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En France, on connaît bien le préfet Hausmann. Sous Napoléon III, il remodèle Paris pour en faire le prototype de la ville moderne. Détruisant les quartiers insalubres aux ruelles étroites, il construit de larges avenues qui ouvrent des perspectives magnifiques.
Mais cette louable idée en cache une autre, moins démocratique : il est bien plus difficile en cas d’insurrection d’ériger des barricades sur ces vastes avenues, et a contrario beaucoup plus aisé d’y faire circuler la cavalerie chargée de maintenir l’ordre impérial. Encensé sous le Second Empire, il tombe en désuétude avec Napoléon et se trouve éjecté des dictionnaires pour longtemps.
Sans doute peut-on considérer son travail avec plus d’objectivité de nos jours, et reconnaître son réel talent de bâtisseur. Le baron Hausmann a un équivalent au XXe siècle, un Américain peu connu en France, et dont Pierre Christin et Olivier Balez nous tracent le portrait dans Robert Moses, le maître caché de New York Moses admire Hausmann, et lui aussi éventre sa ville, New York, mais pour y faire entrer les voitures par flots entiers grâce à des autoroutes urbaines.
Paradoxalement, Robert Moses est un amoureux de la bagnole qui ne croit pas à l’avenir des transports en commun, mais ne sait pas conduire pour autant ! Issu de la grande bourgeoisie juive, il est très jeune confronté à une forme de ségrégation qui développe son côté indépendant et autoritaire. Intelligent, cultivé, il rêve d’éradiquer bureaucratie et corruption, mais ne fait pas carrière en politique, en raison de son caractère difficile et de ses manières brutales qui ne peuvent séduire des électeurs potentiels.
Il devient donc un homme de l’ombre, occupant simultanément de très nombreux postes à responsabilités pendant quarante ans et concentrant un pouvoir énorme entre ses mains avec une idée fixe : construire, encore et toujours. Loin, très loin de l’image du capitaliste bling-bling, il ne cherche pas à gagner de l’argent avec ses projets immobiliers et son train de vie n’a rien d’ostentatoire, à l’encontre des familles illustres et ultra-riches qu’il méprise.
Pour autant, il déteste les pauvres, qui sont les premières victimes de ses chantiers pharaoniques. Expropriations et démolitions se succèdent avec frénésie pour bâtir des terrains de sport, des aires de jeux, des piscines, des plages équipées. Des équipements culturels également, comme le Lincoln Center. Et des ouvrages plus imposants encore : des barrages et des ponts, le plus connu étant le Verrazano Bridge. Tout cela au bénéfice de la middle-class, que Robert Moses juge pourtant fondamentalement conservatrice, ce qui sonne comme une insulte dans sa bouche !
Car à l’instar de son ami Walt Disney, c’est un visionnaire au cerveau bouillonnant autant que pragmatique. Au fil du temps, ses projets prennent une dimension qui confine au délire, et c’est une femme, Jane Jacobs, qui est l’artisan principal de la chute du tout-puissant Moses.
Imprégnée de la contre-culture qui gagne les esprits dans les années 60, c’est une bobo avant l’heure, dénonçant inlassablement l’évolution inhumaine de New York. La violence et l’insécurité qui gangrènent la ville précipitent la chute de Robert Moses, qui meurt dans l’anonymat, voire le mépris.
Mais si aujourd’hui, Jane Jacobs se voit dédier la journée du 28 juin dans le calendrier américain, l’ombre de Moses continue à planer encore et toujours sur la Big Apple, même si beaucoup de ses habitants ignorent jusqu’à son nom.
Grâce au récit documenté de Pierre Christin, et au merveilleux dessin d’Olivier Balez [1], vous pouvez découvrir l’étonnante personnalité de Robert Moses, démiurge et mégalomane !!!
<cite|livre|titre=Robert Moses - Le maître caché de New York
|auteurs=Pierre Christin (scénario) / Olivier Balez (dessin)
|editeur=Glenat
|annee=2014
|collection=1000 feuilles
|pages=100
|isbn=9782723495844
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Billet initialement paru sur Actualitte.com
[1] par ailleurs auteur des excellents Chanteur sans nom et J’aurai ta peau, Dominique A. chez Glénat