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Rencontre Guillaume Perret/André Manoukian

mercredi 16 décembre 2015 par Jean-Pierre Biskup rédaction CC by-nc-sa

Entretien

Pour inaugurer la première soirée du concept Yes We Play (concert avec un artiste invité, rencontre musicale, jam itinérante), le saxophoniste Guillaume Perret invite le pianiste André Manoukian pour revisiter les répertoires musicaux de chacun. C’était le mardi 8 décembre à la Maison des Artistes à Chamonix, nouveau lieu de prédilection pour le jazz et toutes les musiques pouvant s’y associer.

Le concept de Yes We Play a été créé par Jessica Mangiapan, et il revient avec la touche artistique de Guillaume Perret. Le saxophoniste Guillaume Perret en résidence à la Maison des Artistes à Chamonix a lancé la première soirée Yes We Play consistant à faire un concert avec un artiste invité afin de revisiter les répertoires de chacun, et ensuite à proposer une jam ouverte aux musiciens locaux désirant s’exprimer.

Le premier invité de ce concept musical est André Manoukian qui est lié à Chamonix depuis bien longtemps et qui continue à marquer ce lien avec l’implantation du Cosmojazz Festival et la création de la Maison des Artistes. Pour cette soirée, Guillaume Perret a notamment invité Cyril Moulas à la basse et Yoann Serra à la batterie pour l’accompagner avec André Manoukian.
Les musiciens répètent dans l’après-midi, c’est l’occasion de les voir et d’avoir un aperçu intéressant de ce qu’on pourra écouter quelques heures plus tard en concert… Rencontre dans le studio de la Maison des Artistes à Chamonix avec un haut-savoyard de naissance (Guillaume Perret) et un haut-savoyard d’adoption (André Manoukian) pour une musique de haut vol !

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Pour commencer, parlons du lieu où nous nous trouvons, la Maison des Artistes… André, tu es certainement le meilleur pour en parler, pour en expliquer le concept…

André Manoukian : Le concept c’est qu’il y avait une maison en ruines dans Chamonix… (rires)

Et il fallait bien en faire quelque chose !

André Manoukian : La mairie ne savait pas quoi en faire. C’était l’ancienne maison de Maurice Herzog. Comme le Cosmojazz a cinq ans, qu’on va attaquer la sixième année, que c’est génial, et que tous les musiciens qui viennent ici sont tellement ravis de la montagne, je me suis demandé comment on pouvait faire pour que ça dure toute l’année et pas seulement une semaine.
Ça a été un projet assez long à monter car il fallait trouver l’associé pour le faire. Je devais trouver un associé, puisque c’est complètement privé en fait. La mairie nous loue la maison, en tant que bailleur ils ont dû refaire le toit et les murs. Pascal Armand et moi-même, nous sommes donc associés, le seul modèle économique de cet endroit est un bar. Pascal Armand sait gérer le bar et a assuré les travaux. L’idée était d’avoir un studio en sous-sol, et au-dessus un club, avec possibilité de résidence pour les artistes. Tout cela pour permettre à de super musiciens, le haut de gamme de chez haut de gamme, de venir faire des résidences dans un endroit de rêve.
Le studio est mis à leur disposition gratuitement, avec une belle console Neve, la Rolls-Royce des consoles analogiques avec un très très beau son, et je sais que les jazzmen en sont fans. Elle était dans ma cuisine, je l’ai mise là (rires)… J’ai mis mon piano à l’étage, là c’est la batterie de mon gamin… On s’est débrouillé avec le matériel afin de faire en sorte que les musiciens aient un super outil de travail. Et en échange, ils nous donnent des concerts, deux ou trois par semaine… Les gens de Chamonix pourront donc profiter de la présence de musiciens haut de gamme toute l’année.

Maintenant on va parler du concept de cette soirée Yes We Play. Guillaume, peux-tu en parler un petit peu alors ?

