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Ostande

jeudi 10 octobre 2019 par Cédric Aegerter rédaction CC by-nc-sa

Entretien

Que ferait Gainsbourg en 2019 ? La question est absurde mais mérite d’être posée à l’écoute du premier album d’Ostande, duo franco-suisse composé de Régis Savigny et Pat Genet. Tout au long de ses dix morceaux, Noyés par la décrue n’hésite pas à emmener l’auditeur dans des chemins de traverse, le mettant en face de ses propres contradictions.

Sous un ciel bas flanqué de neige noire, les mots claquent et s’enchaînent à la manière de poupées russes aux allures improbables. Très réussi musicalement, l’album fait écho à Massive Attack (Mezzanine), Nine Inch Nails (The Fragile), voire même Joy Division (Closer), ou encore, plus près de nous, Philippe Prohom. L’ombre du grand Serge, qui chantait le désespoir avec une élégance rare, n’est pas loin…

Mais avec Ostande, rien n’est jamais acquis, ni même certain, le plus obscur se révélant finalement le plus lumineux et le plus lumineux, le plus obscur. Volontairement éclaté dans son intention, mais toujours concis dans son expression, l’album est passionnant de bout en bout. Le duo, qui s’est déjà produit dans des salles mythiques, tels les Trois Baudets à Paris, mérite d’être découvert à grande échelle.
Rencontre avec ses deux protagonistes

Comment est né Ostande et pourquoi avoir choisi ce nom ?

Pat Genet : Ostande est né à la suite d’un stage pour auteurs-compositeurs-interprètes organisé dans le Jura suisse par la Médaille d’Or de la Chanson et l’association Voix du Sud de Francis Cabrel. Tant Régis que moi – on ne se connaissait pas, lui est d’Orléans, moi de Martigny, en Valais –, nous y avions postulé pour pouvoir travailler avec Jean Fauque, parolier et ami d’Alain Bashung qui est pour nous une référence et qui était l’intervenant « textes » du stage.
Le morceau sur lequel nous avions collaboré durant le stage, « Tempête ici », a connu un joli succès lors du concert de fin de stage. Quelques semaines ont passé et l’envie de pousser l’aventure un peu plus loin nous est vite apparue. Le nom du groupe ? Ostende, pour moi c’est la grisaille de la mer du Nord, c’est la station balnéaire hors saison, des ambiances qui collent bien avec notre musique. Et puis c’est Bashung, Ferré, Arno. Brel notamment.


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Ostande
© Gaëtan Charles

Quel a été votre parcours personnel avant de fonder le groupe ?

Régis Savigny : J’ai beaucoup joué depuis que je suis adolescent, dans les bals de ma région, parallèlement à des études de droit puis de philosophie. En 2003, j’ai décidé de me consacrer entièrement à la musique qui me prenait de plus en plus de temps. J’ai évolué dans le milieu de l’electro-jazz, je me suis frotté à l’univers de la chanson (Charlélie, Liz Van Deuq, Sapho), des musiques du monde aussi.
J’ai, dans les faits, toujours réalisé les disques sur lesquels je jouais, de la même manière que je me suis assez vite intéressé aux techniques de production. Ça allait avec une envie de maîtriser la création d’un bout à l’autre de la chaîne, notamment pour ne dépendre de personne.

Pat Genet : J’ai écrit durant une quinzaine d’années pour d’autres artistes, notamment le duo Aliose, pour lequel j’ai signé le texte de « Pixels », paru sur leur album Comme on respire. Aujourd’hui, la quasi-totalité de ce que j’écris va à mes projets, Ostande en tête, même si certaines collaborations restent à l’ordre du jour.

Le titre de l’album, Noyés par la décrue, suggère la contradiction, l’idée d’évoluer à contre-courant. Quel est le message véhiculé par le groupe ?

Régis Savigny : On vit dans une époque qui marque la fin de l’abondance et paradoxalement on crève de trop de tout, trop de production, trop de nourriture, on a de moins en moins accès à l’eau potable et dans le même temps le niveau des océans monte.
Je pense que nous ne véhiculons pas de message, c’est juste un constat sur l’état du monde. C’est aussi la décrue des sentiments qui précède la fin d’une relation amoureuse et son flot de rancœurs.

