> Mag > Musique > Il y avait un soleil radieux chez Jesus & Mary chain
Le 13 avril 2024, l’atmosphère vibrante de l’Usine à Genève s’est de nouveau enflammée pour accueillir le légendaire groupe post-punk The Jesus and Mary Chain. Les groupi(e)s, impatients et nostalgiques, se sont rassemblés pour célébrer 40 ans de musique envoûtante.
Peu de fans le savent mais TJMC a d’abord été un groupe de noise, jouant dos au public, faisant leurs premiers sets d’une durée de moins de 10mn, et en le provoquant avec un mur de bruit insupportable.
Les membres principaux, issus d’une famille écossaise de la banlieue de Glasgow, zone en plein déclin industriel, ont toujours été depuis le début les deux frères Jim et William Reid. Le groupe possède à son actif huit albums en studio avec une intention « révolutionnaire » qui était d’« Écrire des chansons des Shangri-Las avec le son de Einstürzende Neubauten » [1]. Ce concert était donc l’occasion de vérifier que le dernier opus « Glasgow Eyes » respectait bien l’engagement initial.
L’ambiance dans la salle était plutôt calme même si le concert affichait complet les fans ont su se tenir, il n’y aura pas ce soir de fameuse « émeute Jesus and Mary Chain » ! Avant que les frères Jim et William Reid montent sur scène, le groupe Deathcrash a légèrement chauffé l’ambiance avec son mélange un peu mou de post-punk et de shoegaze qui nous a peu convaincus. Les rythmes hypnotiques et passifs nous ont bien endormis et de ce fait, la plupart des fans, pourtant en attente d’une place à l’Ehpad ou du 3e pilier, étaient à peine réveillés pour une dernière rafale avant de rentrer ensuite gentiment dans leur bunker [2].
La soirée attaque avec un nouveau morceau « Jamcod », un début de bruit de boite métallique qui nous entraîne à l’intérieur d’une danse épileptique, le son est à l’image du dernier album : sons granulaires et séquences modulaires sur un tapis de bombes rythmiques. Nous sommes là, tous amassés devant, les yeux rivés sur la scène, absorbant chaque note, chaque cri de guitare. Les lumières tamisées ajoutent à l’intensité du moment, nous pouvons sentir l’excitation et la nostalgie dans l’air. Clairement les morceaux du dernier album sont … très très bons ! J’aime beaucoup les assemblages d’une batterie lourde mêlant les bruits neurasthéniques qui sentent la transe suggérée par Saint Jean de la Croix dans sa « Montée du Carmel ».
Il y a même de temps en temps un petit côté « bidule en ut » qui pourrait se marier parfaitement avec un tombeau à Pierre Schaeffer [3] en citant ses expérimentations tels que « Étude aux chemins de fer » … Mais là, je déconne un peu !
Et pourtant, lorsqu’on écoute tous les albums précédents de J&MC, on a parfois l’impression d’un même classicisme Noise-pop que l’on pourrait situer entre le Velvet underground et les Beach Boys… Personnellement, j’adore le côté sauvage des larsens de Psychocandy (1985) qui me rappelle les premiers opus de My bloody valentine, groupe irlandais officiant à la même époque, disparu trop rapidement du fait de problèmes auditifs du leader Kevin Shields.
Néanmoins, il est dommage que dès 1987, J&MC nous propose des compositions plus mélodiques, moins noise, dénudées d’effet sonore à l’image du deuxième titre joué ce soir : « Happy when it trains ». Un tube célébrant la pluie et plus si affinité, avec lequel ils auront réhabilité l’idée d’un rock’n’roll, sans originalité, joué avec passion certes, mais surtout dans l’objectif d’une plus grande efficacité commerciale.
Évidemment, le public communie à cette célébration d’un passé glorieux des années 60 avec leurs nombreuses compilations, indubitablement, adore les tenues de style rétro, célèbre les loosers qui ont des problèmes d’alcool et de drogue. Mais les fans ne connaissent pas la réalité des paroles de « Chemical Animal », balade nocturne, ils ne viennent qu’aux fêtes et pleurent ensuite sur les tombes :
Il y a quelque chose que tu devrais savoirIl y a quelque chose que je ne montre pasJe me remplis de produits chimiquesPour cacher la merde sombre que je ne montre pas
Mais voilà, une ambiance de merde n’engendre pas forcément un groupe de légende. Et d’ailleurs, Jim Reid l’avoue souvent aux journalistes, s’il a beaucoup pris de speed et autres substances c’était pour couvrir son manque de confiance, sa timidité, terrifié de monter sur scène ou sans envie de répondre à une nouvelle interview sans intérêt. L’arrogance affichée est un mécanisme de défense, mais créer, composer des musiques, affronter la solitude des studios d’enregistrement, galérer pour sortir un album est une autre paire de manche.
