Commandeur de la Légion d’Honneur, croix de guerre 1939-1945 et Compagnon de l’ordre de la Libération.
Son épouse l’accompagne : elle pilote des navires, des avions, des ambulances, assure des soins médicaux. Ensemble, ils ont 6 enfants. Après guerre, le baron quitte la banque pour la diplomatie. Toujours au service de la France. Le souci, c’est que Madame la baronne a découvert le Jazz et New York. La vie d’épouse de diplomate ne lui suffit plus. Elle veut vivre sa vie.


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Playing for a baroness
Thelonious Monk et Pannonica de Koenigswarter, 1964.
© Moneta Sleet “Thelonious Monk - Pannonica”

Elle s’installe à New York, fume des cigarettes illégales, fréquente des musiciens de Jazz noirs, souvent alcooliques et toxicomanes, sort le soir jusqu’à des heures hindoues. Bref, elle devient infréquentable pour son milieu d’origine. Son mari la laisse vivre sa vie, les Rotschild de Londres coupent les vivres à leur fille mais lui laissent tout de même deux Rolls Royce, une Bentley et une superbe maison à New York, avec vue sur l’Hudson où les musiciens vivent, mangent, boivent, fument, jouent du piano ou du tennis de table, s’occupent des chats (il y eut jusqu’à 122. La maison fut surnommée Cat’s House).

Charlie Parker est mort chez la baronne en 1955, Thelonious Monk s’y enferma dans le silence jusqu’à sa mort en 1982, Barry Harris y vit encore.

Muse, amie, amante, mécène, la Baronne demanda aux 300 musiciens qu’elle connaissait leurs 3 vœux les plus chers. Miles Davis fut le plus bref : « Être blanc ». Cela donne un superbe livre de photographies et de témoignages : Les musiciens de Jazz et leurs 3 vœux.

Comment les Jazzmen remercièrent-ils la Baronne pour tout l’amour et le soutien qu’elle leur apportait ? En composant des musiques en son hommage.

Elles sont désormais réunies sur cette compilation thématique Pannonica. A tribute to Pannonica dont il existe deux versions : une simple avec un CD et une plus luxueuse avec 2 CD et un livret de 20 pages de photographies.

Je ne dispose que de la version simple. Je ne saurais trop vous la recommander, lectrices féminines, lecteurs féministes. Pour la superbe photographie de la Baronne qui orne la couverture. Pour sa voix qui annonce plusieurs morceaux avec les musiciens. Une voix qui sent le tabac, l’alcool, la nuit, bref la mythologie du Jazz. Et pour la musique.
C’est un véritable Who’s Who du Jazz moderne qui se déroule pour la Baronne. Thelonious Monk évidemment pour son « Pannonica » ), Horace Silver pour son « Nica’s Dream » (la version de Wes Montgomery ci-dessous). Mais aussi le saxophoniste alto Gigi Gryce pour son « Nica’s Tempo » avec Thelonious Monk, Percy Heath et Art Blakey comme rythmique (excusez du peu !), Kenny Dorham et son « Tonica » et le « Nicaragua »de Barry Harris.

La musique est toujours énergique et élégante comme la Baronne. Au lieu de vous fondre dans la masse de compilations commerciales qui prétendent vous faire découvrir le Jazz, rendez hommage à la Baronne Pannonica de Koenigswarter, avec cette sélection concoctée avec soin par le label français Cristal Records.

Article initialement publié sur le blog le jars jase jazze

Nica’s dream - Wes Montgomery 1965.

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