Guillaume Perret : Le concept Yes We Play a été créé par Jessica Mangiapan en 2010. L’idée à l’époque était d’offrir une jam session de bonne qualité, mélangeant des artistes internationaux avec d’autres plus locaux, le tout dans un cadre classe et convivial. Des soirées affichant complet ont eu lieu au China à Paris et au Nice Jazz Festival.

En m’invitant comme directeur artistique, elle a eu l’idée de créer des rencontres avec différents artistes, et de continuer sur l’itinérance de la jam. Ma 1re a donc lieu ici avec André. Pour chaque session j’invite un artiste qui est compositeur, créatif, qui a des choses à dire. On échange nos répertoires, on se voit le jour-même, et on bosse un peu dans l’urgence comme ça.
Du coup de cette urgence-là naissent en général de très belles choses, on se surprend, il n’y a aucune routine possible. Du coup, je branche deux ou trois musiciens pour nous accompagner, ce soir il y a Cyril Moulas à la basse et Yoann Serra à la batterie. Après le concert, on ouvre la scène pour rencontrer toute la faune locale, tous les musiciens de chaque endroit où on passe pour partager un moment musical.

Ce concept de soirée avec concert et jam itinérante commence à Chamonix, d’autres villes et lieux à venir ?

Guillaume Perret : On va se balader un peu partout en France, dans les clubs, les festivals… J’aimerais arriver à l’exporter aussi quand je suis en tournée à l’étranger comme par exemple en Amérique du Sud ou n’importe où ailleurs… Les jams, c’est quelque chose qui m’a énormément nourri, qui m’a apporté en termes de culture, de réseau aussi.

Pour trouver du travail, c’était mon seul moyen. J’en ai fait énormément, et dans pas mal de pays. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup et je me suis vraiment habitué à savoir être bien en jam, c’est-à-dire arriver à s’imprégner de tout ce qui se passe quelque soit le style, choper des outils et proposer des choses à l’intérieur de ces univers-là, vraiment dialoguer avec ce beau langage universel qu’est la musique.

André Manoukian : Là où il est balaise, c’est qu’il a commencé les jams à New York quand même, quand il était plus jeune… Et là je dis chapeau…

Tu disais d’ailleurs que tu faisais la file d’attente pour jammer…

Guillaume Perret : Ouais, il y a des jams où il y a la file d’attente et où on s’inscrit… J’écrivais mon nom en 4 lettres, GIOM, parce qu’ils n’arrivaient pas à lire Guillaume, et donc je ne reconnaissais jamais mon tour, et ça m’énervait… (rires)

Concernant le concept Yes We Play, peux-tu citer d’autres noms d’invités à venir, où veux-tu en laisser la surprise ?

Guillaume Perret : Pour l’instant je laisse la surprise, mais ce que je peux dire, c’est que ce sera encore avec de belles personnes...

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André, on te voit et on t’entend pas mal en tant que figure médiatique pour la musique. Aujourd’hui, c’est l’occasion de te voir en tant que musicien. Quelle est donc ton actualité musicale ?

André Manoukian : Ça fait un an que je suis sur deux albums me concernant. J’ai voulu faire la troisième partie de mon triptyque sur la musique de mes ancêtres, la musique arménienne. J’ai rencontré une chanteuse formidable, arménienne née en Syrie. Du coup ça m’a un peu perturbé parce que je voulais l’inviter pour une ou deux chansons, et puis là j’en suis à sept chansons pour elle (rires)
Donc je crois que je vais faire un album pour elle, et un album pour moi. C’est pour ça que j’ai eu un peu de retard dans mon planning, car je devais fournir un album là… Du coup, je me suis musicalement encore plus rebranché vers l’Orient. Dans cet album, il y a un violoncelliste turc, un percussionniste iranien… C’est vraiment la découverte, la redécouverte des maqâms… Les maqâms sont les modes qu’utilisent les Arabes pour pouvoir communiquer entre eux.

