> Mag > Spectacle > Lilith en Off
À l’aise dans tous les genres, du théâtre classique [1],aux créations originales et contemporaines [2], Eugénie Leclercq s’est aussi distinguée au cinéma en jouant un des rôles principaux du court-métrage Là-bas dans ce bar. Actrice confirmée donc, elle poursuit sa carrière artistique en revenant à ses premières amours, la danse, l’occasion de rencontrer ce jeune talent !
La toute jeune association des Dragons Gradés présente au Croiseur en Off de la Biennale de la danse le 27 septembre à 16h Lilith. Eugénie Leclercq, interprète de Lilith, est la directrice artistique de ce ballet. Il s’agit là de la première création pour cette habituée des planches.
De quoi parle Lilith ?
Eugénie Leclercq : Lilith est un ballet qui retrace le destin tragique de Lilith. Pour comprendre qui est Lilith, il faut analyser les deux chapitres de la Genèse. Dans le chapitre 1, il est écrit que Dieu crée l’Homme, qu’il les crée mâle et femelle et les place dans le jardin d’Eden. Dans le chapitre 2, il est écrit que Dieu place l’homme dans le jardin puis continue la création avec les animaux. Or, aucun animal n’est à la mesure de l’homme ; Dieu décide de prendre une côte d’Adam et d’y créer la femme, Eve.
Face à ces deux récits, les hébreux ont relevé une incohérence : le premier chapitre parle d’une création simultanée des deux êtres, le second relate l’arrivée de la femme après l’homme. Ils ont donc cherché dans les anciens récits une figure de première femme avant Eve et ont trouvé dans les mythes mésopotamiens et sumériens le personnage de Lilith, née dans la même terre que l’homme. Ils ont alors raconté son histoire dans la Kabbale. Lilith et Adam naissent en même temps et s’aiment. Mais Lilith refuse de lui être inférieure moralement et physiquement. Pendant l’amour, elle refuse d’être sous lui et de lui être soumise. Lassée par Adam, elle l’abandonne. Alors qu’elle se promène dans le jardin, Adam se plaint à Dieu. Dieu ordonne alors à Lilith de retourner auprès de l’homme. Lilith désobéit et se retrouve condamnée à devenir stérile et surtout à devenir la première succube, c’est-à-dire la première dévoreuse d’enfants.
Lilith est imparfaite donc universelle.
Aujourd’hui Lilith est méconnue et l’on ne retient que son aspect démoniaque. C’est cette histoire tragique et injuste que retrace le ballet en quatre tableaux : la naissance de Lilith, d’Adam et d’Eve dans le jardin d’Eden et le combat de Lilith contre la domination de l’homme ; la descente aux Enfers et l’humiliation des Démons venus la chercher qui va la transformer douloureusement en Succube ; la disgrâce d’Adam et Eve avec la pomme croquée ; la dernière lutte de Lilith dans le Néant dans lequel elle a été condamnée à sombrer pour avoir voulu être l’égale de l’homme.
Qu’est-ce qui vous a attiré chez Lilith pour décider de lui consacrer un ballet ?
Lilith est imparfaite donc universelle. Elle est colérique, jalouse, têtue. Et c’est en cela qu’elle est la parfaite représentation des femmes. Je préfère me dire humaniste plutôt que féministe car au fond, via Lilith, je milite pour une égalité des droits et un respect de la femme non pas parce qu’elle est vertueuse ou supérieure à l’homme mais parce qu’elle est un être humain tout simplement.
Lilith a refusé d’être inférieure à Adam, elle a voulu garder le pouvoir sur son corps et décider sans maître parce qu’elle était née dans la même terre que lui, en même temps que lui. Elle est, à mon avis, le meilleur symbole de ce que doit être le féminisme : la lutte d’un être humain pour avoir les mêmes droits qu’un autre être humain. Et comme il s’agit d’une lutte pour le respect du corps féminin, d’une naissance, d’une déchéance, d’une condamnation à la stérilité, je voulais laisser parler le corps. La danse, évidemment, m’a semblée le meilleur moyen de raconter cette histoire incroyable.
