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La serpe, de Philippe Jaenada

mercredi 27 juin 2018 par Séverine Conesa rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Entre Columbo et le club des cinq un monde existe, celui de Philippe Jaenada. Dans ce roman ébouriffant l’auteur nous entraîne dans une enquête passionnante. Soixante-quinze ans après le triple meurtre du château d’Escoire, qui avait fait les gros titres de la presse à l’époque, il revient sur la personnalité complexe de celui qui fut accusé, puis acquitté dans cette sordide affaire.

La vie d’Henri Girard est, à bien des égards, en elle-même déjà un roman. Marié trop jeune, cet homme dont l’existence se brise à 24 ans va ensuite vivre plusieurs autres épisodes déroutants. En effet son père, sa tante et leur bonne sont assassinés dans la demeure familiale, alors même qu’il y dormait. Il est d’emblée considéré comme le principal suspect de ce crime, mais sera finalement acquitté, sans qu’on puisse jamais pour autant découvrir le véritable coupable.


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L’argent lui file entre les doigts, héritage d’une mère communiste et militante trop tôt disparue, et il conserve une rancune tenace envers la famille de son père. À la tête d’une fortune qu’il ne mettra pas longtemps à dilapider il devient père de famille à son corps défendant, puis vagabond et convoyeur d’objets plus ou moins licites en Amérique du sud. Il tirera de cette expérience son premier livre, publié sous le pseudonyme de Georges Arnaud, qui fera son succès.

Les droits du Salaire de la peur sont achetés par un producteur qui va faire de ce modeste témoignage un best seller ! Yves Montand écope du rôle principal tandis que l’auteur se paie même le luxe d’envoyer paître Hitchcock, lui aussi intéressé par l’adaptation du texte. Sur la fin de sa vie celui qui est désormais Georges Arnaud va se passionner pour les affaires judiciaires, devenant un acharné défenseur des droits des plus vulnérables.

C’est un heureux hasard qui amène M. Jaenada à s’intéresser à ce parcours atypique puisque son voisin n’est autre que le petit fils d’Henri. L’auteur va ainsi se lancer dans une entreprise ambitieuse, refaire le procès du jeune homme, en reprenant toutes les pièces du dossier et autres documents disponibles. Un travail de titan – et de fourmi – pour mieux connaître le tempérament de ce looser magnifique, en constante rébellion contre son milieu d’origine. Notre enquêteur de choc est assisté par deux archivistes qui lui communiquent l’intégralité du dossier, à ce jour jamais ouvert.

Au final ce livre se lit comme un polar, les parenthèses enchantées en plus. En effet Philippe Jaenada est de ces auteurs qui aiment à digresser, flâner, nous parler d’eux et du monde qui les entoure, avec un talent fou et un humour à tomber :

« Comment concevoir, même avec une souplesse d’esprit inhumaine, une indulgence et une bonne volonté qui feraient passer Mère Teresa pour la plus endurcie des psychorigides, qu’on ait fait tout ce foin autour de ces volets, qu’on ait tenté de les ouvrir par tous les moyens, bâton, barre de fer, démonte-pneu, laser désintégrateur, alors qu’ils ont toujours été ouverts ? » (pp. 493-494)

 La serpe, Philippe Jaenada, 2017, éditions Juilliard, 23 euros
 Découvrez l’émission de Jacques Pradel consacrée au triple meurtre du château d’Escoire : https://www.youtube.com/watch?v=DjsdNj1bTZU

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