Si vous deviez définir votre musique, quels mots choisiriez-vous ?

Régis Savigny : Il y a un mélange de rock assez sombre et d’instruments électroniques, on joue parfois sur les codes de la dance music mais ça n’est jamais assez tranquille pour qu’on puisse passer nos morceaux en discothèque. Pour l’instant il n’y a pas vraiment de mélodies dans la voix de Pat, ça se situe à un autre niveau. Je ne dis pas que ce sera toujours comme ça. Pour l’instant, c’est parlé avec des mélodies autour ou juste du son.

Pat Genet : C’est de l’electrorock pré-apocalyptique en français. J’insiste : en français.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la réalisation de l’album ? Quel a été votre mode opératoire ?

Régis Savigny : Nous avons enregistré assez rapidement car le temps dont nous disposons, du fait de l’éloignement géographique, est limité.
J’ai posé certaines bases dans mon studio, d’autres ont été enregistrées dans un studio à la campagne pendant que Pat était là et il en a profité pour enregistrer des voix témoins. Ensuite j’ai repris tout ça chez moi et Pat est revenu faire les voix définitives. Nous avons aussi enregistré des batteries dans un autre studio à Paris car nous voulions que les passages rock ou que les boucles soient issus de vraies sessions ad hoc, pas puisés dans des banques de samples.
Je n’ai rien contre les boucles toutes faites, je m’en sers parfois, mais j’aime bien utiliser un matériau brut et qui m’est propre, surtout pour les rythmiques.
_ J’ai tenu aussi à mixer l’album car une partie de ce que j’avais à exprimer passait aussi par le son, le traitement des voix, la spatialisation. Plutôt que de passer des heures à expliquer à un ingé son ce que je voulais, j’ai plus vite fait de le faire moi-même…

Y a-t-il un morceau sur ce disque qui vous suggère une anecdote particulière ?

Pat Genet : Sur la naissance de « Nous voilà seuls », peut-être, parce que cette naissance est symptomatique de l’alchimie du duo. C’était lors d’une session à la campagne. Régis cherchait des sons, des lignes, et les premières ambiances m’ont incité à reprendre un bout de texte que j’avais sur mon ordinateur, puis un autre, puis à rassembler ces deux extraits, et au fur et à mesure que le morceau progressait musicalement je retouchais, changeais, adaptais le texte.
Et à un moment, j’ai compris de quoi ce texte allait réellement parler : je tournais autour du thème des révolutions, tant intimes qu’universelles. Et au moment où je pose les mots « … sur mes places Tahrir et de l’Indépendance », Régis balance à la guitare un refrain typé Rage Against the Machine – groupe révolutionnaire s’il en est. On s’était rencontré.


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Portrait en duo Ostande

Régis Savigny, tes trames musicales sur ce disque sont étonnantes, très travaillées, tout en restant efficaces et concises. Tu ne t’éloignes jamais d’une certaine simplicité et sembles toujours laisser à la musique l’espace nécessaire pour évoluer librement et surprendre l’auditeur. Quelles sont tes influences ? As-tu développé une philosophie particulière en termes de composition et d’arrangement ?

Sur les choix de sons il y a des constantes, notamment les batteries quasi systématiquement en mono. Sur « Fais briller » par exemple, c’est une vraie batterie, jouée par mon frère, qui a été enregistrée avec un seul micro dans une pièce, à l’ancienne. On avait la possibilité d’utiliser tous les micros de proximité pour le mixage mais il m’est apparu évident que cette batterie sonnait parfaitement avec ce vieux micro à ruban, sans artifice. J’utilise aussi beaucoup de bruits blancs qui me servent d’instruments rythmiques ou que j’utilise pour doubler certaines pistes de guitare, de basse ou de caisse claire.
Lors du mixage, j’ai apporté un soin particulier à laisser certaines matières brutes, un peu comme dans la cuisine italienne où on a beaucoup de saveurs franches. La facilité nous pousse parfois à y aller franchement sur les effets car c’est le son du moment, mais je me méfie justement de ce que ça peut raconter ensuite, quand le son du moment ne sera plus celui-là. Du coup, je coupe brutalement les reverbs par moment, je tords un peu les espaces, je détourne beaucoup les intentions histoire de ne pas laisser l’auditeur s’endormir.
Pour la composition c’est assez minimaliste avec Ostande, je reste sur des choses simples qu’on peut rejouer à deux ou qui ne marquent pas trop le texte. J’essaie, sauf exception, de ne pas illustrer le texte avec la musique, d’autant que cette dernière arrivant quasi toujours après le texte ce serait assez tentant. Je préfère jouer avec le son et proposer quelque chose qui tranche.