Cette pièce a intégré la programmation de la biennale Off de la danse, ce doit-être une immense fierté j’imagine mais comment une petite compagnie comme la vôtre, qui n’est pas professionnelle, a-t-elle réussi à être programmée ?
Ma bonne étoile il faut croire ! En fait, je n’avais pas envie de me limiter dans les demandes de salles même si nous sommes amateurs. J’ai donc envoyé le dossier de présentation de Lilith au Croiseur en leur demandant s’ils pouvaient nous programmer en fin d’année 2014. L’après-midi même de ma demande, Didier Vignali, le directeur du Croiseur, m’a téléphonée pour me dire qu’il organisait la Biennale OFF de la danse en septembre et que le projet correspondait tout à fait à ce qu’il voulait promouvoir pendant cet événement.
Il a été conquis par le personnage de Lilith par l’ambiance du ballet et par nos ambitions pour le projet. J’ai donc envoyé une candidature officielle pour la Biennale OFF et nous avons été sélectionnés dès le premier tour. Cela a été une immense surprise et surtout le début d’un énorme travail pour être la hauteur de l’événement.
Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce projet ?
L’idée du ballet m’est venue en août 2013. J’ai demandé à Kévin Bardin d’en être le compositeur et à Cécilia Nguyen Van Long d’en être la chorégraphe début septembre. Cela fait donc une grosse année que nous avons lancé ce projet.
Vous n’êtes pas danseuse professionnelle, alors pourquoi vous être lancée dans un tel projet ?
J’ai fait 12 ans de danse classique jusqu’au bac. Mais pendant mes études, j’ai laissé mes chaussons au placard. La danse me manquait énormément, et surtout j’avais envie d’expérimenter une autre façon de danser. Le classique ne correspondait plus à mon caractère, j’avais besoin de danser autrement, je voulais aller vers le sol contrairement au classique qui, bien sûr, est une discipline très aérienne. Alors je me suis mise à imaginer un ballet.
Le personnage de Lilith m’a semblé une évidence : elle me permettrait de danser avec douceur dans l’Eden, de danser au sol dans les Enfers, de toucher à une autre gestuelle… Bref d’allier l’évolution des sentiments du personnage avec celle de la danse. Au début, je voulais me remettre en forme et apprendre le contemporain sans me donner d’échéance.
Mais lorsque nous avons été sélectionnés pour la Biennale, le temps a commencé à nous être compté. Voilà pourquoi Cécilia et moi avons tenu un rythme de répétition extrêmement soutenu pendant un an pour me donner les bases de contemporain, quelques-unes de hip hop pour faire exister Lilith. Le projet a pris une ampleur que nous ne soupçonnions pas !
En termes de travail et d’énergie, est-ce que ce rôle vous a demandé plus d’investissement que pour vos précédents rôles en tant qu’actrice ?
Oui énormément. Travailler Lilith a été un véritable challenge par rapport à mes personnages au théâtre. Il a fallu fournir un travail physique lourd et exigeant. Cécilia Nguyen Van Long a été un excellent professeur et un professeur exigeant ! Elle ne m’a rien épargné et je ne la remercierai jamais assez de sa patience, de ses encouragements et de son abnégation pour faire de moi une danseuse et non plus une comédienne qui danse, la nuance a son importance !!
Au début, les répétitions étaient très douloureuses. Je n’avais jamais dansé sans chaussons par exemple. Les pieds ont été brusqués par le sol : brûlures, crampes, cornes sont au rendez-vous aujourd’hui ! Mes genoux sont noircis de bleus comme mes coudes. L’endurance a été également un sacré challenge. Au début, après 1h30 d’entraînement, je n’avais plus aucune énergie. Maintenant, nous pouvons travailler 3h voire 4h sans pause.
