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Réminiscences de Proust dans Il était une fois en Amérique de Sergio Leone

Mémoire involontaire

lundi 23 octobre 2017 par Hervé Daniel rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Il était un fois en Amérique est un film-fleuve qui explore les thématiques du temps et du souvenir en épousant toute la vie d’un personnage. Par la simple redécouverte d’un lieu qu’il fréquentait dans son enfance, Noodles est soudain replongé dans ses souvenirs comme si il les vivait de nouveau.

Décrire la sensation du temps écoulé c’est ce pour quoi Marcel Proust est connu avec son unique roman, A la recherche du temps perdu, auquel Sergio Leone emprunte beaucoup de motifs. La taille démesurée de ce roman est selon Proust la condition sine qua non de son ambition à décrire le temps. Car selon lui, pour donner la sensation du temps écoulé, il faut décrire un même personnage à de nombreux moments de sa vie pour qu’il nous apparaisse comme plusieurs personnages successifs et différents, tant les gens changent avec le temps. Proust dit que, comme il y a une géométrie plane et une géométrie dans l’espace, son roman n’est pas seulement de la psychologie plane mais de la psychologie dans le temps. Pour cela, il faut que l’expérience dure. Il était une fois en Amérique a cette même ambition de décrire les personnages dans le temps, ce qui explique sa longueur sans laquelle son sujet même serait trahit et son intérêt faussé.

Proust distingue la mémoire volontaire de la mémoire involontaire. La mémoire volontaire est celle qui, parce qu’elle est une mémoire de l’intelligence ne nous donne du passé que des images sans vérité, des illusions sans authenticité. Au contraire, la mémoire involontaire est une mémoire de l’impression, elle survient à un moment impromptu, par la redécouverte d’un lieu, d’un son, d’un goût que nous avons déjà rencontré dans notre enfance. Et c’est par cela seulement que le passé resurgit cette fois dans toute sa saveur, comme si nous y vivions de nouveau. Et c’est aussi par cela que le vertige du temps écoulé nous frappe comme si, du haut d’une montagne, nous regardions soudain vers le bas et que nous réalisions le chemin parcouru.


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Chez Proust, le simple goût d’une madeleine qui lui rappelle celles qu’il mangeait dans son enfance mène le personnage à revivre tout son passé. Dans le film de Sergio Leone, cet instant de mémoire involontaire est celui où Noodles regarde à travers le trou d’un mur où, pendant son enfance il allait regarder danser une jeune fille dont il était amoureux. La simple vue de ce trou dans le mur le plonge directement dans le temps perdu, et ce pour presque toute la durée du film.
Cette séquence est la transposition judicieuse du chapitre de la madeleine au cinéma. Noodles y redécouvre le temps passé en regardant à travers un fenêtre ; de la même manière que le cinéma nous dévoile le temps passé à travers un écran. Derrière cette petite fenêtre, il revoit ses amitiés, ses amours ainsi que tous les petits événements de la vie qui, si futiles soient-ils, lui apparaissent malgré tout comme immenses et demeurent dans sa mémoire sans qu’il ne s’explique pourquoi. Il s’agit par exemple d’un petit gâteau à la crème, d’abord destiné à être offert à une fille, qu’un enfant, comme poussé par une tentation incontrôlable, se met à manger avec passion.
La scène est longue et portée par une musique lyrique grandiloquente. Proust consacre lui-aussi des dizaines de pages au simple baiser que lui donne sa mère avant d’aller se coucher. Accorder autant d’attention à de si petits événements, c’est ce que font les enfants, et Proust et Sergio Leone ont eu l’intelligence de les inclure à leurs œuvres comme des moments marquants de la vie et du passé.

Par la mélancolie du temps écoulé que vivent les personnages, ces œuvres provoquent inévitablement cette même mélancolie chez le spectateur. Ainsi, A la recherche du temps perdu et Il était une fois en Amérique sont parmi ces oeuvres que nous voulons tout de suite revivre après les avoir terminées une première fois, elles sont comme une boucle du temps, dont la fin est un écho au début, un appel vers l’éternel retour des mêmes instants ; et elles deviennent ainsi des univers autonomes qui se forgent dans les souvenirs. Leur vocation est de nous donner à ressentir – et non à comprendre, comme l’aurait mieux fait un essai de philosophie ou de psychanalyse - le vertige du temps écoulé.

A la rechercher du temps perdu, par Marcel Proust, 1927. Quarto Gallimard. 1999. 2408 p.

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