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En marge du concert donné par Sisters of Mercy, Ben Christo, guitariste du groupe a accepté de rencontrer Lieutenant Caramel, l’envoyé spécial pour notre magazine, pour un échange courtois.
Rictus : Pensez-vous que nous aurons la fin du monde ? Qu’il n’y a plus d’avenir aujourd’hui, ou pensez-vous que nous pourrions revenir à une situation primitive ?
Ben Christo (SOM)
Oh oui ! Je pense que beaucoup de paroles d’Andrew parlent de conflit et de ségrégation. Et c’est une personne très inclusive. Et particulièrement dans nos spectacles, c’est un espace sûr où les gens peuvent se réunir et se sentir unis. Souvent, beaucoup de personnes marginalisées se réunissent à nos spectacles. Et cela vous le verrez ce soir dans le public. Vous aurez un très large éventail de personnes d’âges, d’origines ethniques et de sous-genres musicaux différents. Vous verrez des fans de Heavy metal, des rockers, des pop kids, des gothiques, des industriels... Ils seront tous là !
Je pense que la santé mentale des gens est vraiment mise à rude épreuve (par les réseaux sociaux)
En ce qui concerne le cours actuel de la civilisation, je suppose que l’un des problèmes avec lesquels nous sommes vraiment aux prises est la santé mentale. Et je pense que cela est dû en grande partie au fait que nous sommes désormais censés être en contact permanent avec autant de personnes, grâce à Internet et aux médias sociaux. J’imagine donc que nos ancêtres, lorsqu’ils grandissaient, avait une dynamique typique dans tout type de village, vous connaissiez probablement 30 à 50 personnes, et c’était votre famille, vos amis et vos proches collègues. Alors que maintenant, vous et moi, individuellement, nous sommes probablement en contact avec des milliers de personnes cette année.
Même s’il s’agit simplement de quelqu’un qui aime une publication ou qui envoie un message ou autre, qui concerne votre travail, vous obtenez des interactions et tout le reste avec. Je pense donc que la santé mentale des gens est vraiment mise à rude épreuve. Sous la contrainte parce que je ne pense pas que nous soyons programmés pour être en contact et pour être disponibles avec autant de personnes tout le temps. Et nous pensons que si nous ne sommes pas disponibles, si nous ne répondons pas ou n’interagissons pas, alors d’une manière ou d’une autre, nous sommes incivilisés ou impolis. Et je pense que c’est là que se situera le véritable défi à mesure que nous avancerons : comment les gens maintiendront-ils leur santé mentale ? Et puis, comment cela se manifeste-t-il en termes de comportements des uns envers les autres ?
Rictus : Pensez-vous qu’on peut toujours avoir un projet collectif, ou bien c’est aujourd’hui uniquement l’addition d’individualités qui font un projet ? Qu’elle est ton impression d’être dans un groupe fondé en 1980 ?
Ben Christo (SOM)
Nous avons de nombreuses nouvelles chansons, dont beaucoup seront jouées ce soir. Et c’était des collaborations entre moi, le guitariste Dylan et Andrew Eldritch. Et pour ces collaborations, nous sommes trois personnes d’horizons très différents, d’histoires très différentes, d’éducations très différentes, qui trouvent un terrain d’entente. Et bien sûr, nous avons écrit beaucoup de musique, mais tout n’a pas été réalisé. Il a donc fallu un certain terrain d’entente pour que nous trois reconnaissions ce qui fonctionne.
C’est intéressant de venir écrire pour The Sisters of Mercy. C’est différent d’écrire pour moi, auquel cas je n’ai pas forcément de consignes ou de lignes directrices précises, particulières. Avec les Sisters, tu sens ce que tu peux faire. C’est un peu comme venir et quelqu’un te demande, “je veux que vous écriviez le scénario d’un country et d’un western, désolé, pour un film de Far West”. Et vous vous dites, d’accord, et bien, dans un film de Far West, je devrais probablement avoir ceci et cela.
Écrire pour Sisters of Mercy, est une chose similaire dans la mesure où il y a certaines choses qui, selon vous, devraient probablement figurer là-dedans et vous êtes guidés par ces principes. Donc, quand j’apporte mon propre style, j’adhère toujours aux principes de l’identité esthétique du groupe.
Rictus : L’identité permet donc de coller des choses de vous-mêmes ensemble, êtes-vous toujours Gothiques ?
Ben Christo (SOM)
Ouais. En effet, je suppose que vous trouverez certaines choses. Dans une chanson des Sisters of Mercy, on peut trouver des références littéraires. Je veux dire, Eldritch est vraiment bon dans ses références littéraires.
Et il a commencé à faire certaines choses dans les nouvelles chansons où il utilise délibérément une guitare de manière non académique comme juste une autre particularité de la façon dont il veut écrire les choses. Musicalement, des mélodies simples et mémorables sur les guitares, des séquences d’accords dont il n’y en a peut-être qu’une ou au plus deux, qui se construisent et se terminent.
