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Une œuvre en balade

dimanche 22 avril 2012 par Gaspard Hauser rédaction CC by-nc-sa

“Faire un tour -Rêverie d’un promeneur multimodal“ est le nom de l’œuvre de Sigrid Coggins présentée jeudi dernier à la bibliothèque départementale de la Haute Savoie dans le cadre de l’année Rousseau. J’y étais.

Reprenons pour commencer les éléments portés sur l’invitation :
Inauguration de l’œuvre de Sigrid Coggins
"Faites un tour -Rêveries du Promeneur multimodal“

La plupart de nos lecteurs peuvent légitimement se poser des questions :

La bibliothèque départementale, c’est quoi ? C’est où ?

Pourquoi inaugurer une œuvre d’art contemporain dans un lieu habituellement fermé au public ?

Et enfin, qu’est ce qu’un promeneur multimodal ?

Je vais essayer d’y répondre, point par point.

Commençons par la bibliothèque départementale. C’est un gros bâtiment en face de l’usine Salomon , proche de la sortie d’autoroute Annecy, sud, du côté du nouvel hôpital. C’est là que se gère la distribution des livres dans les multiples bibliothèques du département. Une particularité est qu’elle est associée à celle de Savoie sous le nom de Savoie Biblio

Venons-en à l’œuvre de Sigrid Coggins, qui est un monument conceptuel vidéo interactif. Elle est ici présentée avant de partir en tournée de gala.

Cette commande publique s’insère dans la myriade d’événements consacrés à Rousseau, écrivain suisse Genevois qui est —pour ceux qui ne le savent pas encore— passé par Annecy et Chambéry, et dont on fête cette année le 300e anniversaire de la naissance. Exactement comme s’il était un vrai savoyard.

L’œuvre est donc destinée à se promener dans les diverses bibliothèques des deux départements.

Ouf ! On a déjà mieux compris la démarche : et vous allez voir que ce n’est pas une figure de style.

Rousseau était un grand marcheur, c’est de notoriété publique. Une œuvre en balade dans les bibliothèques des deux départements s’imposait donc comme une évidence. Non mais !

Et puis il s’agit d’un monument en spirale un peu comme une de ces bonnes vieilles vespasiennes parisiennes ; mais la comparaison avec Marcel Duchamp s’arrête là.

La pénétration du visiteur dans ce petit univers œudipien provoquant réellement un étrange sentiment de voyage, un dépaysement.
On est à la fois au centre de l’univers, enfoncé dans une coquille régressive comme celle d’un escargot, et face à un écran sur lequel nous pouvons faire apparaître des films en promenant nos doigts sur une tablette graphique.
Six trajets de cinq minutes chacun, avec des moyens de transport différents, partant tous des Charmettes.

Et vous voilà Rousseau à pied, en roller, à bicyclette, en voiture, en hélicoptère, sur Google Earth.

Mais bon sang, multimodal, c’est bien sûr ! : c’est cette notion furieusement à la mode chez les urbanistes et donc dans les collectivités territoriales : “à pied, à cheval et en voiture“ en quelque sorte.

Pour plus de détails sur la démarche artistique de Sigrid Coggins, je lui laisse à présent la parole, exactement comme Monsieur Christian Monteil l’a fait à l’inauguration ; comme ça vous vous y croirez :


Texte de Sigrid Coggins :

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"Ma conception de la création : l’oeuvre d’art est une forme d’énigme que l’artiste énonce à partir d’éléments pris dans la réalité et qui, confrontés les uns aux autres, posent une question. L’idée d’énigme implique une participation de la part du spectateur au déchiffrement de l’oeuvre, voire à la création du sens.

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Ici, les éléments en tension qui sont à l’origine de l’énigme de l’oeuvre sont d’une part la conception de la promenade selon Rousseau, qui est en fait une partie consubstantielle de la personnalité et de l’existence de l’auteur, et notre appréhension moderne du trajet, où celui-ci est plutôt une mise entre parenthèse impersonnelle de l’existence.

Comment l’oeuvre de Rousseau peut-elle nous permettre de ré-interroger notre façon d’aborder un trajet ?

De fait, l’oeuvre propose une nouvelle forme de réalité « à vivre » (à l’inverse de la réalité vécue qui est un des éléments de départ) : s’intéresser le temps de six promenades de cinq minutes à un seul trajet, que l’’on peut vivre selon six moyens de locomotion différents. "

La forme de la spirale quant à elle renvoie à la sensation d’isolement progressif tel que celui que l’on peut vivre dans une rêverie notamment lors d’une promenade, au fur et à mesure que l’on s"éloigne de la société.

Les deux écrans : l’un permet la manipulation par l’ipad et l’autre, oublié par le visiteur qui manipule à l’intérieur de la spirale mais visible à l’extérieur renvoie à notre attitude sur le web, à la fois isolé et persuadé d’être invisible et pourtant à la vue de tous.

Cela fait lien également aux rêveries de Rousseau qu’il a écrit pour lui seul afin de pouvoir vivre et revivre sans fin ces moments chéris, écrits qu’il ne destinait pas aux lecteurs pourtant depuis lors innombrables de ses oeuvres.


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