> Mag > Cinéma > Roman Polanski à l’Institut Lumière
Après un début de saison placé sous le signe de l’engagement avec Costa-Gavras, un festival Lumière qui a mis Martin Scorsese à l’honneur pour sa septième édition ; après nous avoir fait rire avec Billy Wilder et Claude Lellouch, voyagé avec Akira Kurosawa, l’Institut Lumière nous offre une nouvelle rétrospective, consacrée cette fois-ci à Roman Polanski. Au programme, vingt-et-un films, entre courts, longs-métrages et documentaires pour découvrir un cinéaste d’exception.
Le Couteau dans l’eau et Rosemary’s Baby en ouverture
Depuis le 13 avril, les films de Roman Polanski ont investi le hangar de l’Institut Lumière pour une rétrospective qui promet encore une fois son lot de classiques du septième art, d’images inoubliables et de découvertes. Pour la soirée d’ouverture, deux films étaient de la partie : Le Couteau dans l’eau (1962), premier long-métrage du réalisateur polonais, et surtout Rosemary’s Baby (1968), sommet d’angoisse dans la filmographie du cinéaste.
A priori, un gouffre sépare les deux films. Quel point commun peut-il y avoir en effet entre ce Couteau dans l’eau aux allures de film de fin d’études, seul long-métrage que Polanski a tourné jusqu’à présent en Polonais (sa langue natale) et le casting hollywoodien de Rosemary’s Baby où l’ancien mannequin Mia Farrow tient le premier rôle ? Tout oppose les deux œuvres.
Le Couteau dans l’eau est un film à petit budget, bâti sur une action modeste et un synopsis minimaliste : un couple bourgeois au bord de la rupture s’apprête à passer un weekend sur leur navire, mais alors qu’ils sont en chemin vers le port de plaisance, ils prennent en stop un jeune étudiant. Sans raison apparente, et un peu par défi, le couple propose à l’étudiant de les accompagner dans leur croisière. L’essentiel de l’intrigue se concentre sur le périple de ces trois protagonistes et les évolutions de leurs relations, dans une sorte de huis clos maritime à ciel ouvert.
Rosemary’s Baby apparaît par contraste comme une machine hollywoodienne rutilante, un film sûr de ses effets, où il est question de complot satanique et d’une mère enceinte persuadée qu’une secte veut lui soutirer l’enfant qu’elle va mettre au monde. A-t-elle sombré dans la folie ou ses inquiétudes sont-elles fondées ? Jusqu’à la dernière scène, le suspense reste entier, le spectateur étant constamment sollicité pour juger de ce qui est du domaine de la raison ou de la démence.
Au passage, on remarquera comment Polanski ouvre la voie à des films tels que Shining, Black Swan ou encore Shutter Island qui, de la même manière, s’amusent à emmener le spectateur vers cette frontière inconfortable entre le réel et le surnaturel.
Bien que différents, on retrouve dans les deux films le même motif ô combien polanskien de l’enfermement ou du cloisonnement (toute l’action se déroule dans des espaces confinés, qui se resserrent sur des personnes prisonniers, au sens figuré dans Le Couteau dans l’eau, au sens propre dans Rosemary’s Baby). Surtout, on a affaire ici à deux œuvres fascinantes : la première parce qu’elle dresse métaphoriquement le portrait d’une jeunesse des années 1960 étouffée par ses aînés et qui aimerait elle aussi prendre les commandes, comme le jeune étudiant dans le film voudrait diriger le bateau du couple [1]. Quant au deuxième long-métrage, Rosemary’s Baby, il constitue tout simplement la pièce maîtresse de l’œuvre de Polanski, son meilleur film à mon sens.
Une rétrospective riche
Que ceux qui auraient loupé cette ouverture ne s’inquiètent pas : Rosemary’s Baby sera projeté à nouveau les jeudi 19 mai (à 21h) samedi 21 mai (à 21h15). Ils pourront surtout découvrir les autres films présentés lors de cette rétrospective qui se tiendra à l’Institut Lumière jusqu’au 1er juin. Et de Tess à Répulsion, du mythique Bal des vampires au récent La Vénus à la fourrure, en passant par le célèbre Pianiste, ce ne sont pas les chefs d’œuvre qui manquent. Et que dire de Chinatown, superbe hommage au film noir hollywoodien, avec en prime un Jack Nicholson dans l’une de ses prestations les plus abouties ?
Parmi le panel de films proposés, nous recommanderions très chaleureusement The Ghost Writer, un thriller politique de haute volée. Il met en scène Ewan McGregor dans le rôle du ghost writer (en français, un « nègre ») chargé d’écrire les mémoires d’Adam Lang, ancien Premier Ministre britannique (superbement interprété ici par Pierce Brosnan) qui voit fondre sur lui des scandales et des accusations de complicité de crimes de guerre… qui ne seraient pas sans fondements, à mesure que le ghost writer fréquente l’homme d’Etat et accumulent les preuves. Le film, tourné quarante-deux ans après Rosemary’s Baby, permet à Polanski de revenir à ce qu’il sait peut-être faire de mieux : maintenir un suspense angoissant jusqu’aux dernières minutes, plonger le spectateur dans un doute presque suffoquant, tout en offrant un éclairage singulier sur les affaires politiques du XXIme siècle (il n’est pas interdit en effet de faire un parallèle entre le personnage fictif d’Adam Lang et l’ancien chef du gouvernement Tony Blair). Quant à l’issu de l’enquête menée par l’écrivain, elle se clôt sur ce qui reste peut-être à ce jour l’une des plus belles fins ouvertes de l’histoire du cinéma. On n’en dit pas plus…
En bref, que ce soit pour découvrir l’œuvre d’un cinéaste majeur ou pour revoir l’un de ses chefs d’œuvre, que ce soit pour Jack Nicholson affublé d’un mythique sparadrap sur le nez dans Chinatown ou pour la musique de Chopin qui habite Le Pianiste, pour le visage craintif de Nastassja Kinski incarnant Tess d’Uberville ou celui, juvénile, de Catherine Deneuve au début de sa carrière dans Répulsion, il y a mille et une raisons de se rendre à cette rétrospective consacrée à un cinéaste dont la qualité de l’œuvre est peut-être trop rarement mis en avant par rapport aux faits divers qui marquent sa vie.
[1] on pourrait ici s’attarder sur la symbolique freudienne et le cheminement œdipien par lequel le fils en vient à « tuer le père » pour prendre sa place