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Le printemps des Quais

mardi 24 juin 2014 par Thierry Saint-Solieux rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Aujourd’hui, on ne conçoit plus l’édition d’un film en DVD sans lui adjoindre des suppléments, souvent passionnants. Une démarche patrimoniale qui est une tentative intelligente pour lutter contre le réflexe du téléchargement. Voilà donc le making-off d’un film de cinéma... mais sous forme de BD !

Le printemps des quais d’Olivier Thomas, Pascal Génot et Bruno Pradelle raconte avec un grand luxe de détails le tournage chaotique du Rendez-vous des quais, une œuvre de Paul Carpita censurée pendant trente-cinq ans !

Instituteur à Marseille, ancien résistant et militant communiste, Paul Carpita est un cinéaste qui tourne de nombreux documentaires, toujours engagés politiquement, dans l’immédiat après-guerre. Au début des années cinquante, il décide de réaliser un long-métrage racontant une grève des dockers marseillais, avec une histoire d’amour pour romancer l’affaire et mettre un peu de légèreté dans son propos.

Le port de Marseille est à l’époque le principal point de départ des hommes et du matériel pour la guerre d’Indochine, et plus tard pour l’Algérie. Une zone difficile à pénétrer, voire interdite, mais Carpita vole du papier à en-tête du Studio Pagnol et déclare aux autorités tourner un documentaire sur la pêche ou le Château d’If.

Les renseignements généraux surveillant le port pour repérer les dockers prêts à faire grève, Carpita fait réciter n’importe quel texte à ses acteurs puis intègre les vrais dialogues en post-synchronisation dans les studios de Marcel Pagnol, grâce à des techniciens complices. Paul Carpita déteste Pagnol, trop à droite pour lui, mais nuance plus tard son propos, Pagnol jouant vraiment le jeu pour l’aider dans son travail.

Le rendez-vous des quais voit le jour grâce à la solidarité sans faille des camarades et sympathisants. Un exemple parmi d’autres : Jean Wiener, génial pianiste au cabaret du Bœuf sur le toit et délicieux compositeur - Touchez pas au grisbi et bien plus tard, Histoires sans paroles - ne touche pas de droits d’auteur pour sa musique et paye la location du studio ainsi que les frais d’enregistrement.

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Vu aujourd’hui, le film est certes un réquisitoire contre l’impérialisme occidental, le patronat et la guerre, mais c’est aussi un mélange plutôt réussi entre la fiction et le documentaire. Si l’on y trouve quelques acteurs professionnels, on y voit surtout évoluer des gens du cru, dans une esthétique qui annonce, toutes choses égales par ailleurs, la Nouvelle Vague.

Le problème qu’il pose à l’époque est d’être financé par le PCF, et ce en pleine guerre froide. Résultat, la commission de contrôle des films vote son interdiction totale, en raison de son caractère politique. C’est une décision exceptionnelle, même pour cette époque de censure à tout crin, où les actualités officielles sont archi-contrôlées. On ne propose même pas au réalisateur de retourner les scènes qui fâchent, et le film disparaît... jusqu’en 1981 !

Jack Lang, alors ministre de la Culture, se rend à Port-de-Bouc pour une manifestation culturelle sur la mémoire ouvrière. Sollicité par des dockers, anciens figurants dans le « Rendez-vous des quais », il fait débloquer les copies déposées aux Archives françaises du Film.

Le printemps des quais n’est certainement pas un album audacieux dans son ambiance graphique ou sa narration, mais il est plaisant et sincère. Surtout, il restitue à merveille le Marseille populaire des années cinquante, et l’atmosphère politique qui règne en France à cette époque. A lire après le visionnage du film, facilement accessible de nos jours !!!

<cite|livre|titre=Le printemps des Quais
|auteurs=Pascal Génot / Bruno Pradelle / Olivier Thomas
|editeur=Soleil
|lieu=Toulon
|annee=2014
|collection=Quadrants Astroloabe
|pages=64
|isbn=9782302030848
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Billet paru précedemment sur le site Actualitté.

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