Magazine culturel contributif en bassin franco-valdo-genevois

> Mag > Musique > Archive, rare, précieux...

Archive, rare, précieux...

lundi 11 décembre 2017 par Lionel Fraix photographie , Pierre-Marie Chaffotte rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu

Ah oui mais ce soir, ça ne va pas être possible…Ils annoncent de la neige, et quand même hein ? ça va pas être évident de rentrer à pas d’heure… et moi les rentrées, de nuit, par les petites routes pleine de neige hein, ça commence à bien faire, et pis j’ai du sommeil en retard, et pis en plus le prêt de la bagnole vient d’être fini de payer…c’est pas maintenant qu’il faudrait la cartonner…

Ainsi commencent les basses réflexions du quotidien…les considérations inexorables de la raison…De celles qui vous font oublier que parfois, certaines digressions dans votre petit train-train peuvent vous regonfler à bloc pour l’hiver, mieux qu’une cure de béroca, ou qu’une cure de détox à la canneberge ou au gingembre pour les plus puristes…

Archive : tout a été dit sur eux depuis vingt ans : un collectif protéiforme rattaché à la vague du trip-hop, entre expérimentations électro et rap, serait plutôt le pendant rock et prog-rock de ce mouvement, laissant à l’autre « monstre » de ce genre : Massive Attack, la dominante hip-hop et « lounge ».
Les deux pères fondateurs Danny Griffiths & Darius Keeler, plus jeunes que jamais forment la base de la complexité musicale d’Archive : les samples et les claviers…

En effet le côté très progressif, voire psyché d’Archive réside pour beaucoup dans la construction et la progression des morceaux.
À cela viennent s’ajouter une basse énorme (trip-hop oblige) jouée live ou synthétique, une batterie démentielle dans le son, dans l’efficacité, souvent secondée par une batterie électro, et une, deux, voire trois guitares, qui si elles savent se faire cristallines et discrètes par moment, peuvent, le temps d’une syncope, se métamorphoser en un torrent de lave ravageuse, avec un son à faire pâlir bon nombre de groupe de rock pur jus…
Bref, la palette sonore est incroyablement large en termes de possibilités, de variations d’intensité, et de puissance…
Reste à savoir extraire la quintessence de toutes ces possibilités, et ne pas en faire un « groupe de studio » froid sur scène, mais que l’auditeur puisse ressentir la même émotion sur scène, la même intention et authenticité qu’en se posant dans son salon, casque vissé sur les oreilles (oui…pour moi, Archive s’écoute d’abord au casque !)

D’authenticité et de live parlons-en, car voici Archive qui, une nouvelle fois, se met en travers de mon quotidien et de sa voix de la raison.
Comment ne pas parler d’Archive autrement que sur le registre de l’émotion ?

L’amphithéâtre de Château rouge se remplit doucement, après une première partie surprenante « SPS Project » One-man-project et son univers sonore très personnel qui a régalé le public de manière très intimiste, naviguant entre trip-hop, et montées post-rock au piano, au Rhodes, aux samples avec un kick comme seule percussion. Un finistérien à suivre de très près dès son premier album.

Durant l’attente, un rideau de fin filaments, vaporeux tels des méduses, se monte comme une barrière entre le public et la scène :
Il servira, à mon sens, à faire franchir plusieurs crans supplémentaires dans la qualité du show lumière d’Archive.
Superbement exploité, on a ainsi dès l’arrivée du groupe sur scène, droit à un double show de lumière complémentaire sur l’écran géant en fond de scène, et sur le rideau devant la scène, qui complète parfaitement la longue intro électro saccadée de « Driving in Nails ».
Monochromes, intenses, harmonieuses, parfois épileptiques, les images abstraites projetées et tournoyantes sont à l’image du groupe.
Tous prêts, dans l’attente successives de leurs entrées en scène, avec précision, ils sont tous là… Un petit pas de danse pour Pollard Berrier, une concentration sur ces pads électro pour Dave Pen, alors que Darius (déjà en transe avec son sempiternel mouvement de bras improbable...) et Danny sont déjà « aux affaires » pour lancer les premiers morceaux du nouvel album.


JPEG - 81.3 kio
Archive
Château Rouge@Annemasse, nov 2017
© Lionel Fraix

Alors que j’étais partagé, voire perplexe sur les 3 derniers albums sortis à très peu d’intervalle (Archive a été très prolifique ces dernières années), il faut admettre qu’avec une bonne surcouche de rock et de voix limpide, et une précision chirurgicale, ou peut-être plongé dans l’ambiance, ces morceaux me semblent beaucoup plus abordables, plus cohérents.

