> Mag > Musique > Ibrahim Maalouf, le tour de l’Illusionniste
J’ai vu Ibrahim Maalouf en concert, vendredi 31 janvier au Quai des Arts de Rumilly. J’en suis sortie avec ça à la bouche : « tu te rends compte ? Non, mais... tu te rends compte ? » Et l’incrédulité qui va avec.
Qu’est-ce qui t’amène à un concert ? Pourquoi tu viens ? En plus d’aimer un artiste ou un groupe, pourquoi peux-tu faire une centaine de bornes pour voir un concert ?
Au début, pendant la journée, les jours qui précèdent, je suis très méfiante. Je m’apprête à ne pas l’aimer, à être déçue et reléguer le son particulier de sa trompette dans un casier sombre et lointain de ma mémoire.
D’abord, il faut dire ça : Illusions, le dernier album en date m’a prise par surprise. Un soir, à la maison, c’est le bazar, ça tourbillonne, ça crie. Le temps de reprendre les respirations, il y a les volutes de la trompette d’Ibrahim Maalouf. Je m’approche… Et le tourbillon reprend son cours, sauf que je vais aller écouter Illusions, et cet album va m’habiter pour les 3 mois qui suivront...et le concert ? le concert, ce sera pour voir cette musique, voir si elle existe vraiment, si elle peut se voir, ou si c’est juste un coup de feu comme ça... Clac !
À Rumilly, le concert se passe dans une salle, plutôt petite, le public est debout et les gens dedans sont tous très différents… Je suis surprise. Je présage de leur apparence, leur posture, leur âge, de leurs commentaires... Et non, le public est très mélangé, très varié. Bienveillant et assez joyeux. Je reste sur mes gardes. Je me demande si les gens sont déjà conquis avant même de tenter le coup.
« Où il est ? » j’entends, derrière moi.
Ben là, avec la section cuivre, avec les autres… Tous apparaissent petit à petit... Le morceau d’ouverture du concert est celui qui ouvre l’album et son nom, aussi... Illusions... Le ton est donné : ma méfiance, ma petite délicatesse ombrageuse volent en éclats après quelques secondes, et ce qui me reste est un sourire profond, plein, qui se colle à mon corps, jusqu’à la fin du set.
Il te prend la main au vol, Ibrahim Maalouf, hop ! Comme ça. En même temps, il te fait voir que tout va bien se passer, rassure-toi. Nous sommes bien dans un concert jazz, avec les solos, des impros, du son jazz... Mais on entend les volutes orientales et surtout, on glisse parfois vers le rock, vers des moments suspendus, qui attaquent, se calment, puis qui ouvrent les portes...
C’est délicieux. C’est fort et ça fait battre le cœur.
Je craignais les démonstrations, le passage obligé vers la prouesse technique sur instrument que tu es forcé d’applaudir, mais qui souvent éclate les vagues mélodiques susceptibles de te faire flotter à vingt centimètres centimètres au-dessus du sol.
Ibrahim Maalouf est au milieu souvent, on l’entend bien, à part des autres musiciens, mais ce qu’on voit sur scène, c’est la façon dont ils sont tous ensemble, dont ils jouent tous ensemble. Ibrahim Maalouf va vers eux, joue à côté d’eux, les pousse, les appelle, fait monter la sauce, chauffe chauffe toute l’atmosphère sur scène et ils discutent, alors...leurs instruments se répondent et c’est fabuleux de voir ça, leurs interactions, ces interactions sonores...
Ce que l’on voit pendant ce concert, c’est la façon qu’ils ont, tous, de venir te montrer ce qu’ils vont faire : « Regardez, on va faire ça, on va vous jouer ça, tout ça, de la meilleure façon possible, vous entendez ? »
C’est sérieux, attention, tout le monde y est, tout le monde s’y met. De la même façon, avec la même intensité. Ce n’est pas Ibrahim Maalouf avec une sorte de soutien sonore, non, non, pas du tout. On voit Ibrahim Maalouf et des musiciens. Et on les entendra tous, chacun. Clavier, basse, cuivres, guitare, batterie.
Oui, c’est ça. Et on entendrait presque la question posée par eux, par la musique S’échappant de leurs instruments... Vous entendez ? Écoutez. Vous voyez ? Vous voyez ce qu’on veut vous faire entendre ?
C’est délicieux. C’est fort et ça fait battre le cœur. Toute cette musique qui émane de cet endroit, c’est délicieux.
Quelque chose se passe en plus : Ibrahim Maalouf a les pieds sur scène. Pas de fausse modestie, pas de faux air ombrageux d’artiste appliqué mais loin, retiré dans un monde inaccessible. Non, Ibrahim Maalouf discute. Il parle avec nous, essaie de ne pas occuper toute la place avec ses paroles, rester dans un format normal (on lui a dit qu’il parlait trop sur scène), mais c’est tellement simple. C’est tranquille. C’est le programme Illusions, mais on s’est dit que ce serait bien de reprendre des morceaux du programme Diagnostic...Vous voulez bien chanter ? Beirut ? Ah oui, vous le connaissez ? Et clac, il reprend la main, il te fait chanter, d’accord, mais sérieusement alors, ta voix devient aussi importante que le son de sa trompette... Alors il faut le faire bien. Non, attendez, faites comme ça, voilà, allez on essaie... Et ça s’élève, ça monte et ton cœur qui bat, tu pourrais éclater de rire, vraiment.
Unfaithful qui te fait aimer Rihanna, puis Lily will soon be a woman, et tu chantes encore... À la fin, Ibrahim Maalouf revient saluer. On dirait qu’il est hésitant, comme s’il ne savait pas bien comment faire pour finir, vraiment finir... Allez, il faut partir, mais c’était bien, non ?
Les lumières se rallument...clac.
Claque...