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Chloé Cruchaudet nous propose avec « Mauvais genre » un récit de personnages réels, complètement oubliés alors que leur histoire est fascinante. Nous découvrons ici Paul Grappe et Louise Landy, deux jeunes gens issus d’un milieu modeste.
Ils se rencontrent au bal, elle est timide alors qu’il roule les mécaniques, mais le temps d’une danse un peu chaotique, c’est le coup de foudre et le mariage ne tarde pas. La cérémonie est un peu précipitée car Paul est appelé sous les drapeaux. Avant d’être rendu à la vie civile, la guerre de 14 éclate. Submergé par l’horreur au quotidien, il s’automutile pour être évacué vers l’arrière.
Un doigt coupé, il ne peut plus tirer au fusil mais doit repartir tout de même au front. C’en est trop pour lui, il déserte pour retrouver Louise et se terre dans la petite chambre de bonne où elle habite. Louise trime du matin au soir pour subvenir aux besoins du foyer et voit Paul sombrer peu à peu dans la neurasthénie à force de vivre reclus.
Sur un coup de tête, il emprunte un soir les vêtements de sa femme et se grime sommairement pour sortir, marcher simplement dans la rue, y respirer l’air pur. Prenant goût à cette liberté retrouvée, il décide de se travestir en permanence et devient Suzanne Landgard.
D’abord perturbée, Louise est amusée et peaufine le déguisement : maquillage, cours de maintien féminin, travail de la voix, tout ce qu’il faut pour tromper les voisins, les passants, et à fortiori les gendarmes.
La guerre prend fin, mais pas les ennuis de Paul, car il lui faut attendre une amnistie pour reparaître au grand jour sous sa véritable identité. En attendant, il apprend un métier, se fait des amies, commence à vivre sa vie sans se préoccuper de sa femme. Son identité sexuelle troublée, Paul s’égare dans les recoins du Bois de Boulogne, et devient une vedette parmi les fétichistes et autres échangistes qui y pullulent.
Il entraîne Louise dans ses jeux, qui est troublée et fascinée mais surtout déboussolée. L’amnistie venue, Paul reprend l’apparence d’un homme et veut retrouver une vie normale, mais son histoire attire l’attention d’un imprésario véreux. Il se donne en spectacle, s’étourdit d’une éphémère célébrité qui prend fin brutalement et le laisse vide, dégoûté.
Abîmé par l’alcool, il devient violent. Et les cauchemars liés à la guerre, qui ne l’ont jamais quitté, reviennent toujours plus fort...
dont les étapes se trouvent rassemblées dans le livre La garçonne et l’assassin, fruit du travail de deux historiens, Danièle Voldman et Fabrice Virgil. Le récit de Chloé Cruchaudet, qui s’en inspire, nous amène à partager le quotidien d’un couple vivant en dehors des normes, ou plutôt les réinventant au fur et à mesure que Paul explore les différentes facettes de sa personnalité.
Il n’y a pas de jugement dans son regard : Paul et Louise ne sont ni bons ni mauvais, ils sont à l’image de cet entre-deux-guerres où les gens cherchent à oublier l’horreur de 14-18, en adoptant parfois des comportements extrêmes, jusqu’à se perdre. On frôle plus d’une fois le scabreux, voire le sordide, mais il n’y a jamais de voyeurisme de la part de l’auteure.
A l’image de la danse que partagent les deux amoureux au début de l’ouvrage, son dessin est fluide et souple, faisant disparaître les cases pour aérer les planches. Le choix d’un noir et blanc très sobre, parfois éclairé d’une tache de rouge, fait que l’ouvrage engendre chez le lecteur une profonde mélancolie.
<cite|livre|titre=Mauvais Genre
|auteurs=Chloé Cruchaudet (scenario, dessin, couleurs)
|editeur=Delcourt
|annee=2013
|collection=Mirages
|tome=Histoire complète
|pages=160
|isbn=9782756039718
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Billet publié initialement sur le site actualitte.com