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Savoie D’Jazz Festival 2013

Guillaume Perret en interview

mardi 26 novembre 2013 par Jean-Pierre Biskup rédaction CC by-nc-sa

Entretien

Juste avant son concert triomphal à l’Espace Malraux de Chambéry (salle pleine à craquer et ovation debout) dans le cadre du Savoie D’Jazz Festival, le musicien et saxophoniste Guillaume Perret se livre pour parler d’Electric Epic, son projet qui a marqué la scène musicale grâce à sa qualité et à son originalité. Le voyage continue…

Pour commencer, je voudrais savoir pourquoi tu as choisi le nom « Electric Epic » pour ton groupe ?

Parce que « epic » c’est l’épopée. Et l’épopée pour deux raisons, parce que tout simplement c’est une sorte de recueil de musiques qui traduisent de l’épopée moderne qu’on peut vivre chacun de nous dans le monde tel qu’il est et dans notre vie, c’est un peu mes émotions… Et aussi parce que je m’étais inspiré de certains passages de l’Odyssée d’Homère, et tout cet aspect épique justement avec les monstres marins, les dieux, les déluges terribles, les grandes batailles, et le monde des enfers décrits par la mythologie… Ce sont des tableaux qui me parlaient beaucoup, qui me faisaient voyager. Du coup j’avais dédié deux morceaux à ça : « Circé » pour la sorcière, et « le Rivage des Morts » pour le Styx.

Tu n’avais pas une idée de titre pour l’album à la base ?

Si, j’avais un super nom que je voulais absolument. Pour cet album, on est sorti dans la série Spotlight de chez Tzadik. On n’a du coup pas eu le choix de la pochette, et je me retrouve donc avec une espèce de vert hôpital qui ne correspond pas du tout à la couleur du projet. Il aurait fallu choisir un bon rouge vif. Et pas possibilité de mettre le titre qui était « Brutalum Voluptuous ». Il a été annoncé dans la presse comme ça, mais malheureusement ça ne s’est pas fait… Donc ça reste éponyme pour l’instant.

Quel concept tu mettrais derrière cet album ? Quelle est son identité sonore et visuelle ?

C’est vraiment un grand voyage. Je vois ça comme des tableaux. Pour l’identité sonore, avant tout c’est le sax qui est un peu détourné de sa fonction de saxophone, vu que la palette de sons que je peux avoir avec les micros que j’utilise et les effets de guitare que je mets dessus me permettent de prendre d’autres rôles, comme celui d’un guitariste ou d’un bassiste. Ça ne fait jamais exactement le même son que guitare ou basse, mais on s’en approche. Ça permet aussi de créer pas mal de climats différents, j’utilise aussi énormément ça pour composer. Je vois donc tout cela comme des tableaux, une aventure avec pas mal de passages différents.

Concernant ton utilisation du saxophone électrique, je voulais savoir comment cette idée t’est venue, et si avant il y avait des gens qui avaient essayé d’électriser le saxophone…

Oui. Ce n’est pas du tout une première, il y a déjà eu évidemment des effets sur des instruments à vent. Le premier mec qui faisait ça était Eddie Harris dans les années 70. C’est marrant, parce que j’ai découvert tous ces trucs après avoir commencé à bosser avec des pédales d’effets qui sont venues un peu par hasard dans mes pieds ; j’en ai trouvé sur mon chemin, et j’ai trouvé ça super drôle, et après j’ai essayé de résoudre petit à petit toutes les galères que ça engendrait. Car ça engendre vraiment des galères qu’il faut contourner. Et en cherchant à contourner ces galères, du coup j’ai trouvé d’autres idées, des systèmes de micros, de réglages depuis le sax avec des potards. L’assemblage d’effets se fait ici dans un sens pas habituel : par exemple, en principe on ne met pas une reverb avant une disto, mais sauf que moi je fais ça, et ça me donne des trucs bizarres.