Comme il n’y a pas de musique écrite, on se donne des maqâms et on part en improvisation. Et je sais que la chanteuse, Lena Chamamyan, peut partir en impro sur une basse continue, un bourdon, pendant des heures… Tout d’un coup je redécouvre l’envoûtement et la route de l’Orient qui correspond comme par hasard aussi au Prix Goncourt de cette année que j’ai reçu à France Inter : Mathias Enard. Son livre s’appelle « Boussole », c’est pour dire que Beethoven avait une boussole qui indiquait l’Est… En gros l’Orient, c’est la route des musiciens… Il y a toujours eu des échanges de musique incroyables, et par les temps qui courent, ça fait du bien de se reconnecter un petit peu avec tout ça… Toujours est-il que je le fais pour une pure quête musicale, parce que ce sont des outils qui sont fabuleux pour improviser.

De la même manière que Guillaume aime bien taquiner les modes pentatoniques éthiopiens, tout d’un coup on découvre des sons. L’intérêt, le renouvellement du jazz aujourd’hui se passe de ce côté-là, on est en train d’attraper des trucs à nouveau, comme entre autres les rythmes composés qu’on appelle les rythmes à la turque… Bref, des nouveaux jouets pour les jazzmen qui ne sont plus forcément aux USA

Guillaume, tu as sorti le deuxième album avec ton groupe Electric Epic il y a un moment, tu prépares un album en solo… Peux-tu parler donc de ton actualité musicale ?

Guillaume Perret : L’album avec Electric Epic est sorti il y a plus d’un an, il a bien tourné avec pas mal de dates et de festivals. J’ai composé un nouveau répertoire pour le quartet autour de l’Atlantide, c’est devenu un spectacle avec un dessinateur de BD fabuleux qui s’appelle Benjamin Flao. Je commence à mettre ça en place…
J’ai aussi un projet avec John Zorn, un projet de commande concernant sa musique, ça va être cool… Je viens aussi d’enregistrer, je viens de passer une semaine magique à travailler comme un fou avec l’ingé son 20 heures par jour sans manger ni dormir tellement on était dans les sessions sur l’album solo… Je suis très très très content… Voilà, je n’ai pas encore fini, mais j’ai fait toutes les prises. Je n’ai pas encore fini d’éditer mais on a quasiment tout mixé.
Il y a des concerts qui sont déjà calés, quelques dates sympas, quelques festivals. Je vais me retrouver aussi en solo dans quelques Zéniths en première partie d’Ibrahim Maalouf. Il y a le Canada en prévision aussi… Le truc n’est pas encore sorti, mais le tourneur s’est déjà mis au boulot, c’est plutôt cool, une bonne pression… Je vais sortir l’album fin mars…

L’interview se termine avec encore quelques discussions rapides et plaisanteries. Entre musiciens et passionnés, on parle de musique, d’instruments et de matériel musical… L’occasion de montrer une guitare acoustique Amarok fabriquée en Savoie et accordée en DADGAD (open tuning, accordage ouvert basé sur un accord suspendu), et la guitare a semblé plaire à Guillaume Perret (qui a rapidement trouvé la nature de l’accordage que j’ai fait écouter) et à André Manoukian, ce dernier se laissant tenter à jouer de la guitare avec les résonances et le bourdon typiques de cet accordage qui peuvent certainement lui rappeler les rencontres avec les musiques de l’Orient… J’ai essayé ensuite de brancher Guillaume Perret pour parler du bassiste français Hadrien Féraud qu’il connaît bien (dont le deuxième album est sorti récemment et dont je parlerai bientôt) afin qu’il lui laisse un message pour le taquiner, il a rigolé et on a conclu que le bassiste était américain maintenant… Pour finir, dans tous ces rapides échanges, on apprend notamment que le projet de création d’un saxophone électrique impulsé par Guillaume avance à grands pas, et ça c’est une autre très bonne nouvelle… A suivre !

Portfolio

En route pour Chamonix... Aux côtés du musicien haut perché Guillaume Perret... Aux côtés du sympathique et drôle André Manoukian... André Manoukian et Guillaume Perret... La Maison des Artistes à Chamonix... En route pour Chamonix...

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