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Rencontre avec Zoé Benoit, artiste en résidence à l’Arteppes, entre les gravures du Mont-Blanc de Viollet le Duc, les charmeurs de serpents nomades et le langage des murs.
Quel est ton parcours ?
Petite j’ai vécu en Kabylie avec mes parents, ensuite nous sommes revenus en France dans le Nord où j’ai passé un bac littéraire avec option arts plastiques. J’ai poursuivi par une année d’Hypokhâgne à Paris avant d’intégrer les Beaux-Arts de Lyon. Diplômée en 2007, j’ai donné des cours de sculptures dans cette même école. J’ai fait une première et longue résidence de deux ans avec Enfance Arts et Langages dans le 8e arrondissement de Lyon puis une résidence au couvent de la Tourette à Eveux et aujourd’hui je suis à l’Arteppes à Novel jusqu’à fin mai.
Quelles sont tes références artistiques, tes inspirations ?
J’ai grandi dans le milieu du théâtre. C’est donc la scénographie qui m’a attiré en premier, l’espace, l’architecture. Aux Beaux-arts, j’ai découvert la sculpture, le dessin. J’ai choisi l’art.
Mon inspiration artistique se situe à la croisée de la sculpture et de l’architecture. J’aime l’idée que le spectateur puisse circuler dans la sculpture. En cela j’apprécie Daniel Buren (1938-), son travail sur l’ouverture, la perspective, la relecture des lieux ainsi que les grandes sculptures-installations nord-américaines ou encore le travail de Jessica Stockholder son rapport aux matériaux, au lieu, à la construction.
Parles-nous de ta résidence à l’Arteppes ?
Depuis ma résidence au couvent de la Tourette, je travaille sur un lieu précis, choisi, dans lequel je passe plusieurs mois voir une année. J’aime prendre le temps d’écouter le lieu. L’architecture parle, il faut savoir l’écouter, cette approche je l’ai développée avec les enfants afin de développer et accroitre leur créativité. De ces expériences avec les enfants et avec le couvent est né le concept d’Archisony, une écoute de l’architecture, des lieux, une prise de pouls d’un quartier, d’un bâtiment, d’une communauté. Prendre le pouls pas comme un médecin pour ausculter mais pour au-sculpter. Ecouter pour créer.
Concrètement, mon travail s’appuie sur des captations sonores, sons du quartier, de la matière, des flux, témoignages des habitants dans leur rapport à la matière, à l’architecture puis à partir de l’écoute je produis des objets d’échelle et de médium variable. Cela peut être une installation, un dessin, une sculpture. A l’Arteppes, j’ai présenté de petites sculptures appelées Cailloux faites de matières premières trouvées ou achetées à Annecy mais qui pouvaient venir de très loin comme l’argile du Mexique. Au travers de ces sculptures j’ai dressé une cartographie des flux de la matière. Le travail sur les changements de la matière, les flux m’intéresse. En conservant ce raisonnement, j’ai réalisé une série de dessins Saillances à l’échelle 1 des mouvements de l’asphalte. J’ai appréhendé la route, ses failles comme un paysage. Les gravures du Mont-Blanc de Viollet le Duc ont accompagné ce travail graphique.
L’objet devient le témoin de l’écoute, il rappelle la trace, le document.
Ce rapport à la trace renvoie à une part plus « anthropologique » de ton travail.
J’ai effectivement un intérêt, un lien avec les anthropologues qui documentent ce qu’ils ont vu.
Je suis les cours d’anthropologie de l’EHESS de Caterina Pasqualino, auteur notamment de Dire le chant. Les Gitans flamencos d’Andalousie et vidéaste d’art contemporain. Cette anthropologue, spécialiste des minorités ethniques du Bassin méditerranéen, travaille sur les gitans d’Andalousie, sur les rituels anciens, leur place aujourd’hui et les rapports qu’ils entretiennent, qu’ils éveillent dans l’art contemporain. Elle m’a beaucoup marqué et fait réfléchir sur la porosité entre les deux approches.
De cette approche théorique est né ton projet en Inde.