Moins linéaires, plus riches en tout cas que sur album, ils sont très captivants… et à priori pour l’auditoire aussi…
« Sell out », et son côté hymne dépouillé, barré, long, entrecoupé de bizarreries électro claque désormais de manière bien plus intense et fait naitre les premiers hochements de tête approbateurs dans les premiers rangs.
« Stay Tribal », ovni déroutant avec son gimmick électro improbable, empruntant presque à la country, à Kasabian et ses « sing along » parait limpide sur scène.
La batterie de Steve « Smiley » Barnard claque à la perfection en réponse à l’électro.
« The False fondation », titre éponyme du dernier album, ressemblant plus à du Archive « classique », très entraînant s’enchaîne avec des montées très intenses, et finit, avec les 3 guitares toutes voiles dehors.

Arrive enfin l’un des morceaux « inévitable » : « Fuck U », qui surprend par son côté dépouillé, et quasi-acoustique…avant de s’envoler sur la brutalité des samples distordus.
C’est le moment choisi pour faire tomber le rideau… moment idoine puisqu’entre les nouveaux morceaux pêchus et les classiques, les gens dansent, sont debout dans les tribunes.

Archive ou l’art du contrepied, va prendre un malin plaisir à faire rugir les derniers morceaux les plus récents comme pour les faire mieux accepter, et faire languir les habitués en reprenant leurs standards, dont l’inévitable et tellement floydien « Lights » en acoustique, et en très très raccourci.
Je rassure ceux qui connaissent et apprécient la version habituelle…le voyage est toujours là. Un piano, la voix de Pollard... dépouillée, presque plus intimiste que sur l’album.

Pour ceux qui ne connaîtrait pas Archive et qui ont eu le courage de parcourir ces lignes, « Lights » est l’un des plus beaux condensé de ce que le collectif a pu produire : une plongée rapide et instantanée (rapide en 18 minutes tout de même…) dans son univers.
Une très belle alternance donc qui fait que l’on ne voit pas le temps passer, malgré les morceaux de plus de 6 minutes qui s’enchaînent…


JPEG - 247.7 kio
Archive
Château Rouge@Annemasse, nov 2017
© Lionel Fraix

Le très surprenant « Splinters » vogue quelque part entre noirceur, groove, et apaisement. De la poésie à l’état pur, comme sur « The feeling of loosing everything », ou « Empty bottles » qui finiront de démontrer la précision chirurgicale et la maîtrise totale des sept Archive sur leur art :
Dave Pen, sa voix déchirante et à fleur de peau en porte étendard de ces nuances de puissance et d’émotions.
« Blue Faces », une véritable perle de sensibilité du dernier album, à mon sens, finit de boucler sur fond de tableau de La Nuit Etoilée de Van Gogh un et suspendu dans le temps…

Un rappel de trois titres, dont « Bright Lights » du dernier album, qui personnellement fini de me décider de l’acheter…
Un « Controlling Crowds » pour réveiller toute la salle, tout en syncopes, en brutalité qui ouvre finalement vers « Numb »…
« Numb », plus ancien titre du set (You All Look the Same to Me date déjà de 2002…) est une montée progressive qui semble jouissive et infinie se finissant en explosion finale de sons distordus, de voix triturées, surgissant de partout. Elle « remplace » à merveille « Again », autre bouquet de nerfs du même album qui clôturait les sets il y a quelques années.

2h de concert, 2h de maîtrise de bout en bout pour un show final (le dernier de leur tournée) qui a apparemment régalé les 1000 personnes présentes.

Archive fait partie de ces groupes, rares, précieux, qui, s’ils vous touchent, vous touchent en plein cœur, et qui sont capables de vous faire ressentir une liberté émotionnelle rare…

La sincérité et la complexité de leur musique tient de l’orfèvrerie, tant tout a été intellectualisé, pensé dans les moindres détails…
En live, l’improvisation n’a pas sa place, il est vrai, mais cette boule, cette claque d’énergie et de sensibilité vous transportera loin…très loin…pour ceux qui y sont sensibles.
Votre serviteur, vous l’aurez compris, l’est.
20 ans et ils semblent au sommet de leur art.

Voilà…une soirée d’hiver s’est achevée, tiens, c’est vrai…il neige… il fait froid, il est tard…il faut rentrer…avec le sourire aux lèvres…

Toutes photos : Château Rouge@Annemasse, nov 2017 © Lionel Fraix

Commenter cet article

Pour participer ici, vous devez vous connecter avec l’adresse mail de votre inscription sur Rictus.info.