Le parcours se fait, et est en constante évolution. Le travail du son n’arrête pas d’évoluer puisque j’essaie des nouvelles choses. Ça a déjà été un peu fait par le passé, mais par contre la façon dont je le fais est complètement extrême, c’est-à-dire que j’y vais à fond la caisse. Des fois je transforme complètement le son. À ce niveau-là, je n’ai entendu personne aller à ce point-là dans le travail sur l’effet. Du coup j’ai dû trouver un système qui marchait bien, surtout au niveau de l’amplification du sax. Et ça s’est bien développé puisque du coup maintenant je travaille avec les usines Selmer. Elles font des pièces sur mesure pour optimiser le système, et on est en train de voir pour élaborer un vrai sax électrique, c’est-à-dire un truc où les choses seraient intégrées directement. Je leur fournis les circuits, et eux feraient des petites boîtes en laiton comme le sax, avec des rails et tout... Ils ont déjà soudé des choses sur mon sax, c’est en cours avec des ingénieurs, on est en train de faire pas mal d’essais, et c’est super excitant comme expérience.

Ce qu’il a de particulier ton sax, c’est qu’il y a un micro spécial à l’intérieur ?

Oui, il y a un micro qui est spécial à l’intérieur du bec.

Ce n’était pas forcément le cas concernant les précurseurs du saxophone électrifié ? Par exemple Eddie Harris ?

Eddie Harris à l’époque avait testé un truc Selmer qui s’appelait le Varitone. Ils mettaient un micro dans le bocal [1]. Ils ont arrêté de développer ça. Mais du coup, là il s’agit de nouveaux essais avec de nouveaux micros. Donc on a ouvert de nouveau ce chantier, et on va peut-être développer des choses là-dessus.

La musique que tu fais dépasse le jazz…

Oui, complètement. Mais le jazz est présent dans quelques codes, surtout dans nos racines, plus ou moins à tous les membres du groupe… Même si on vient d’horizons différents. Yoann le batteur a énormément joué de jazz, et j’en ai pas mal mangé aussi. Après Jim le guitariste et Philippe le bassiste, ils en jouent aussi mais ils viennent plus de la funk ou du rock progressif, et c’est ça aussi qui amène des couleurs très différentes pour aborder différents styles de musique. Donc il y a aussi tout ce j’aime que je mélange sans me soucier d’autre chose que de l’esthétique et de la forme, et de comment on communique les émotions musicales. Du coup il y a du jazz éthiopien, du metal, de la grosse funk, de l’electro, des tournes gnawa… Je prends tout ça comme des outils que je mélange, et puis ça m’aide à composer.

J’ai envie que sur scène, les gens « tripent » carrément

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© RIJ

Est-ce que tu n’as pas peur d’être enfermé dans une image caricaturale du gars qui fait du jazz electro avec un sax électrique et de la lumière qui clignote, au détriment de la musique ? Tu n’as pas peur que l’image prenne le dessus sur la musique elle-même ?

Non, je pense qu’il faut de toute façon que la musique soit toujours mise en avant, car c’est elle qui est le vecteur des plus fortes émotions. Le système de lumière est pour l’instant un peu en laboratoire. Mais pour le printemps, on refait des prototypes qui réagissent au son, et des choses comme ça, où même le sax peut allumer différentes installations, différents spots, juste au souffle. Mais ça, c’est que pour toutes les idées de scénographie que j’ai envie de mettre en place, elles sont vraiment pour souligner la musique et pour l’amener plus loin, parce que c’est déjà une musique qui procure un fort univers visuel, c’est ce que je cherche. Et puis j’ai envie que sur scène, les gens « tripent » carrément, qu’ils hallucinent… Donc on va construire un peu tout ça et on va pousser un peu le délire, mais bien sûr le plus important c’est la musique ! Il faut que ça joue, que ça arrache, que les gens aient les poils qui se dressent juste avec le son, c’est l’essentiel !

Je te posais cette question car il y a des artistes qui sont enfermés dans une image qu’ils ne veulent pas forcément à l’origine…

Disons que si un jour on ne parle plus que de la lumière qui clignote et qu’on m’associe à ça, c’est que j’aurais loupé mon job. Pour l’instant, j’ai l’impression que les retours que j’ai sont plutôt d’ordre émotionnel et d’ordre d’énergie que les gens ressentent, que ça les booste, ou bouscule, ou parle, ou leur remue des choses à l’intérieur… Ça pour moi, c’est le principal.