Et en termes d’instrumentation, ce sont des riffs assez convaincants et simples, mais réalisés d’une manière sans doute inattendue. Mais là encore, beaucoup de chansons de Cure sont également incroyablement optimistes. Depeche Mode. Est-ce un groupe gothique, à votre avis ? Pensez-vous que c’est un groupe gothique ?
Rictus : Non, c’est Depeche Mode.
Ben Christo (SOM)
Juste son propre genre. Oui.
Rictus : Le code vestimentaire, l’ambiance de votre concert, par exemple, ce sont des choses importantes pour vous ?
Ben Christo (SOM)
Une ambiance avec des dress code. Oui, la présentation est très importante, ce qui a été créé sur scène. Je crois comprendre qu’il s’agit d’une jungle numérique. Je sais qu’Eldritch est un grand fan d’Apocalypse de temps en temps, il est aussi un grand fan de science-fiction classique comme Silent Running, Rollerball et Soylent Green (Soleil vert). Et je pense que nous avons ce soir, dans l’esthétique du décor, un amalgame de cette atmosphère de jungle claustrophobe d’Apocalypse now avec ces éléments numériques de science-fiction qui, je pense, véhiculent vraiment une esthétique qui reflète sa vision du monde.
Rictus : Abordez-vous des sujets politiques dans vos chansons ?
Ben Christo (SOM)
Il y a deux nouvelles chansons. Deux chansons et plus. L’une d’elles s’appelle « Eyes of Caligula », et d’après ce que j’ai compris, il s’agit de la Grande-Bretagne de Thatcher des années 80, puis « On the beach », dont il ne m’a jamais pleinement expliqué de quoi parlent les paroles. Mais je suppose que cela a quelque chose à voir avec le Brexit. Je peux me tromper, mais c’est mon hypothèse. Et c’est arrivé au bon moment quand il l’a écrit.
Rictus : Le groupe est originaire de Leeds, et vous ?
Ben Christo (SOM)
Je suis originaire de Bristol.
Rictus : C’est une très belle ville que j’aime beaucoup, y avez-vous rencontré Banksy ? Avez-vous une idée de qui c’est ?
Ben Christo (SOM)
Oui c’est une très belle ville. Non, je n’ai jamais rencontré Banksy, pas à ma connaissance, en tout cas.
Rictus : C’est une mafia. Parce que personne ne veut parler de qui il est ! Tu connais la GEM [1] ?
Ben Christo (SOM)
(Rire) D’accord. C’est bon. La GEM ? Est-ce un joyau de la bière du West Country ? Ouais, je ne suis pas sûr de connaître la GEM, même si j’ai grandi à Bath et à Bristol… puis j’ai déménagé à Liverpool. Ensuite, j’ai vécu à Londres pendant un moment. Il y a une grande partie du mouvement trip hop qui a vraiment émergé de Bristol dans les années 90, c’est drôle.
(Être punk) c’est peut-être une façon de penser plutôt qu’une esthétique musicale.
Rictus : C’est curieux, Vous ressemblez énormément à Mark Moreland, le guitariste de Wall of Voodoo. Connaissez-vous ce groupe rock américain ?
Ben Christo (SOM)
Non, pas du tout !
Rictus : Pour vous, le mouvement punk est terminé ?
Ben Christo (SOM)
Je pense qu’avec quelque chose comme le punk, il y a tellement de substrats différents. Et c’est peut-être une façon de penser plutôt qu’une esthétique musicale. Il y aura donc de nouveaux groupes qui sortiront et qui vous diront qu’ils ont du punk dans leur son. Cela est peut-être dû à leur attitude ou à leur état d’esprit.
Et vous pouvez penser également à des groupes plus récents qui semblent combiner plusieurs choses. Je n’arrive pas à savoir si c’est Frank Turner mais c’est comme du folk punk. Il y a une combinaison d’éléments qui sont assez folk ou assez punky dans l’esthétique de cette musique. Et de nombreux groupes à la fin des années 1990 et au début des années 2000 se sont approprié le terme punk en Amérique. Il y avait donc toujours ce mouvement punk californien, qui était constitué de groupes sans effets et avec des tensions sur ce genre de choses, influencés par le punk.
Rictus : Quel est ton ressenti lorsque tu découvres pour la première fois un bruit, un son, pour en faire une musique.
Ben Christo (SOM)
Le son que j’aime le plus est une mélodie sombre et rocailleuse. C’est quelque chose de très mélodique, mais il y a une certaine obscurité qui donne quelque chose d’attrayant. Et cela peut apparaitre dans n’importe quel type de musique.
Rictus : Mais comment faites-vous ça avec votre guitare ? Comment réussissez-vous à obtenir cette ambiance sombre ?
Ben Christo (SOM)
Cela a à voir, je suppose, avec la manière dont vous jouez, l’angle et l’émotion que vous mettez dans l’accord, la façon dont les notes jouent ensemble, leur choc, ou leur synergie, le mélange de tout ça. J’aime aussi avoir le son de la réverbération et du delay sur la guitare parfois pour obtenir cette atmosphère. Ce sont donc des éléments qui reviennent souvent dans ma musique.
Rictus : Quel est ton livre préféré ?
