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Le captivé

mardi 21 octobre 2014 par Thierry Saint-Solieux rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Le captivé de Christophe Dabitch et Christian Durieux est un album très attachant, en ce qu’il nous confirme le talent protéiforme de ses auteurs, appliqué à un sujet profondément original : le traitement d’une névrose !

Une maladie poussant Albert Dadas à se lancer dans des randonnées pédestres insensées, qui lui font parcourir l’Europe de l’Est ou l’Afrique du Nord à raison de 70 kilomètres par jour. Sous l’effet d’une pulsion subite et irrépressible, il quitte sa famille, son travail et reprend conscience bien loin de chez lui, sans un sou, passant aux yeux des autorités pour un fou ou un agitateur politique.

En Mai 1886, cet homme profondément malheureux est examiné par Philippe Tissié, jeune interne en psychiatrie à l’hôpital de Bordeaux. Tissié choisit le terme de « captivé » pour désigner son patient, atteint du syndrome de somnambulisme éveillé, et décide de faire d’Albert Dadas le sujet de sa thèse. Pour soigner sa maladie, il utilise l’hypnose, à l’encontre de la pensée du docteur Charcot, dominante à cette époque...

Le captivé est d’abord un documentaire, qui s’appuie d’une part sur un livre du philosophe des sciences Ian Hacking où il est fait mention de l’école psychiatrique de Bordeaux, et d’autre part sur les nombreux écrits de Tissié. Car le médecin se doit de vérifier si Dadas n’affabule pas, il correspond donc avec les consulats français et recueille les témoignages des différentes personnes que le marcheur rencontre au fil de ses pérégrinations.

La chute

A l’origine du mal, il y a, semble t-il, une chute depuis le haut d’un arbre, et les lésions cérébrales qu’elle entraîne. Dès lors, Albert Dadas s’adonne à la masturbation comme il pratique la marche, de façon compulsive et forcenée. Il souffre de son addiction et de ses conséquences, mais il trouve aussi du plaisir à partir à l’aventure, en toute liberté. C’est l’autre aspect du livre, qui présente Dadas comme symbolique de son temps, où le progrès technique dans le domaine des transports permet l’émergence du concept de tourisme, et où la perception de l’activité physique change profondément.

La marche n’est plus réservée aux pauvres et aux pèlerins, elle fait partie des activités de plein air que l’on peut pratiquer pour entretenir son corps. Le vélo est emblématique de ce mélange d’un désir d’évasion et de recherche d’une bonne santé : il est l’objet d’un engouement au sein de la classe moyenne émergeante, et le docteur Tissié y est pour beaucoup dans sa ville de Bordeaux, où il devient médecin officiel de la course cycliste Bordeaux-Paris !!!

Dans un registre plus poétique, et toujours à la même époque, Arthur Rimbaud arpente lui aussi les routes, premier d’une longue lignée d’écrivains voyageurs parmi lesquels on peut citer, plus proche de nous, Bruce Chatwin, Jacques Lacarrière ou Jean-Christophe Ruffin.

Le captivé peut se révéler drôle, surprenant - un des compagnons de marche d’Albert Dadas meurt d’épuisement à ses côtés, tué par son rythme fou - mais il reste surtout constamment touchant. Et l’excellent scénario de Christophe Dabitch est magnifié par le dessin de Christian Durieux : aux antipodes des couleurs subtiles et de la lumière solaire des Gens honnêtes, nous sommes ici plongés dans un arc-en-ciel de gris, d’une admirable délicatesse.

On n’est pas près d’oublier le regard effaré d’Albert, et les douces larmes qui coulent de ses yeux quand il supplie le cher docteur Tissié de l’aider...

Le captivé, par Christophe Dabitch (Scénario) et Christian Durieux (Dessin), ed. Futuropolis 2014, 120p, Réf : 9782754809801

Billet initialement paru sur actualitté.com

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