De plus, comme Lilith est un personnage fort qui me tient particulièrement à cœur, je voulais être à sa hauteur, la rendre crédible. Au théâtre, on travaille l’interprétation, la voix, la gestuelle du personnage. On peut chercher le personnage à force d’improvisation. En danse, l’appropriation est très personnelle. On ne peut pas se cacher derrière un accent, derrière des mimiques. Chaque mouvement est important. Le travail est différent et Lilith m’a épuisée !
Les musiques sont-elles des créations originales ou alors vous inspirez-vous de musiques déjà existantes ?
Nous avons 40 minutes de musique originale composée par Kévin Bardin. Cécilia et moi savions quelle ambiance nous souhaitions donner aux tableaux. Pour aiguiller Kévin dans son travail, Cécilia lui fournissait des musiques qui se rapprochaient de l’esprit que nous souhaitions donner. Puis Kévin, une fois nos idées comprises, composait en y ajoutant sa pâte. Il nous donnait également son avis et nous a apporté son regard de compositeur.
Certains passages ne ressemblent absolument pas à ce que j’avais imaginé et ont pris une plus grande ampleur grâce à ses conseils. Les quatre tableaux sont tous très différents. Il n’y a pas un genre de musique pour tout le ballet. Chaque univers a sa couleur. Je suis vraiment très fière du travail de Kévin. Grâce à lui, la musique est un personnage à part entière qui nous porte tout au long du ballet.
Cette représentation est donnée par une troupe amateure, mais si cette pièce fonctionne, envisagez-vous de vous professionnaliser ?
Nous ne nous sommes fixés aucun objectif pour ne pas être déçus. Mais, bien sûr, si l’on nous propose d’acheter le ballet, nous serons ravis de pouvoir jouer la pièce dans d’autres salles ! Lilith est une création qui nous a demandé beaucoup d’énergie et beaucoup d’implication et si nous pouvons le présenter dans un cadre professionnel, cela serait une belle récompense de notre travail. Ce ballet nous a donné des ailes et nous avons envie de le partager avec le plus de spectateurs possibles.
Pour conclure cette interview, que diriez-vous à nos lecteurs pour les inciter à aller voir Lillith ?
Nous avons monté un ballet à notre image. C’est-à-dire un ballet qui raconte une histoire. Nous avons horreur Kévin, Cécilia et moi des pièces contemporaines qui se prennent la tête et qui perdent le spectateur. Lilith est un ballet accessible à tous. Les passionnés de danse comme les novices sont attendus dans nos salles. Le spectateur suivra Lilith depuis l’Eden jusqu’aux Enfers, dans une suite de péripéties douloureuses, sanglantes, déchirantes.
Et pour les plus réticents, un argument de taille : le ballet ne dure que 40 minutes !
Propos recueillis par Jérémy Engler et publiés initialement sur le blog l’envolée culturelle
Autres représentations :
3 et 4 octobre - 20h30 - MJC Monplaisir - 04 72 78 05 70,
10 octobre - 20h30 - Le Croiseur ; Quinzaine de l’Egalité - 04 72 71 42 46,
29 novembre - 20h30 - Festival Temps Danse – Miribel,
16-17 janvier - 20h30 - Salle des fêtes de Couzon au Mont d’Or
Par la cie des Dragons Gradés
Dans le cadre de la Biennale OFF de la danse
Direction artistique : Eugénie Leclercq ,
Chorégraphie : Cécilia Nguyen Van Long
INFOS ET RESERVATIONS
infos.scene7@gmail.com
04 72 71 42 26
Tarif plein : 12€, Tarif réduit : 8€, - de 12 ans : 4€
[1] avec La maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca, Le fils ainé de Vampilov ou Les Ombres de Peter Pan , adaptation de l’œuvre de J.M Barrie par Vladimir Lifschutz et Juliette Paire.
[2] telles que Greystone : 78 habitants ou La très Mirifique Queste d’Aurélien Chapuis écrites par Aymeric Raffin.