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Valse avec Bachir

vendredi 5 décembre 2014 par Solène Lacroix rédaction CC by-nc-sa

Chronique

Œuvre de l’israélien Ari Folman, Valse avec Bachir est un film d’animation qui a réanimé l’histoire de la guerre du Liban à une vingtaine d’années de distance, puisqu’il est sorti dans les salles en 2008. Retour sur cette œuvre singulière à la résonance puissante, et aboutissement du travail de cinéma documentaire d’Ari Folman.

Le trauma contre le souvenir

Le film s’ouvre sur une scène très violente : des chiens enragés courent et dévastent tout sur leur passage, ils semblent avoir un but très défini, ils se mettent à aboyer sous le balcon d’une maison. On se demande alors, est-ce déjà la guerre, est-ce une métaphore ? Non, c’est un rêve. Un rêve que Boaz, ami de Ari Folman, le personnage principal, fait toutes les nuits depuis deux ans. Il sait qui sont ces chiens, il les a tués pour pouvoir entrer dans un village lors de la guerre du Liban. Alors Ari devient pensif, lui n’a aucun souvenir de l’époque alors qu’il était bien engagé dans l’opération « Paix en Galilée ». Ses souvenirs sont enfouis et seule une image lui revient. Il sort de l’eau tout nu, avec deux camarades et s’approche de la berge de Beyrouth éclairée par les fusées. Il ignore cependant comment l’interpréter. C’est ainsi que son travail de remémoration et de psychanalyse commence. Il va s’apercevoir que si quelques amis semblent se rappeler les événements, ils ne sont peut-être pas authentiques. Leur esprit essaie de reconstituer la scène afin qu’elle soit moins difficile à vivre au quotidien. Alors Ari va entendre des récits totalement surréalistes. Un personnage en particulier marque bien ce refus de culpabilité, de voir la réalité : « Quand j’angoisse, je m’endors. » On a aussi cette scène, un récit à la fois épique et fantasmatique du soldat qui prend son arme et danse en mitraillant de tous les côtés sous l’affiche du si respecté Bachir Gemayel, le président libanais assassiné, élément déclencheur de l’opération. Cet acte est d’ailleurs à l’origine du titre du film. Mais encore, comment savoir s’il est authentique ? Il est alors compliqué pour Ari de faire la part des choses, il comprend que si ses souvenirs peuvent réagir grâce au récit de ses amis, il est probable qu’ils soient aussi créés de toutes pièces par son inconscient.

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Les flashs, la découverte de la culpabilité

Peu à peu, les images de la guerre reviennent à Ari. Il se remémore le moment où il a tiré sur une voiture de civils. Ils mitraillent, les balles volent à l’écran, le bruit devient le symbole mécanique de la domination. Ils tirent pour montrer qu’ils sont là, qu’ils exécutent les ordres. Or, lorsqu’ils ouvrent les portes de la voiture, ils s’aperçoivent qu’ils ont tiré une centaine de balles sur une famille. Ce premier souvenir est d’autant plus mis en exergue que le bruit des balles n’est accompagné que du silence. Il n’y a rien pour couvrir leur acte, Ari est face à ce souvenir qui n’est pas embelli. D’ailleurs la bande originale du film est signée Max Richter, un compositeur post-minimaliste allemand qui laisse donc une place considérable à l’image et au bruit « pur » des événements. Ainsi, lorsqu’il tire de la même façon sur un enfant, l’image reste bloquée sur le corps, on ne peut pas refuser de voir. C’est vraiment quelque chose que le réalisateur manie bien, il veut voir, se montrer les événements et nous invite à l’accompagner dans ces moments d’intime rétrospection. Le summum est atteint lorsqu’il découvre qu’il est impliqué dans le massacre de Sabra et Chatilla. Il a en effet tiré des fusées éclairantes d’un toit pour que les miliciens chrétiens puissent procéder aux massacre dans les camps.

De l’introspection au documentaire

Ce qui est assez stupéfiant dans le film est la manière dont le réalisateur a voulu rendre compte de cette expérience personnelle. Passer par de l’animation pour traiter d’un sujet grave comme la guerre du Liban est en effet très audacieux. Les graphismes sont vraiment expressifs, les couleurs de Beyrouth, jaune et noir, pareilles à un ciel obscur éclairé par les fusées et roquettes nous transportent dans l’ambiance lourde et étouffante de la guerre. Mais lorsqu’on y réfléchit on peut se dire que l’animation peut être aussi une façon de prendre du recul plutôt qu’un simple défi artistique. Dessiner plutôt que reconstruire les décors, les événements, peut permettre de mettre plus de distance lorsqu’on s’appelle Ari Folman et qu’on raconte sa propre expérience pendant les opérations militaires au Liban. De plus, les images post-massacre tirées de la BBC insérées à la fin du film témoigne de la volonté de montrer des vraies images plutôt que d’en créer dans l’imaginaire du spectateur. Une belle leçon d’humilité alors puisqu’il préfère utiliser l’animation pour raconter son histoire mais rester objectif sur les faits même d l’Histoire. C’est ici un documentaire d’un tout nouveau genre et qui force le respect par le discernement de son réalisateur.

Valse avec Bachir, d’Ari Folman, 1 DVD Editions Montparnasse. Et un roman graphique dessiné par David Polonsky, Arte Editions/Casterman.

Article précedemment publié sur le blog l’envolée culturelle

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