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Par delà les Abysses

mercredi 30 septembre 2015 par Cédric Droguet rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Bien qu’« Abyss » soit le cinquième album (en cinq ans) de Chelsea Wolfe, il reste difficile de mettre une étiquette sur sa musique. En effet, elle a abordé différents genres alliant drone, ambiant, metal ou franchement folk avec toujours un côté sombre qu’on pourrait trop facilement qualifier de gothique.

Après un premier album, « The Grime and The Glow », sorti sur un label indépendant et une reprise du groupe sentant fortement le souffre Burzum, la Californienne sort dans la foulée « Apokalypsis », accueilli favorablement par la critique.
Dès le départ, son style est marqué par une ambiance sombre et un chant fantomatique. En 2013 est sorti « Pain is Beauty », son quatrième album dont un des titres, Feral Love, a servi à la bande annonce de la saison 4 de Game of Thrones. Alors qu’en est-il de cet Abyss ?

Autant le dire d’emblée, il porte bien son nom cet album : en effet, l’auditeur est immédiatement plongé dans l’univers sombre – mais pas que – de la jeune femme. « Carrion Flower » est très dur avec un son de guitare puissant et lourd ; on sent très bien l’influence du travail fait avec Russian Circles [1]. « Carrion Flowers » est marqué par une ambiance très drone avec des percussions tribales avec un support léger de wall of sound.
On retrouve une influence slugdérienne sur “Iron Moon” ; jouant avec la saturation, cette piste mélange passages lourds ou moments plus calmes soulignant le désespoir et la sécheresse décrits dans les paroles. Celles-ci ont été inspirées par le suicide d’un ouvrier chinois écrasé par la monotonie de son travail et miné par l’échec de sa relation. Hashtag joie de vivre…
Néanmoins, cette piste se déploie avec une ampleur jusque-là encore inconnue chez la chanteuse : et cette impression va continuer non dans chaque titre mais tout au long de l’album lorsque nécessaire. Dans « Dragged Out », on continue ce voyage très métal avec des harmonies mineures et une guitare très lourde. Ici, on se rapproche néanmoins plus d’Apokalypsis et de son ambiance irréelle et comme hantée ; on entend même une cloche sonner dans le lointain !


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Après ces pistes très dures, on arrive sur « Maw », un titre beaucoup plus calme, plus intime, mais ce n’est pas pour autant que la sérénité est de mise : « no one can be trusted » dit-elle. Le titre a des teintes presque post-rock et se rattache beaucoup à Pain is Beauty, son précédent album.
Bien que « Grey Days » commence gentiment avec ses guitares menaçantes ; ce n’est pas ces dernières qui vont en augmenter l’intensité mais le violon. Et c’est ce mélange subtil entre ces cordes et la richesse vocale de la chanteuse, tous deux toujours à la frontière de la retenue, qui viennent nous donner des frissons. C’est certainement la meilleure prestation vocale de l’album. Ce titre semble évoquer ces nuits difficiles où on ne sait plus si on rêve ou si on est éveillé.
« After the Fall » commence lentement, en douceur, avec un synthé. Le titre monte en douceur pendant 3 minutes avant de partir dans la folie.
Puis on a droit à un petit intermède folk avec “Crazy Love”. On connait son attrait pour ce genre de musique et le titre se montre très riche avec un mélange de textures de guitare électrique et de violons.

Si « Grey Days » évoque une certaine irréalité, « Simple Death » donne dans l’atemporalité et l’impression d’être suspendu entre deux mondes. L’effet est saisissant et cette chanson est magnifique !
Sur Survive, on retrouve cette folk répétitive et lancinante, et hantée. « Did we travel all this way / Just to survive » demande-t-elle, et les percussions d’entrer dans la danse annonçant la lutte d’un air tribal – à la Swans diront certains.
« Color of Blood » commence de manière obsédante avant de glisser dans le grandiose façon Zola Jesus sur ses premiers albums.
Dans « The Abyss », c’est la folie qui domine, la folie que l’on s’imagine ressentir dans un état où l’on est conscient et on ne peut rien faire, comme si une main de plomb venant nous empêcher de bouger. D’ailleurs, le violon devient complètement fou à la fin. Et c’est là-dessus que se termine l’album, comme on pourrait s’imaginer sortir la tête de l’eau après avoir tenté de garder sa respiration le plus longtemps possible, au bord de l’épuisement complet.

La couverture peut être lue de deux façons différentes : soit elle tombe dans l’abysse (comme le suggère le côté gauche) soit au contraire elle est en train de remonter (comme la disposition des pieds le suggère). A l’écoute de l’album, on sent une espèce de catharsis et la deuxième lecture semble s’imposer. La chanteuse a dit s’être inspirée entre autre de sa lecture de Carl Jung et de son combat contre la paralysie du sommeil pour écrire cet album. Et on ressent cela que ce soit par un vocabulaire lié au sommeil et à la nuit ou encore dans certaines atmosphères que développent certains titres.


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Beaucoup voient dans l’aspect obscur de la musique de Chelsea Wolfe, un attrait pour la mort ou une ambiance de cimetière : si certes il y a un peu de cela, il y a surtout à mon avis une envie de retranscrire cette région onirique entre le réel et l’irréel, le tangible et l’immatériel ou la veille et le rêve. Il est vrai qu’ici ce n’est pas le monde des licornes et des Bisounours mais il ne s’agit pas non plus d’un monde rempli de crânes grimaçants non plus : il s’agirait plutôt d’une espèce de no man’s land. Encore plus qu’auparavant on ressent une énergie qui pousse à aller de l’avant, que ce soit dans la musique ou dans les paroles : il y a de nombreuses références à continuer à se battre. C’est justement ce qu’apportent la guitare électrique et cette sourde violence : comme une ancre pour éviter de se faire avaler par l’abysse.
Et là, la facilité serait de citer Nietzsche alors on ne va pas tomber dedans ! D’ailleurs, la guitare électrique, loin d’être absente dans les œuvres précédentes donnait plutôt l’impression de n’être qu’un effet supplémentaire ; ici elle devient ici beaucoup plus présente et fait partie intégrante des morceaux – alors on dit merci monsieur Sullivan (Russian Circles).

On sent au travers des ces titres les plus durs une expérimentation vers des territoires plus metal, parfois aux limites de l’indus, qui donnent énormément du relief à sa voix. D’une musique s’écoutant de préférence seul ou au casque, Chelsea Wolfe nous offre ici une expérience avec beaucoup plus de dimensions qu’auparavant. On ne peut que se réjouir de la voir en live ! Il s’agit vraiment là d’un excellent album et la chanteuse a franchi un nouveau cap.

Chelsea Wolfe sera en tournée européenne cet automne, avec des dates en Suisse et en France entre autre, avec Dead Forest Index. Plus d’infos sur le site de l’artiste.

Article précedemment publié sur Lords of Rock

Notes

[1En effet, Chelsea Wolfe avait chanté sur «  Memorial,  » seule chanson du répertoire du groupe avec une voix.

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