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La représentation de « Gamblin jazzE, de Wilde sextetE » a fait salle comble en janvier à l’Espace Malraux et comblé le public de joie. Après le spectacle, Jacques Gamblin nous parle de son travail avec Laurent de Wilde, de son rapport à la musique et au jazz, sans oublier son actualité notamment au théâtre et au cinéma.
Comment est né ce spectacle, comment ça s’est créé et concrétisé ? Sachant, il me semble, que vous ne vous connaissiez pas avec Laurent de Wilde…
Non, pas du tout. Ce concert spectacle est né à ce très très beau festival qui s’appelle « Jazz sous les pommiers » à Coutances dans la Manche, à l’opposé d’ici donc. Le directeur m’a proposé il y a deux ans, pour le trentième anniversaire de ce festival, de faire l’ouverture. J’étais un peu inquiet bien sûr, parce qu’il y a des grosses pointures dans ce festival. Et puis voilà, j’ai dit « mais le jazz, je ne sais pas beaucoup de choses sur le jazz ! ».
Alors il m’a envoyé des textes, des textes, des textes à lire… Comme je n’avais pas envie, comme je ne trouvais pas tout à fait ce que je voulais... Je veux quand même toujours raconter une histoire, j’aime bien raconter des histoires. Donc, faire un florilège de textes sur le jazz, ça ne me convenait pas, alors je me suis mis à écrire. Donc j’ai écrit cette histoire, un peu slammée, avec des textes plus narratifs, avec des sketchs… C’est en effet une forme qui est ni un concert totalement, ni un spectacle totalement… C’est un spectacle c’est sûr, mais c’est à la fois du théâtre, du slam, des rythmes, du jazz, avec six musiciens et une voix… C’est assez atypique, mais apparemment ça se passe bien.
Justement, j’allais poser la question : comment vous pouvez décrire le spectacle… Est-ce que c’est un concert ? Un concert-spectacle ? Un spectacle ? Un one man show ? Un one-man-band-show ?
One man band show, c’est pas mal ! C’est tout ça à la fois, j’aime pas trop les classements alors ça tombe bien. Comme ce spectacle est tout à fait inclassable, on ne va rien dire de plus, on ne va pas essayer de le classer parce qu’il est très bien dans sa catégorie tout seul !
La musique c’est très organique, ça provoque le mouvement
Quel est votre rapport à la musique et en particulier au jazz, justement pour intervenir dans une telle création ?
C’est vrai ce que je raconte au début du spectacle, que j’ai essayé divers instruments puis que je n’ai jamais réussi à en jouer ou que je n’ai pas été assez persévérant. Après j’ai fait du théâtre, je parle de ça dans l’enfance et l’adolescence, j’ai fait du théâtre puis je suis devenu acteur, etc… Plus tard je me suis mis à écrire.
Alors finalement, je fais là un spectacle où je délègue mes rêves d’être musicien puisque je suis entouré tellement magnifiquement par ces six musiciens, et moi j’ai pris mon instrument qui est le mien depuis des années, c’est les mots. Donc j’ai écrit.
Alors, je suis surtout touché par le… Comment dire… Dans le jazz… C’est ce que je dis d’ailleurs aussi à un moment. C’est cette jambe qui gigote à un moment parce que le chabada me fait gigoter la jambe. Et je suis toujours surpris dans les concerts de jazz où tout le monde est très sobre et écoute ça religieusement, un peu comme si c’était une musique sacrée où on ne sait pas très bien toujours…
A la base, c’était une musique dansante…
Alors qu’à la base c’est une musique dansante, une musique de travail, une musique populaire… qui est devenue une chose un peu trop sacrée probablement. Donc j’avais envie aussi de délier ça, et par d’autres textes, que je n’ai pas écrits moi-même, de raconter un tout petit peu d’où vient le jazz, avec plus ou moins d’humour. Du coup, c’est peut-être plus généreux, j’espère en tout cas. Et le sens de tout ça est donné aussi par l’histoire que je raconte, alors c’est très ouvert.
Et puis je souhaitais aussi qu’on ne soit pas uniquement dans un jazz de tradition, d’où le fait de faire appel à Laurent de Wilde, que je ne connaissais pas au départ en effet, qui en plus d’être un merveilleux pianiste est aussi un compositeur. Il est aussi devenu un ami par ce spectacle, et ça c’est pas mal non plus.