Ben Christo (SOM)
Une chambre avec vue de E .M. Forster. Il a été écrit en 1908, et c’est une comédie dramatique, qui est une observation des tensions sociales de la Grande-Bretagne Édouardienne. J’ai toujours aimé ce livre parce que je pense qu’il y a tellement de choses qui sonnent encore vraies aujourd’hui en Grande-Bretagne sur les attitudes des gens.
J’ai noté, les attitudes des gens avec lesquels j’ai grandi envers ce genre de tension. Et bien, nous ne devons pas faire ceci, et peut-être ne devrions-nous pas faire cela. Ne disons rien. Et c’est un élément très restreint et refoulé dont j’ai l’impression d’avoir encore beaucoup en moi et avec lequel j’ai grandi. Et donc dans ce livre, j’ai toujours trouvé une observation très drôle de notre nature refoulée.
Rictus : Effectivement un livre très intéressant, et une très belle adaptation cinématographique de James Ivory et donc de ce fait quel est votre film préféré ?
Ben Christo (SOM)
Ouais, c’est assez facile à lire. Cela fait environ 200 pages et c’est assez léger. L’action se déroule à Florence en Italie dans la première moitié, et la seconde moitié se déroule à Tunbridge Wells en Angleterre.
Et à propos des films, la plupart de mes films préférés sont en grande partie des trucs avec lesquels j’ai grandi. L’un de mes films préférés date de 1971, il s’appelle Duel et c’est le tout premier film de Steven Spielberg. Et c’est juste un cours de maître sur le suspense et la narration. Le concept est très simple. Un jour, un grand homme d’affaires Américain se rend au travail en voiture à travers le désert, à travers le Colorado, et il commence à être poursuivi par ce gros camion. Et il ne sait pas qui le conduit, et il ne sait pas pourquoi. Et sa paranoïa monte et monte, et cela dure une heure et demie de cette histoire où il essaie de comprendre pourquoi. Et puis c’est juste une question de survie. Et personne ne le croit parce que tout a été tourné en vrai, alors que beaucoup de choses à l’époque étaient en superposition et en modèles réduits. Vous le regardez aujourd’hui et ça a toujours l’air incroyable. C’est donc définitivement l’un de mes films favoris. Je pourrais le regarder encore et encore. Pour moi, c’est comme écouter un album préféré.
Ce groupe est génial. Je les aime beaucoup, mais je n’aurais jamais imaginé d’en faire partie un jour.
Rictus : Quelle est votre perception du cycle de vie dans votre musique ?
Ben Christo (SOM)
Oh, le cycle de la musique. La réémergence. Eh bien, regarde le concert que nous aurons ce soir ! Ma prédiction est que dans le public, nous aurons peut-être trois générations de personnes âgées de 18 à 60 ans, qui ont toutes un lien profond avec les chansons que nous allons jouer sur scène. Cela signifie donc que tout ce qu’Andrew a écrit en 1987 évoque autant aux personnes qui étaient là la première fois, qu’à ces nouvelles personnes.
Cela suggère donc que dans ce qu’il a écrit, il y a une qualité qui transcende le temps et avec laquelle on peut toujours être connecté. Et peut-être que dans 50 ans, les gens l’écouteront et l’aimeront de la même manière qu’ils l’aimeront ce soir.
Rictus : Qu’est-ce que l’obscurité finalement ?
Ben Christo (SOM)
Ouais, quoi qu’il en soit, la répression qu’ils ont ressentie, la marginalisation qu’ils ont ressentie, le fait qu’ils peuvent venir ici et se sentir partie intégrante de quelque chose.
Je suis moi-même fan. J’écoutais ces groupes quand j’étais adolescent et pourquoi est-ce que j’aimais ça ? Pourquoi ai-je aimé ça ? Parce que j’avais l’impression que quelqu’un me comprenait et que j’étais en dehors du courant dominant normal. Mais ce groupe. Oh wow. Ce groupe me comprend. Ce groupe me comprend.
Rictus : Quand vous étiez adolescent, vous rêviez de rejoindre Sister of Mercy.
Ben Christo (SOM)
Eh bien, j’ai adoré le groupe, mais je n’ai jamais rêvé d’en faire partie un jour.
Rictus : Impossible de rêver ?
Ben Christo (SOM)
Ouais, c’était tellement loin et impossible. La connexion. Je veux dire, quand j’ai écouté le groupe pour la première fois, je pensais qu’ils étaient allemands et, oui, c’était juste. Ce groupe est génial. Je les aime beaucoup, mais je n’aurais jamais imaginé en faire partie un jour.
Rictus : Il y a peut-être une question que vous souhaiteriez que je vous pose.
Ben Christo (SOM)
C’est une bonne question. Non, je pense que vos questions ont été vraiment très bonnes, très réfléchies et très différentes de celles qu’on me pose habituellement. Merci donc d’avoir consacré du temps à réfléchir à ces questions.
Rictus PB : Merci Ben et très bon concert pour ce soir à Genève.
[1] Bière locale produit par la brasserie Bathale, de Bath https://bathales.com/our-story/
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