Les paroles sombres et hantées de J&MC, même reprises en chœur, n’ont pas toujours été à la hauteur de la réputation du groupe, et ce n’est pas toujours du Arthur Rimbaud ou du Stanilas Rodanski [4]. C’est sans doute pour cette raison que longtemps, ce groupe n’avait pas été admis dans mon Panthéon personnel un peu trop musique contemporaine et sans concession éternelle.
Alors qu’on écoute « Amputation » de l’album Damage and Joy, avec des « ouh ! ouh ! » à la Rolling Stones, je me dis que c’est un parfait exemple d’une musique et d’un texte qui sonnent comme un « déjà entendu quelque part ». On ressent ici la difficulté qu’a pu avoir le groupe de sortir un nouvel album avec quelque chose de nouveau à proposer :
J’essaie de regagner ton intérêtMais tu n’as rien de tout çaTu es comme un bateau dans une bouteilleEmbrasse aujourd’hui, mais baise demainJe ne sais pas, je suppose que nous avons fini !
Et pourtant, on assiste avec le dernier album Glasgow eyes à une résurrection, un retour à un équilibre très intéressant entre les mélodies, les riffs, les rythmiques et les inventions sonores synthétiques plutôt que « bruitiste » [5], terme utilisé à tort pour ce groupe. Les compositions de J&MC gagnent enfin en audace et intensité émotionnelle et comme l’annonce Saint Augustin dans La cité de Dieu :
Si, en effet, l’âme est délivrée sans avoir à revenir à sa misère, elle est délivrée comme elle ne l’a jamais été auparavant. Il se produit en elle quelque chose d’extraordinaire, c’est-à-dire une félicité éternelle qui n’en finira jamais
J’ai définitivement beaucoup aimé le concert de Genève, et si on pouvait donner une note spéciale à la performance de ce soir, cela sera aux éclairages stroboscopiques, les lumières ont pulsé en synchronisation avec la musique, créant une atmosphère hypnotique. Les silhouettes des membres du groupe se découpaient dans ces éclairs lumineux, ajoutant au mystère de leur prestation. Par ailleurs, il y a eu un moment très fort dans la soirée et c’est le titre « Just Like Honey » joué pendant le rappel, le tube du groupe avec « April skies », et dont tout le public a chanté à l’unisson les paroles emblématiques de cette très belle ballade mélancolique. Les accords et les mots résonnaient encore dans la salle après l’extinction des feux, créant une atmosphère à la fois douce et puissante :
Listen to the girl, as she takes on half the world, Moving up and so alive, In her honey dripping beehive, beehive !It’s good, so good, it’s so good, So good…
Photos d’ambiance
Étant sous contrôle parental, je n’ai pas traduit ces paroles pour vous, de toute façon évidentes pour leurs sens et simplicité !
Mais, je me suis fait bien engueuler par mon épouse lorsque, « marketing is mucho marketing », j’ai craqué pour acheter le tee-shirt du groupe avec une mention débile et indélébile : « I’ll be your plastic toy » adressée à ma banque qui ne manquera pas d’ajouter des agios.
Mais je vous rassure, cela ne sera pas pour tout le monde !
Après une heure et demie de pur rock’n’roll, The Jesus and Mary Chain a quitté la scène sous les acclamations. Leurs mélodies sombres et leurs paroles introspectives continueront de résonner dans nos cœurs pendant encore au moins… 40 ans… Si Dieu le veut !
Set List
Jamcod, Happy When It Rains, Head On, Far Gone and Out, All Things Pass, Chemical Animal, The Eagles and the Beatles, Amputation, Cracking Up, Some Candy Talking, In a Hole, Sidewalking, Pure Poor, Blues From a Gun, Nine Million Rainy Days, Venal Joy, I Love Rock ‘n’ Roll, Sometimes Always (avec Melissa Kassab), Just Like Honey (avec Melissa Kassab)
Rappel : Darklands, Never Understand, I Hate Rock ‘n’ Roll, Reverence
Albums studio
1985 : Psychocandy (Blanco y Negro Records)
1987 : Darklands (Blanco Y Negro Records)
1989 : Automatic (Blanco Y Negro Records)
1992 : Honey’s Dead (Blanco Y Negro Records)
1994 : Stoned and Dethroned (Blanco Y Negro Records)
1998 : Munki (Creation Records)
2017 : Damage and Joy (Fuzz Club Records)
2024 : Glasgow Eyes (Fuzz Club Records)
Merci à Jacques Apotheloz pour le fourniture des photo marquées PTR
[1] Magazine Rock & Folk n° 542 (Octobre 2012, p.54)
[2] Le bunker de la dernière rafale - Caro & Jeunet (1981)
[3] Pierre Schaeffer inventeur de la musique concrète (1948)
[4] Stanislas Rodanski auteur « La victoire à l’ombre des ailes » (1975)
[5] C’est Luigi Russolo qui invente le terme bruitisme avec son ouvrage « L’Art des bruits » paru le 15 mars 1913