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La vision de Bacchus de Jean Dytar nous emmène à Venise, au cœur de la Renaissance italienne et de sa réflexion humaniste sur l’idéal de beauté qui peut transcender le quotidien.
En 1510, la peste y fait des ravages, et la crainte de la contagion plonge les habitants dans la terreur. L’illustre Giovanni Bellini, maître incontesté depuis des lustres de l’école picturale vénitienne rend pourtant visite à l’un de ses anciens disciples, Giorgio de Castelfranco dit Giorgione, mais celui-ci est malade et proche de la mort. Giorgio lui confie garder ses dernières forces pour achever une toile où il veut approcher la perfection et rendre hommage au légendaire Antonello de Messine, à l’origine de sa vocation.
Pour Bellini, c’est l’occasion de se remémorer l’impact extraordinaire laissé par celui-ci lors de son bref séjour à Venise, trente-cinq ans plus tôt. Une époque de bouillonnement artistique sans précédent, où la compétition est féroce pour obtenir les commandes les plus prestigieuses.
Mensonges, trahisons et intrigues se multiplient dans ce milieu pour conserver les privilèges durement acquis. Antonello, maîtrisant la technique de la camera oscura et les subtilités des pigments réalise une série d’œuvres majeures, dont le Condottierre. Ce petit panneau de bois, mélange parfait de beauté et d’expressivité reste aujourd’hui encore une de ces réalisations les plus connues. Antonello se voit proposer dans la foulée un poste à la cour dans le duché de Milan.
Bien près d’accepter, il reçoit une commande qui bouleverse sa vie et son art : le riche banquier Fillipo Barbarelli lui demande de réaliser un portrait de sa deuxième épouse. Obsédé par la fuite des ans, le vieil homme cherche en vérité à faire revivre la beauté de sa première épouse, morte prématurément.
Une passion morbide qui perturbe Antonello, par ailleurs attiré physiquement par son modèle. Dans une impasse créatrice totale, le peintre assiste par hasard au déchargement de la cargaison d’un bateau. Parmi les marchandises se trouve un certain nombre de statues, dont l’une représente Ariane endormie, telle que va la découvrir le dieu Bacchus.
Dans une sorte d’illumination, il demande à la Signora Barbarelli de reproduire la pose de la statue, et obtient que le mari n’assiste plus aux séances de travail. Artiste et modèle deviennent amants, la vie fait irruption dans l’art...
Antonello et Giorgione sont deux artistes talentueux, dont la courte vie offre suffisamment de flamboyance et d’obscurité pour fournir la trame d’un récit documenté autant que romanesque.
Comme dans le Sourire des marionnettes, Jean Dytar emprunte aux techniques artistiques de l’époque évoquée. Pour le Sourire…, la miniature persane, et pour la Vision de Bacchus, les éclairages et la science de la composition chez les peintres flamands et italiens.
Si le dessin est d’une grande simplicité, il prend tout son sens grâce à la mise en couleur chaleureuse et subtile. L’auteur joue sur la taille et le nombre des cases dans chaque page afin de dynamiser le récit ou de nous plonger dans la contemplation d’un tableau.
Les allusions à des personnages célèbres ou des œuvres connues abondent, avec au centre de tout cela la personnalité difficile, mais attachante d’Antonello de Messine, obsédé par la volonté de fixer la beauté pour l’éternité, au risque de courir les plus grands dangers. La vision de Bacchus est une bande dessinée magnifique et très émouvante : la conclusion de l’histoire est totalement déchirante !
<cite|livre|titre=La vision de Bacchus
|auteurs=Jean Dytar (Scénario,Dessin,Couleurs)
|editeur=Delcourt
|annee=2014
|collection=Mirages
|pages=136
|isbn=9782756023335
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Billet initialement paru sur Actualitté