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Einstürzende Neubauten à Antigel, un concert immanquable. Après mon précédent « gros » concert en « terra helvetica », Nick Cave and the Bad Seeds, impossible de rater la venue de son ex-guitariste et acolyte des années Berlinoises, le pèlerinage continue !
Les réjouissances ont lieu à l’Alhambra, rénovée en 2015, un lieu chargé d’histoire. Une salle classée monument historique parfaite pour ce groupe « monument » de la musique indus et expérimentale. On aurait pu d’ailleurs s’attendre à les voir dans un lieu industriel, un hangar désaffecté mais le côté intimiste et l’ambiance cabaret fonctionne aussi.
Sur cette tournée, le groupe propose un florilège des vingt dernières années, best-of qui correspond approximativement au départ du précédent percussioniste-bruitiste F.M Einheit.
Le concert commence en douceur avec « the Garden » et dans l’ensemble, le groupe ne jouera pas tant de morceaux purement indus à tendance tonitruante, on aura quand même droit à « Haus der Lüge, Redukt ». Si on est loin de la sauvagerie du Berlin Ouest des premières années, les Neubauten confirmeront qu’ils restent un groupe passionnant, qui vaut la peine d’être vu en live.
Plus qu’un concert, c’est un spectacle, une expérience spéciale grâce aux combinaisons de sons- bruits inédits et de musique. Une alchimie s’opère entre les instruments « traditionnels » - la basse prédominante d’Alexander Hacke, la guitare électrique, les nappes mélodiques des synthés – mêlés aux instruments bricolés, et la voix de Blixa qui ne se limite pas au chant ou aux cris de chat égorgé dont il a le secret, il jouera aussi avec le souffle, le son d’une inhalation, à tapoter sa joue, des bruits du corps produits sans chanter, sans parler.
Leur attirail d’instruments incongrus impressionne et allie le plaisir auditif au visuel.
Un bric-à-brac sonore avec des détournements d’objets en tout genre : bidon en métal découpé dans la longueur, placé en hauteur qui déverse une pluie de couverts ou d’objets métalliques, un xylophone géant fabriqué avec des tubes de PVC sur le sublime « YouMe MeYou », une turbine à aube ( terme technique soufflé par un connaisseur ) sur laquelle le tapotement de petits balais produisent des sons incroyablement cristallins.
Des bidons en plastiques, des boîtes de métal, des tendons, des ressorts, des sculptures sonores de tuyaux, des tambours de tôle, leur équipement bruitiste reste industriel même si leur musique s’est adoucie au fil des années.
Des objets détournés font aussi sourire, comme « la rencontre fortuite » d’un godemichet bleu métallisé sur une guitare pour faire des slides, accessoire de plaisir autonome détourné pour un autre, celui des oreilles ! Ou encore un vinyle qui tourne au bout d’une perceuse.
La furie presque explosive des débuts s’est atténuée, un peu à l’image du changement de look de Blixa Bargeld qui a troqué ses frusques punk tendance SM pour des costumes trois pièces parfois pailletés, de l’oiseau de nuit au dandy... Mais leur musique demeure unique, toujours actuelle et offre en concert des moments de grâce. Entendre les morceaux de l’album Silence is sexy avec toute la puissance du live reste une expérience « total geil » ou « wunderbar » pour reprendre une expression de nos voisins germaniques.
Sur le premier rappel introduit par « Silence is Sexy » et le crépitement d’une cigarette qui se consume, on retient son souffle. L’audience est plongée dans le silence. La tension ne s’exerce pas que dans le bruit mais aussi dans le silence peut-être même plus aujourd’hui... S’ensuit une envolée vers les astres avec « Total Eclipse of the Sun », magistral et contextuel avec la Lune Bleu Sang du mercredi précédent, la Lune rencontre le Soleil. Ils nous embarquent vers le soleil sur « Sonnenbarke » “Komm mit... Komm auff meine Sonnenbarke” » ou nous plonge littéralement dans la couleur rouge avec « Sabrina » “It’s nor the red of the dying sun... It’s not that red...It’s not that gold”.
Un concert plus expérimental qu’industriel, un spectacle qui cristallise de multiples références qui vont au-delà de la sphère musicale. Des clins d’œil au mouvement Dada comme sur le morceau « Let’s do it a Dada » où le percussionniste bricoleur N.U Unruh apparaît même dans une réplique du costume cubiste d’Hugo Ball lorsqu’il récitait sa poésie sans mots ou poésie phonétique au Cabaret Voltaire. Un clin d’œil à Russolo - cité texto en roulant bien le « R »- l’auteur du manifeste futuriste l’Art des bruits (1913) qui voulait “conquérir la variété infinie des sons bruits”. Des références manifestes, le spectre du groupe est large.
Après quarante ans d’expériences sonores, bruitistes « les nouvelles constructions qui s’effondrent » ne sont plus nouvelles mais bien loin de s’écrouler. Les fondations sont solides, bien ancrées telles un monument en fonte qui traverse le temps sans s’éroder. Les Einstürzende Neubauten vibrent et turbinent encore.
Das ist nicht die Ende. Das ist himmer Neu. Ende Neu.