Je suis guitariste avant tout, mais mes premières influences viennent de la musique électronique des années 70, Jean-Michel Jarre, Moroder, Tangerine Dream… De fait, la plupart de ces musiciens ne respectaient pas la structure couplet-refrain qui a pris le pas sur toutes les autres formes musicales depuis quelques années. Pour moi, Ostande reste un espace d’expérimentation, donc c’est un peu comme on le sent sur le moment, ça changera sans doute.

Pat, tes textes sur ce disque sont à la fois directs et très personnels, mais tu parais souvent les enrober d’une chrysalide et d’une dimension onirique pour offrir une certaine liberté d’interprétation. Par quoi ou quelle(s) expérience(s) tes textes sont-ils inspirés ? Et comment s’effectue le choix des mots ? Privilégies-tu leur sens ou leur sonorité ?

Je me permets de corriger un tant soit peu : la majorité des textes est de moi, mais Régis est l’auteur de deux titres. Mais le fait que cela te semble avoir été écrit intégralement par une seule personne est plutôt bon signe : c’est sans doute qu’il y a une certaine homogénéité à ce niveau.
Sur la question de l’écriture proprement dite, je crois profondément qu’il n’y a rien de plus universel que l’intime mais je n’ai pas non plus envie de m’étaler de manière crue et impudique sur la place publique. « Etre désespéré, mais avec élégance », chantait Brel… Quant au choix des mots… très bonne question, et tu touches juste, encore une fois : je crois que c’est autant leur son que leur sens qui m’intéresse.
Avec ses auteurs, Bashung a su faire sonner la langue française comme peu d’autres, tout en laissant la porte ouverte dans ses chansons à une multitude d’interprétations possibles. Je crois que c’est un peu ce que l’on recherche avec Régis.

Où vous situez-vous dans le débat digital VS analogique ?

Régis Savigny : C’est une question d’outils avant tout. Il y a une vague de fétichisme qui suit toute période post-moderne, on a eu la même il y a vingt ans avec les guitares, maintenant c’est pareil pour ce qui concerne les instruments électroniques ou la production audio.
Tout ce qui est analogique et vintage est globalement cher, donc c’est une manière de faire un tri, toujours au désavantage des plus pauvres.
C’est une forme de snobisme qui a tendance à me fatiguer. Le bon outil est celui qu’on a sous la main, toujours et sans discuter. Bien sûr, les instruments les mieux fabriqués ont un truc bien à eux, appelons ça le mojo.
Le plus important, c’est de ne pas se couper de sa musique en se laissant submerger par le matériel ou les logiciels ou pire : la frustration de ne pas avoir le bon instrument ou le dernier logiciel.
Je préfère l’analogique au numérique plus pour une raison de méthode de travail que pour des raisons sonores. Sur un vieux synthé limité par le nombre de sons en mémoire, un ampli à lampes, une pédale analogique, tu ne peux pas faire défiler les presets, tu dois aller à l’essentiel pour trouver le son que tu as en tête et surtout tu dois aller vite. C’est la même raison qui a fait que Bowie a utilisé un simple support de bande magnétique pour une partie de cloche sur Heroes, il avait envie de ce son à ce moment, et il n’a pas voulu attendre qu’un assistant aille en acheter une. Il a tapé sur tout ce qu’il trouvait dans le studio avec une baguette et il a trouvé ce moyeu. J’essaie de procéder de la même manière.


