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Une nouvelle publication de la dynamique maison Torticolis et Frères entraîne le lecteur à suivre la perte de ses personnages, entre récit âpre, méditations et photographies
Pour son nouveau livre, Alexandre Corréa a eu la bonne idée de faire appel à Patrice Schreyer, photographe de son état. Ce dernier travaille depuis des années, en parallèle à ses travaux de commande, à des séries personnelles souvent très noires où l’humain n’a que peu de place, voire plus du tout. Comme un monde lavé de l’Homme, au moins un en-deçà de l’humanité.
C’est sur ce travail sombre que l’écrivain a puisé l’énergie, la force sombre de son récit. Il plante rapidement décor quasi apocalyptique où Angel et César sont deux paumés trouvant refuge illusoire et passager dans l’alcool. Rapidement, Angel passe d’élucubrations avinées à des petits forfaits, rêvant de toujours plus sauvagerie et d’argent…César le suit, malgré lui. D’autres les rejoignent. La dérive peut débuter.
Le livre aurait pu s’appeler, en piquant l’idée à Pascal Quignard, Les Ombres Errantes. Mais l’auteur aime la sobriété. Car c’est bien cette errance qui nous est livrée là. Sans pudeur. Sans gant, sans précaution. Le lecteur se prend de plein fouet les délires d’Angel. Les photos viennent ponctuer cette violence, laissant sourdre comme un bruit blanc peut-être moins démonstratif mais à la puissance encore décuplée.
Car ce livre n’est peut-être pas à mettre entre toutes les mains. Sa lecture est mal-aisée. Non par l’écriture à la très belle distanciation – ne laissant aucun doute sur la position de l’auteur – mais au vu des faits qui y sont relatés. Pour autant, il mérite mille fois d’être lu.
À mon sens, la beauté (et je pèse mes mots) n’est pas tant dans le récit que dans les escapades, les libertés, les traverses qu’emprunte Alexandre Corréa. Il enchaîne avec une facilité déconcertante des phrases limpides et percutantes sur la condition de l’Homme, son rapport au monde. Car au final, c’est bien de cela qu’il s’agit, de la (l’extrême) difficulté d’être. À la fois récit, roman et traité quasi philosophique, des méditations à tout le moins, voilà comment se révèle cet ouvrage.
Les questions y sont graves, les réponses apportées ne le sont pas moins. Angel n’est que le support pathétique et radical de cette position au monde. Il est la fiction qui ancre et matérialise les propos de l’écrivain. Alexandre Corréa n’est pas Cioran, il n’est pas philosophe. Il dilue sa pensée dans cette fiction. Et ses mots n’en revêtent que plus de force encore.
L’apport des photographies là aussi est pertinent car elles créent une tension avec les mots. Leur mise en page compte. Elles ponctuent, rythment les mots. Elles menacent parfois. Toutes choses que là encore l’écrivain décrit très bien quand il questionne au sein même du récit la dualité image/réalité.
Voilà donc un livre dur, violent, mais aux facettes multiples. Riche par la générosité de ses auteurs, fort de leur attitude apparemment bravache mais ô combien plus subtile à y lire et regarder de plus près…
Note : pour contenir des prix décents, les auteurs ont fait imprimer l’ouvrage sur un papier de qualité standard. Les photos sont également visibles sur cette galerie
<cite|livre|titre=Des ombres
|auteurs=Alexandre Corréa (textes) et Patrice Schreyer (photos)
|editeur=Torticolis & frères
|lieu=La chaux-de-Fonds
|annee=2015
|pages=240
|isbn=9782253061434
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Les commentaires de cet article
# Le 29 juin 2015 à 12:16, par François Habran En réponse à : Loose, violence et réflexion
Je trouve ça très beau…