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Invités réguliers des salles genevoises, les Chevals hongrois, accompagnés de la conférence hip-hop gesticulée de l’Âne, étaient pour une fois de passage sur Annecy, à l’Ecrevis. Un lieu non-conventionnel pour le rap hors-norme des « Beastie boys de la cuvette ».
Cette soirée était aussi l’occasion de découvrir l’Ecrevis, un endroit dont on a beaucoup entendu parler, notamment parce que les activistes et collectifs qui l’animent ont réussi à racheter le bâtiment dans lequel leurs activités avaient lieu. Pour participer à la soirée, il faut s’acquitter d’une adhésion à prix libre. On arrive dans une grande pièce. Un petit bar bricolé, avec des bières locales, est opérationnel. Il y a des bibliothèques, des étagères où l’on trouve toutes sortes d’infos militantes. Aux murs, des panneaux expliquent l’usage des espaces, des tableaux et schémas sur l’organisation des collectifs et la répartition des responsabilités. C’est clair, net, et l’accueil est cool.
Au centre, des chaises ont été installées pour la conférence de l’Âne. L’Âne a une barbe et des cheveux longs, un ton professoral avec un accent du sud-ouest, un petit veston en velours serré et un tableau. L’Âne fait une conférence sur le poulet, quelque part entre tract subversif, esprit surréaliste et machine à calembours alambiqués. Attention, ça y est, le compte à rebours a commencé. Ca va vite, très vite, c’est une sorte de performance en somme, une conférence nerveuse et gesticulée. Je n’ai pas toujours tout compris – mais on m’a parfois expliqué. Et le hip-hop dans tout ça ? Eh bien, il y en avait aussi, un peu.
Ensuite, c’était les Chevals hongrois. Derrière ce nom inoubliable se cache un groupe grenoblois de presque vingt ans d’expérience, une discographie bien fournie avec des collaborations et featurings en tous genres mais notamment ceux de Jean Genet, Rimbaud, Robert Desnos ou Prévert et surtout un style à la fois bien ancré dans le hip-hop et complètement personnel, voire non-conventionnel. Un tour sur leur bandcamp pour se rendre compte du phénomène et écouter leur dernier album, sorti en octobre dernier, est plus que conseillé.
Sur scène, le jeu de ces Beastie boys de la cuvette est hilarant, hyper dynamique. Faces de clowns tristes, esquisse de break dance pour articulations grinçantes, haut-débit de rimes étroitement imbriquées, tissu dense d’assonances servi par un DJ-ing de haut-vol, scratch compris.
Le duo formé par Muda et Roland est à la fois hautement énergique et très drôle. Les deux rappeurs se donnent la réplique, se tendent des perches, tour à tour se font la courte-échelle ou des crocs-en-jambes. Voix profonde de daron pour l’un et plus nasillarde et ironique pour l’autre : ce que l’un n’est pas, c’est l’autre qui l’incarne et vice versa. Comme Laurel et Hardy. Comme Ian MacKaye et Guy Picciotto. Comme tous les duos mémorables, peut-être.
Mais le plus remarquable, dans ce flux fulgurant de figures, c’est l’écriture, la manière systématiquement oblique qu’ils ont d’aborder les thèmes, la pointe d’auto-dérision omniprésente, irrésistible et qui change tout. C’est elle qui vient constamment nuancer, enrichir le propos, et donne à leur rap déjà efficace et loufoque un caractère personnel, sensible, poétique même.
Et fait des Chevals hongrois un groupe définitivement à part.