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Vous avez adopté une démarche audacieuse, consistant à ne pas mettre l’album sur les plateformes de streaming, mais à le vendre uniquement lors de vos concerts, avec un packaging particulier et un lien de téléchargement privé. Pourquoi ce choix et quel regard portez-vous sur l’évolution de l’industrie musicale en général  

Régis Savigny : C’est une industrie, ce n’est donc pas adapté à nos moyens artisanaux. Nous avons souhaité privilégier les gens qui se déplaçaient aux spectacles et qui voulaient repartir avec la musique. Ça rend la musique un peu moins immatérielle malgré le support numérique. L’album sortira en CD et peut être en vinyle, un jour, nous ne sommes pas pressés, il se vend comme ça et c’est très bien. 

Limiter sa visibilité n’est peut-être pas sensé par les temps qui courent mais il faut se rendre à l’évidence que balancer sa musique quasi gratuitement ne la rend pas meilleure. En tout cas, ça ne la met pas en valeur. Et puis ce n’est pas respecter la démarche de ceux qui font l’effort d’acheter la musique. Quand ils se rendent compte que d’autres écoutent gratuitement sur Deezer ou Spotify (vu ce que perçoivent les créateurs sur ces plateformes on peut dire que c’est gratuit) ce qu’eux ont payé, ça ne donne pas le bon signal.

Si vous deviez chacun ne garder que trois albums, lesquels choisiriez-vous  

Régis Savigny : Jean-Michel Jarre, Zoolook, pour les raisons précitées. Bruce Springsteen, Nebraska, enregistré dans une chambre d’hôtel avec un quatre pistes. La preuve que le matériel ne compte pas vraiment quand on a vraiment un truc à dire. Et Anais Mitchell, The Brightness.

Pat Genet : Alain Bashung, Fantaisie militaire, pour moi le sommet de la collaboration avec Jean Fauque. Pink Floyd, Animals, parce que c’est un chef d’œuvre d’architecture musicale et parce que le regard sur la société, ses dérives, ses travers, reste d’une effrayante pertinence plus de 40 ans après la sortie du disque. Et Noir Désir, 666.667 Club, parce que c’est ce disque qui, alors que j’avais 13 ans, m’a mis ma première grosse claque en me montrant que oui, on pouvait très bien faire du rock en français, et qu’on pouvait y mettre du sens tout en soignant l’écriture poétique.

Pat, on a parfois évoqué Serge Gainsbourg en relation avec Noyés par la décrue. À ton avis, qu’aurait fait Gainsbourg en 2019 ?

Il aurait collaboré avec le Thom Yorke version Anima et ça aurait fait un p*** d’album…

Quel est le futur immédiat pour Ostande ? 

Pat Genet : On a deux ou trois dates de prévues sur l’été et le début de l’automne. Sinon, le gros du travail sera dans la mise en place des collaborations avec un éditeur et un distributeur en vue de la sortie physique de l’album.
Ostande sera en concert le 12 octobre 2019 au Kremlin, à Monthey (CH)


Propos recueillis par Cédric Ægerter

Vous pouvez écouter la précédente production du duo ci-dessous, afin de vous faire une idée ou aller sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram, pour y dénicher le premier extrait (compte necessaire) de leur nouvel album.

  • Doppelgänger + Ostande :
    du samedi 12 octobre 2019 à partir de 20h00 au dimanche 13 octobre 2019 jusqu'à 01h00 Kremlin, Monthey

    Ostande

    (Electro-rock francophone)

    poésie urbaine sublimée par l’organique des machines et le tranchant des guitares. Et dessine une cartographie : celle d’une douleur flirtant avec la folie.

    Clip

    Doppelgänger

    Electro-rock industriel

    DOPPELGÄNGER est une hydre à 2 têtes, un projet initié par Xavier Amor (Water Lily) et Stefan Clay (Belmondo, Phoniques).

    live
    clip

    Portes : 20h

    Entrée : 15.- / gratuit avec la carte 20ans100francs - Pass Bienvenu

    localiser

    adresse

    Rue du Coppet 1


    Monthey (CH)
    complément

    Cinéma et Salle de concert

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