J’allais en venir à vos goûts en matière de jazz, à ce que vous écoutez…
Je vais m’arrêter tout de suite parce que je suis très nul dans les références. J’écoutais un peu John Coltrane quand j’étais beaucoup plus jeune… J’écoutais, euh… D’un seul coup je ne vais plus me souvenir de tout ça… Un peu des choses plus free aussi… J’écoutais, euh… Ah zut ! Ben voilà, ça m’échappe, ça y est, c’est terrible ! Dès qu’on me demande des titres et des… Je suis perdu ! Passons à la question suivante !
Question qui est plutôt destinée à des musiciens, mais aussi à quelqu’un pour qui la musique est importante : quelle est votre définition de la musique, ce qu’elle est, et ce qu’elle devrait être selon vous ?
Pour moi, en premier lieu la musique d’abord c’est très organique et ça provoque du mouvement. J’aime que la musique soit lente ou rapide… Il faut que ça me provoque un corps qui bouge. J’ai besoin de ça, j’aime quand c’est un peu dance… D’ailleurs ça fait partie un peu de la commande au fil du temps quand on se connaissait de mieux en mieux avec Laurent. Je lui ai fait écouter les choses que j’écoute, et il s’est influencé de ça aussi pour composer la musique, pour que ça soit plus funk par exemple. Les mots aussi sont des rythmes… C’est difficile de dire ça parce qu’on ne peut pas voir le mouvement du corps là, mais j’exprimerais mieux la musique avec les mains et le corps qu’avec des mots. La musique ça vous rentre dedans, et ça fait quelque chose au centre, bien placé. Pour moi, c’est physique la musique.
On vous connaît surtout en tant que comédien, mais c’est vrai que vous vous affirmez de plus en plus dans l’écriture… Et pour ce spectacle, quel a été donc les processus créatif concernant l’écriture ?
Alors il y a eu plusieurs étapes, tous ces textes que j’ai lus, évidemment de styles très différents, parce que j’avais envie quand même de faire une forme d’hommage au jazz. Et puis je me suis mis à écrire… Et là, c’est très anecdotique, mais des fois l’écriture c’est bizarre… J’avais écrit déjà des chansons à une époque qui avaient été chantées, il y a très longtemps… J’aime beaucoup que chaque spectacle provoque un type d’écriture différent, une forme différente. J’avais évidemment quand même envie d’une écriture qui soit rimée, qui soit rythmée, où je puisse jouer avec les rythmes du jazz.
J’avais un carnet à l’époque, j’étais en tournée d’un autre spectacle. Ce carnet était en longueur, en hauteur, très étroit. Puis j’ai commencé à écrire sur ce carnet que j’avais sur moi pendant toute la tournée, dans les trains, la nuit… J’ai fini ce carnet, j’ai écrit sur toutes les pages de ce carnet, et ça a donné une espèce d‘improvisation où je racontais la rencontre de cette femme qui serait la musique… Et c’était tout écrit en six pieds, sept pieds…
Enfin, je me suis beaucoup amusé avec ça, avec les sons pour raconter cette histoire. Et puis dans toute cette histoire, j’ai aussi interrogé Laurent de Wilde pour qu’il me donne comme des lexiques de mots du jazz. Alors j’ai fait des listes que j’ai intégrées aussi dans cette écriture, peu à peu. Tous ces mots, on ne les comprend pas forcément tous, car ce sont des mots techniques sur la musique. Cette rencontre amoureuse que j’ai écrite, elle est aussi l’amour de la musique.
On ne peut pas aimer si on n’est pas disponible […] capable de s’adapter, d’improviser, de recevoir les surprises. C’est dommage.
Finalement, j’ai eu envie tout le temps de dire ce que me fait la musique : ça me fait ça à la jambe, ça me fait ça dans les mots, ça me fait ça dans le cœur, ça me fait ça dans l’humour… Ce que ça me fait partout ! Et puis il y a d’autres textes qui sont alors en effet ceux-là beaucoup plus narratifs, moins rythmés, et qui racontent très simplement un certain nombre de choses, notamment comment j’ai essayé de jouer des instruments, et je n’y suis pas parvenu !
Derrière ce spectacle il y a quelque chose qui revient en filigrane… On sent que c’est un mélange de notes et de mots, avec bien sûr un hommage à la musique et au jazz, mais vous parlez aussi d’amour, et on sent de l’amour. Et justement, quel est le message d’amour de ce spectacle ?