Tu es influencé par plein de styles de musique. Quels sont les groupes, artistes, et styles musicaux qui t’inspirent ?

C’est tout ce qui me fait voyager, tout dépend de mon humeur. Parce des fois on peut par exemple écouter du Meshuggah, et parfois c’est insupportable. C’est un groupe qui m’a fait décoller d’ailleurs. Mais les exemples sont vraiment nombreux. J’ai tripé longtemps sur la musique indienne, et j’ai vaguement approché quelques concepts. Pareil pour le jazz éthiopien plutôt des années 70, évidemment le jazz dans pas mal de périodes différentes, le free aussi, l’expérimental… J’adore aussi le groove, la funk, les trucs qui font que les gens ont envie de remuer, ça me plaît… Mais pour l’instant, difficile de dire quel style de musique on joue. J’aimerais bien qu’on arrive à dire qu’on joue de l’« electric epic »… Une musique cinématique, une musique qui procure des images et un grand voyage, ce sont les termes que je retiendrais…

Quels sont tes projets actuels et à venir ? Bien sûr, j’imagine qu’Electric Epic prend de la place…

Ça prend quasiment toute la place… J’ai dû faire pas mal de choix, car avant ce groupe sous mon nom, j’étais sideman dans beaucoup de projets, et je n’avais pas l’habitude de refuser du boulot ! Ça a été dur de donner toute la place à ce projet, mais en même temps c’est génial, je ne peux pas rêver d’un meilleur développement. Donc cette année j’ai ça, et j’ai quelque chose d’autre qui me prend beaucoup de temps : je travaille avec les ballets C de la B en Belgique sur un spectacle de danse, et je dois écrire pour un petit orchestre contemporain. Ils sont sept musiciens, plutôt dans un style de musique classique et de musique contemporaine. Ce sont des choses que j’ai moins l’habitude de voir, même si je les ai étudiées pendant une dizaine d’années à Annecy puis à Chambéry où j’ai fini d’ailleurs, au conservatoire. Jusqu’à décembre je travaille sur les compos pour la danse, et puis je travaille sur le deuxième album qu’on va enregistrer début mars.

Quelles directions va prendre Electric Epic que ce soit sur disque ou sur scène ? Quelles évolutions ? Quelles nouvelles idées ?

J’essaie d’approfondir tout simplement tous les concepts qu’on a mis en place et de continuer l’histoire. Il n’y a pas un grand changement, les musiciens restent les mêmes dans le sens où j’ai tout fait pour que ça soit une équipe qui dure et que ça sonne comme un vrai groupe… Je rajoute un élément, pour l’instant c’est secret… Mais pour le deuxième album je vais rajouter un cinquième musicien dans le groupe, et ça c’est assez excitant.

Quelle est ta définition de la musique ? Ce qu’elle est, et ce qu’elle devrait être selon toi ?

La musique doit nous causer. Il faut qu’elle cause direct au cœur. C’est ce que je souhaite quand je vais dans un concert, il faut que ça me choppe. Donc je souhaite que le travail du son soit approfondi et qu’il soit fin, et qu’en même temps il y ait de la puissance qui se dégage. De la finesse et de la puissance… Mais surtout émotionnellement, il faut que ce soit la chose la plus importante. Maintenant des gens qui jouent monstrueux, il y en a beaucoup qui jouent incroyablement bien.

Je me rends compte que le seul truc que veulent les gens, c’est voyager, « triper », être pris dans le truc, et après une fois qu’ils sont pris, on peut les emmener dans des terrains où ils n’ont pas l’habitude d’aller. C’est pourquoi qu’on me dit par exemple « c’est bizarre, normalement le metal je ne supporte pas, mais là ça m’a emmené… » ou « je n’aime pas le saxo et le jazz, mais là c’était cool… ». Je pense que quand on trouve la bonne formule et qu’on arrive bien à s’adresser aux gens, on peut leur faire écouter des choses qui les surprennent. J’aime bien faire ça !

Portfolio

Notes

[1le bocal est la partie entre le bec et le corps du saxophone

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