> Mag > Cinéma > Le chagrin des oiseaux
L’histoire d’un peuple condamné à respecter la logique du djihad. Un récit d’une noirceur frissonnante contrebalancé par des images poétiques. Par ce procédé, le cinéaste redonne foi en l’islam, et espoir en la liberté.
Timbuktu est marqué par des images paisibles qui communiquent la grande horreur djihadiste. Un film du cinéaste Abderrahmane Sissako qui est tourné dans une ville jumelle de Timbuktu aux frontières du Mali, dans une zone jugée rouge. Une « fiction » réalisée près du conflit, le sentiment de peur ne quitte jamais le réalisateur lors du tournage. Mauritanien d’origine, élevé au Mali, formé au cinéma dans l’Union soviétique, il parle d’une histoire qui détruit sa terre natale et donne la parole à un peuple qui en est privé chaque jour depuis deux ans. Après seulement 4 longs métrages, il est déjà le représentant du cinéma africain, dont la production est trop peu représentée dans le 7me art. La déception de Cannes n’empêche pas à Timbuktu d’être un des chefs d’œuvre de l’année 2014 que l’on peut découvrir au cinéma depuis le 10 décembre. Abderrahmane Sissako le souligne d’ailleurs, « je viens d’un pays où l’on trouve beaucoup de palmiers, j’ai autant de palmes que je le souhaite ».
Silence. Le sable qui entoure la ville de Timbuktu ne remue plus depuis l’arrivée des djihadistes. Les habitants de la ville ont cessé de vivre, non pas par choix mais par servilité. L’oppression ne laisse plus place à l’oisiveté puisque la liberté d’expression et les loisirs sont bannis. L’évasion de l’esprit n’est plus qu’une contrée solitaire, menant celui qui ose se manifester jusqu’à la lapidation.
Abderrahmane Sissako ouvre un dialogue sur un sujet peu discuté par les médias, et pourtant bien réel. Les djihadistes sont associés aux clichés que les sociétés occidentales leurs fixent. Le réalisateur s’éloigne avec soin de ces stéréotypes par son choix de donner un visage « humain » aux djihadistes. Malgré une terreur constante dans l’univers de son film, il ne manque pas de rappeler que ces extrémistes sont des individus faibles qui se rallient à une cause ou un groupe de personnes influentes. Sissako marque la rupture entre des terroristes se réclamant religieux et l’islam. Notamment, dans une scène marquante, où l’imam refuse le droit d’entrée aux hommes armés dans l’enceinte sacrée de la mosquée.
La culture millénaire du peuple se trouve déracinée, décapitée par ces actes de force qui envahissent la cité. Les sculptures, les mausolées sont détruits par des hommes étrangers aux coutumes ancestrales. Notre regard extérieur est troublé par les images douces et en même temps atroces de cette oppression dont est victime le peuple de Timbuktu quotidiennement. Le foot y est interdit, le chant n’est pas toléré et les couples sont forcés à se marier. La charria est adoptée mot pour mot par les djihadistes, chaque faux pas est blâmé.
Pourtant, un élan de résistance s’échappe de cette prison de sable. Les enfants continuent à jouer sans ballons exerçant presque une danse clandestine, une douce voix s’échappe des murs du désert. La victoire militaire n’est ainsi pas une réelle réussite vers la liberté. Abderrahmane Sissako veut montrer que c’est l’opposition continue du peuple qui constitue cette transition vers l’émancipation d’une population.
Le cinéaste, par la lenteur de ses plans et la puissance de ses images, invite à une réflexion profonde sur l’identité de l’homme, sa relation à la religion, sur l’humanité dans sa généralité. Quels sont les limites de la tolérance ? L’homme peut-il dans nos sociétés contemporaines se soumettre aux répressions d’individus armés de kalachnikov ?
Article initialement publié sur l’Envolée Culturelle