Ça fait peur les messages ! Ça fait peur parce que je n’ai pas envie de fermer le sens de tout ça, et puis je pense qu’il y a assez d’éléments pour que chacun puisse y rêver ses propres amours, qu’ils soient musicaux ou sentimentaux. Le message, s’il y en a un, c’est le message du mouvement, de l’improvisation, que tout et la vie ne sont faits que de tas de hasards, qu’on a provoqués des fois sans le savoir…
Ce qui me fascine déjà dans le jazz, c’est cette capacité d’écoute qu’ont les musiciens, et de bienveillance aussi quand chacun va prendre son solo, et comment tout le groupe a envie que ce solo soit le meilleur même si ce n’est pas le sien. À partir d’une contrainte très précise, c’est un cadre pour improviser, donc chaque soir ce spectacle bouge évidemment. Je n’improvise pas les mots, mais j’improvise les rythmes avec le groupe. Je joue en fonction de la musique, qui donne le tempo, qui donne le la, le diapason de ce spectacle… On ne sait jamais si c’est moi ou les musiciens… Tout ça bouge beaucoup, et donc ça veut dire qu’il faut être tout le temps à l’écoute, sur le qui-vive, et c’est peut-être ça le message, choper les trucs qui viennent, se laisser embarquer par les trucs, d’être disponible… Peut-être que ce serait ça, être disponible…
On ne peut pas aimer si on n’est pas disponible, que ce soit n’importe quoi. C’est impossible si on est fermé, si on n’est pas capable de s’adapter, d’improviser, de recevoir les surprises. C’est dommage.
Quoi de prévu pour le prochain spectacle ?
Ce sera quelque chose de différent. Sur le spectacle précédent qui s’appelait « Tout est normal mon cœur scintille » qui a été beaucoup joué, je travaillais avec deux danseurs contemporains. Je disais des textes, je racontais une histoire, et il y avait autour de moi ces deux danseurs. Dont l’un continue avec moi la saison prochaine sur cette création, il s’appelle Bastien Lefèvre. C’est un duo entre théâtre et danse, mais aussi sur une histoire qui sera racontée.
C’est une histoire plutôt de transmission autour du coaching, du sport, de ce qu’on se transmet l’un à l’autre avec des âges très différents puisque je suis beaucoup plus âgé que lui. On part sur le sport, l’entraînement, le coaching, tout ça, la transmission. Mais on vient aussi vers la danse contemporaine, et puis beaucoup plus largement on vient à ce que tout le monde cherche, ce que chacun se transmet, pas seulement de génération en génération, mais aussi sur ce qui se transmet tous les jours…
Des fois on peut se dire « Qu’est-ce que j’ai appris aujourd’hui ? » ou « Qui j’ai rencontré qui m’a appris quelque chose ? ». Tous les jours, on a certainement appris des choses, même si ça peut être seulement de toutes petites choses parfois. Quelles sont les petites clés pour essayer de rester en équilibre dans cette vie qui est la nôtre. Donc ça raconte aussi ça plus largement.
Mais on part d’un rapport de transmission, de formation entre un sportif danseur et son entraîneur coach. Donc des rapports qui sont parfois très tendus, parfois très paternalistes, des fois très tendres, pour que chacun trouve sa confiance, pour être dans le plaisir. Le but pour un sportif ça sera une victoire à une compétition. Pour un artiste ça sera d’être bien dans le spectacle, d’être dans le plaisir… C’est un sujet large quoi, très large, et qui permet de mettre en scène des séquences très variées à cause des humeurs, de ce qui se passe dans ce type de relation. Il y aura aussi beaucoup d’humour c’est sûr, et puis aussi des moments, comme souvent dans mes spectacles, où on fait des virages à 90 degrés.
Pour finir, quelle est votre actualité en plus de tout ce que vous avez évoqué ?
L’actualité est beaucoup cinéma surtout. Il y a 4 films qui vont sortir. Un premier qui s’appelle « Week-ends » le 19 février d’Anne Villacèque, un deuxième qui s’appelle « Hippocrate » un très beau film dans le milieu hospitalier réalisé par Thomas Lilti. Ensuite le 26 mars, vous voyez c’est un peu un tir groupé là, il y a « De toutes nos forces » de Nils Tavernier qui est un film absolument très fort, évidemment je suis mal placé pour en parler, mais je le dis car je le pense vraiment, c’est un film très fort avec un garçon qui est un handicapé moteur cérébral et qui demande à un moment donné à son père, que je joue moi-même, de faire l’Ironman de Nice, ce triathlon extrême ; ils partent dans cette aventure tous les deux. Là on parle de sport, mais aussi beaucoup de relation de père à fils, c’est très fort. Et puis un film qui s’appelle « 24 jours » d’Alexandre Arcady sur l’affaire Fofana, le gang des barbares, qui sortira vers le 30 avril.