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Silence

lundi 20 mars 2017 par Jérémy Engler rédaction CC by-nc-sa

Chronique

En ce début d’année 2017, Martin Scorsese reprend un sujet qui le touche particulièrement, la religion. Si le thème semble déjà avoir été traité en long en large et en travers, cette fois-ci, le réalisateur américain nous plonge dans le Japon du XVIIIe siècle que les chrétiens, portugais notamment, ont tenté d’évangéliser avec Silence, adapté du roman de Shusaku Endo.

La redoutable inquisition japonaise

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Alors que les chrétiens ont essayé d’apporter leur doctrine sur la péninsule japonaise, les habitants se révoltent. Cette colonisation par la religion est profondément rejetée par une partie de la population qui préfère la vénération de Bouddha, un homme, comme eux.
Ainsi, le Grand Inquisiteur, joué par Issey Ogata, décide d’éradiquer ce culte monothéiste à sa source en tuant les messagers de Dieu, mais ce n’est pas suffisant, car ils deviennent des martyrs et leur abnégation pour leur foi en fait des modèles à suivre. Il entreprend donc de passer à une méthode plus sournoise en amenant les prêtres les plus vénérés à renier Dieu et à se convertir.

La tâche n’est pas simple, mais les pratiques du Grand Inquisiteur sont impitoyables et réussissent à faire flancher Monseigneur Ferreira, Liam Neeson, le plus grand évangélisateur du pays, mettant ainsi un frein considérable à la christianisation. Refusant de le croire, deux jeunes prêtres, qui furent ses apprentis, décident de partir dans ce Japon hostile pour vérifier ses allégations et le sauver si besoin. On découvre alors les habitudes de ces Japonais qui semblent plus croyants que les prêtres eux-mêmes. Le père Garupe, interprété par Adam Driver, et le père Rodrigues, incarné par Andrew Garfield, sont confrontés à la dureté de la vie des villageois, à leur répression et leur foi inébranlable malgré l’abandon qu’ils subissent. Leur calvaire devient une leçon pour eux et les empêche de flancher devant tant de souffrances. Finalement, si les prêtres sont vus comme des sauveurs, le film nous montre que les paroissiens peuvent eux aussi sauver les envoyés de Dieu.

Le martyr et le partage sont deux notions clés de ce film. Les chrétiens japonais sont globalement très courageux, tous (ou presque) sont prêts à mourir pour leur Dieu, certains voient leur village rasé à cause de leur foi mais n’abdiquent pas. Cette répression fait d’eux des martyrs, inconnus certes, mais martyrs tout de même. Les Européens qui n’ont pas l’habitude d’assister à de telles souffrances sont bouleversés par ce qu’ils voient, leur compassion et leur foi sont mises à rude épreuve. Le secours de Dieu serait le bienvenu, mais celui-ci reste silencieux à leurs prières…

Un film méditatif et contemplatif

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Si le film n’a pas pu se tourner au Japon, les panoramas des contrées reculées taïwanaises retranscrivent bien l’ambiance rurale du pays du soleil levant à l’époque. Les paysages sont à couper le souffle et d’une authenticité remarquable, renforcée par la réalisation en 35mm. Ces paysages sont dépaysants pour nous, comme pour les émigrés portugais, et leur découverte de ce monde rural est la même que la nôtre. Le début du film fait vraiment tout pour nous mettre dans le même état d’esprit que les prêtres, des sauveurs en mission dans un monde hostile qu’ils ne connaissent pas, ne comprennent pas et qui les effraie, mais perdront-ils leur foi pour autant devant l’inquisition japonaise ?

Pour un film intitulé Silence, force est de constater qu’il y a de nombreux dialogues le parcourent. L’inquisition nous est montrée dans toute son horreur et sa violence, ce long-métrage de plus de deux heures alterne les scènes de torture physique et psychologique avec subtilité. L’inquisiteur est pernicieux et vraiment pervers dans sa façon de torturer les prêtres. Plutôt que de les mettre au supplice physiquement, il les traite avec égard, mais les fait assister à la torture des autres pour les briser mentalement. Parce que le père les regarde, les chrétiens japonais se sentent obligés de résister et de montrer une foi inébranlable, alors quand celui-ci s’écarte de la voix divine, évidemment le choc est rude et la religion en prend un coup.


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Silence
Francis Ford Coppola sur le tournage

Certains diront que le film est un peu long à cause de la surabondance de dialogues où chacun tente de prouver que sa croyance est meilleure que celle de l’autre. Les métaphores utilisées, les paraboles sont fortes symboliquement et particulièrement intéressantes.

Elles témoignent de deux façons de voir la vie et les choses totalement antithétiques. Le réalisateur réussit à nous faire changer de camp régulièrement. Évidemment, personne n’est colonisateur dans l’âme, mais face aux percussions que subissent les Japonais chrétiens, on se met à éprouver du ressentiment envers l’inquisition, puis petit à petit, on découvre le point de vue des persécuteurs et notre perception change. On prend réellement la mesure de ce qui se passe et de ce qu’est l’évangélisation. On comprend mieux les agissements du Grand Inquisiteur qui, bien que cruel, tente de protéger son pays. Implicitement, ce film critique l’évangélisation mondiale menée par les Européens, tout en reconnaissant la grandeur de leur foi et de leur religion. Cette dernière ne sort pas grandie de ce long-métrage, mais l’hommage rendu aux croyants est lui magnifique.

Cette œuvre apporte de multiples réflexions, on perd quelque peu nos repères. On ne sait plus qui blâmer, qui plaindre, les deux camps ont raison et tort à la fois. Ce qui est beau dans ce film, c’est le poids du silence. Si la foi est idéalisée, elle souffre pourtant du mutisme de Dieu. Malgré les multiples prières, aucun signe divin n’apparaît. Tous ces croyants sont livrés à eux-mêmes. Et c’est justement ce silence qui pose problème. Quand l’amour est à sens unique, il est difficile de l’entretenir… L’incompréhension est le pire ennemi de la foi et c’est cette incompréhension devant la souffrance quotidienne qu’utilise le Grand Inquisiteur pour tenter de convertir les prêtres. On écoute le silence, l’interprète et contemple la déchéance de ces hommes qui se sentent abandonnés par Dieu… mais perdent-ils la foi pour autant ?

Pour le savoir, nous vous invitons à vous précipiter dans les salles obscures…

Article initialement publié par l’Envolée Culturelle

Silence - Bande Annonce VOST

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