J’ai eu la chance de partir au Rajasthan, au nord-ouest de l’Inde à la rencontre de la famille de Suwa Devi de la caste Kalbeliya. Cette caste très ancienne de danseurs et de charmeurs de serpents serait à l’origine des gitans. On retrouve le serpent, leur animal symbolique dans leur danse sinueuse comme dans leur médecine et leur aptitude à soigner les morsures. Suwa Devi a été révélée dans le film Latcho Drom de Tony Gatliff.
Tout dans cette caste éveille mon intérêt, la danse, la médecine, le symbolisme du serpent et le nomadisme que l’on retrouve de plus en plus dans notre société, que ce soit un nomadisme économique bien souvent forcé ou un nomadisme moral comme celui des indignés. Leur rapport à la médecine, m’a donné l’envie de faire un parallèle entre leur culture artistique, médicale, holistique et certains artistes contemporains qui soignent, qui s’inspirent de rituels orientaux ou non pour construire une vision artistique du monde. Je pense à Joseph Beuys (1921-1986), son intérêt pour le chamanisme, son implication dans des mouvements écologiques et notamment sa vidéo I like america and america likes me pour laquelle il s’est enfermé plusieurs jours avec un coyote symbolisant le traumatisme des sociétés ; ou à la brésilienne Lygia Clark (1920-1988) qui avec ses Bichos (bêtes), de petites sculptures qu’il faut manipuler, cherche à déclencher un imaginaire, à décharger les énergies. Ces artistes m’inspirent et m’impressionnent car au-delà du concept, il y a un soin, une attention très plastique portée à la forme, aux couleurs.
Quel est ton livre de chevet ?
Le massif du Mont-Blanc d’Eugène Emmanuel Viollet-Le-Duc
Ce livre m’a inspiré pendant ma résidence. Le célèbre architecte des monuments historiques, réalisa cette étude géologique et topographie au cours de huit étés qu’il passa dans le massif du Mont-Blanc.
Le magazine Causette
Les œuvres de Fernand Deligny (1913-1996), un éducateur qui travailla sur les enfants autistes. Il développa le concept des lignes d’erre comme errance, cartographia les mouvements du quotidien des enfants autistes. Il chercha à comprendre leur logique, leur perception de l’espace, en cela il s’oppose à la ligne droite. Ces recherches appliquées sur l’autisme ont eu un grand retentissement dans le milieu éducatif mais également en philosophie avec notamment Gilles Deleuze. En créant les lignes d’erre, il propose une philosophie de la vie qui s’oppose à la ligne droite, à la rentabilité. En cela on retrouve les nomades Kalbeliya, les flux de la matière…
Quel est le dernier film qui t’a marqué ?
Terraferma de Emanuele Crialese
Ce sicilien a réalisé Respiro que j’avais beaucoup aimé. Nous sommes sur l’île de Lampedusa, connue pour les vagues de clandestins, dix ans ont passé depuis Respiro et son histoire familiale à l’écart de la folie. Aujourd’hui, les bateaux de pécheurs ont été remplacés par les bateaux de touristes et de clandestins.
C’est un film magnifique.
Où peut-on voir ton travail ?
Le 25 mai à l’Arteppes à Novel, il y aura une restitution de mon travail sonore (l’exposition ayant eu lieu au début de ma résidence) suivi d’une projection de vidéos d’art contemporain de mes amis avec imagespassages.
En juin, je participe à la nouvelle édition de Broadcast Posters avec un dessin de mes cartographies d’asphalte à l’échelle 1. Broadcast Posters est une édition périodique de posters d’art contemporain. Chaque numéro invite deux artistes à investir une face d’un poster. Chaque poster, tiré à 8 000 exemplaires est disponible gratuitement dans une centaine de lieux en France et en Europe.
En octobre, j’expose à l’artothèque de la Part-Dieu à Lyon un nouveau projet Archisony #3 en lien avec le lieu de la bibliothèque.
Que peut-on te souhaiter ?
Du courage pour continuer à oser.
Zoé Benoit :http://www.zoebenoit.com/
TEL 04 50 57 56 55